
La photo de couverture du livre « Pionnières : comment les femmes sont devenues pasteures » de Lauriane Savoy, paru au mois de mars aux Éditions Labor et Fides, vaut le détour. On y voit une jeune femme, la pasteure Lydia von Auw (1897-1994), en robe blanche à pois et visiblement mal à l’aise, au milieu de messieurs en costume sombres. Les hommes de la photo posent ou discutent les uns avec les autres, mais seul l’un d’entre eux semble s’apercevoir de la mine défaite de la jeune pasteure.
Un voyage dans le temps
Comment est-on passé d’un monde où seuls les hommes étaient pasteurs, à la possibilité pour les femmes de devenir pasteures ? C’est la question à laquelle ce livre cherche à répondre en proposant un voyage dans le temps, construit sur la base d’un remarquable travail de recherche. Si le livre retrace les éléments de l’histoire, il ne manque toutefois pas les questions théologiques. Les lectrices et lecteurs sont pris par la main et rencontrent divers personnages de l’histoire réformée suisse romande. Ce livre fonctionne comme un documentaire : la parole est laissée à bon nombre de personnes de passé et du présent. Chacun d’entre eux apporte sa pierre à l’édifice. Si certaines remarques qui y sont rapportées font froid dans le dos, d’autres prêtent à sourire et je me suis maintes fois régalée de l’esprit de certains propos.
Ce livre est accessible et pertinent même si l’on n’est ni suisse, ni réformé. Les lectrices et lecteurs y retrouveront de nombreuses réflexions. Les chemins empruntés et les questions soulevées sauront résonner dans une multitude de contextes.
1. Les prémices (1900-1960)
Le premier chapitre traite des prémices de cette histoire. La question de la place des femmes dans les ministères débute dans un contexte ponctué de nombreuses crises, mais aussi de l’avènement du féminisme et des débats autour de la question du droit de vote. L’élan qui a conduit à l’ouverture du pastorat des femmes au sein de l’Église va main dans la main avec les questions qui agitent la société. Si les questions de société influencent toujours l’Église, la proximité est particulièrement tangible dans le cadre de l’Église nationale.
Durant les premières décennies du XXe siècle, les femmes accèdent petit à petit aux formations universitaires : d’abord en théorie, puis en pratique. Cependant, ce n’est pas parce que les femmes sont formées qu’elles ont la possibilité d’exercer un ministère. Et encore : ce n’est pas parce qu’elles exercent un ministère qu’elles perçoivent nécessairement un salaire. Les femmes pasteures doivent-elles rester célibataires ? La question agite les conversations.
2. Les débats théologiques
Quels sont les arguments pour et contre le ministère pastoral des femmes ? Le débat théologique est ouvert et les arguments s’étoffent de part et d’autre. La discussion fait parfois penser à un dialogue de sourds. Les conversations s’articulent autour des textes bibliques classiquement convoqués sur le sujet : 1 Corinthiens 14, Éphésiens 5, 1 Timothée 2.12 et la masculinité du Christ. Cependant ils font aussi appel à des arguments ecclésiologiques tels que la question des douze apôtres hommes, des sept diacres hommes (Ac 6.1-6) et de l’ordre du culte en 1 Corinthiens 11.17-21. Le tout est couronné d’arguments essentialistes tels que la voix trop aiguë de la femme, de sa fragilité et de sa vulnérabilité à être séduite. Le chapitre fait un survol très complet de l’ensemble des arguments des deux bords.
3. Les pionnières et l’institution (1920-1971)
Qui sont les premières femmes pasteures ? Lauriane Savoy présente plusieurs figures clés de l’époque : Marcelle Bard, Lydia von Auw, Lucie Monod, Jeanne Ertel. Chacune d’entre elles a apporté sa couleur, exercé son ministère selon sa propre stratégie et a rencontré des opposants.
Marcelle Bard souligne le défi d’« être là sans trop être là, tout en étant là ».
Lydia von Auw, première femme pasteure du canton de Vaud, insiste sur la nécessité d’une collaboration et d’une sororité entre théologiennes. Lucie Monod est la première suffragante pastorale de l’Eglise nationale de Vaud et Jeanne Ertel, sa camarade d’étude, est aumônière d’hôpital et de prison.
4. Mutations du ministère pastoral (1970-2020)
Le dernier chapitre se concentre sur les nombreuses mutations du ministère pastoral. La fonction était définie assez clairement avant 1960. Elle impliquait une grande autorité religieuse et morale et entraînait un prestige social. Avec la sécularisation de la société, la fonction pastorale a dû s’adapter aux mutations. Le sacerdoce universel a été remis au goût du jour et la collaboration entre différents ministères est aujourd’hui monnaie courante. Comme le souligne Lauriane Savoy, aujourd’hui « les pasteur.e.s accompagnent les contemporains qui le veulent bien dans leur cheminement spirituel » (p. 238).
Ces mutations ont aussi donné lieu à des débats au sein de l’Église réformée suisse. L’autrice retrace les événements clés dans un ministère. Elle parle de la place de la vocation dans un contexte où l’attitude de l’entourage manifeste encore parfois de l’incompréhension. S’en suit la formation, longtemps dispensée uniquement par des hommes puis l’entrée et la sortie du ministère avec toutes les péripéties de la vie professionnelle liées au fait d’être femme. L’apparence des femmes et leurs vêtements est un sujet récurrent.
Les femmes sont-elles devenues trop présentes ? Si certaines personnes considèrent que la collaboration avec des femmes est une grâce, d’autres craignent leur surreprésentation. Pourtant, souligne Lauriane Savoy, elles ne représentent aujourd’hui que 30-40% des effectifs. Elles sont juste davantage visibles que leurs collègues masculins.
Malgré les embuches, les difficultés, les redéfinitions et les adaptations nécessaires, un chemin de collaboration est aujourd’hui accessible pour les femmes et les hommes. Les mots de la pasteure Véronique Laufer ouvrent le chemin :
« C’est ensemble, hommes et femmes, que le Christ nous appelle à être ministres, solidaires d’une communauté édifiée dans la collaboration et affirmant la réciprocité. » (p. 310)
Merci beaucoup pour cette recension !
Un livre bien documenté pour avancer la réflexion sur le sujet. Heureusement, des hommes et des femmes de courage ont fait évoluer la législation sur la situation de la femme pour la sortir de la discrimination par rapport à l’homme dans la société et dans l’église. Elle était mineure à vie… Mais ce combat n’est pas fini…
RME