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La fameuse question de l’autorité

Découvrez le livre “L’Église : Autorité, direction et ministère féminin” de Patrice Alcindor #lupourvous par Marie-Rose Leandri !

Le livre du pasteur Patrice Alcindor, publié en 2004 et épuisé (des extraits du livre sont disponibles en ligne sur le blog de l’auteur : le ministère féminin), a marqué un tournant décisif dans ma recherche sur la place de la femme dans l’Église et dans le couple. Je le remercie pour sa contribution à la réflexion sur ce sujet qui divise encore les Églises, la nature de l’autorité en étant une des causes principales. Je tenterai de résumer la partie de son étude consacrée à l’autorité et de la transposer dans le cadre du couple (en italique dans la suite du texte).

I. Autorité et pouvoir

L’autorité et le pouvoir dans l’Église ne s’opposent pas, mais s’agencent dans un ordre particulier. Jésus établit le principe fondamental qui régit l’exercice de l’autorité dans la communauté chrétienne : « Le plus grand sera votre serviteur et si quelqu’un veut être le plus grand parmi vous, qu’il soit esclave de tous » (Mc 10 : 42).

Tout groupe humain connaît une organisation et des structures d’autorité. Selon Eric Weil, il y a deux buts :

  • favoriser le rendement et l’efficacité du groupe,  
  • éliminer la violence par un bénéfice satisfaisant pour tous.

L’exemple est donné par le Christ qui a établi les divers ministères de la Parole (apôtres, prophètes, évangélistes, pasteurs et docteurs ; cf. Ep 4 : 11-12) pour le perfectionnement des saints, et des pôles de direction pour l’unité et la cohésion du corps. Lui seul détient l’autorité absolue. Sa vie nous montre quel genre d’autorité il exerçait :

  • L’autorité ne s’exerce pas « contre d’autres », mais « pour eux » ;  
  • Le pouvoir n’est pas pouvoir « sur eux » mais « pour eux ».

L’apôtre Paul insiste beaucoup sur la soumission mutuelle, relation qui se vit « en vue d’une qualité de l’être-ensemble » (G. Vincent).   

L’auteur discerne dans la Bible une triple dynamique de l’autorité :

1) La dynamique hiérarchique 

Le pouvoir descend de Dieu en passant par tous les intermédiaires, des puissants aux faibles. C’est la dynamique qui gouverne le monde et qui est sous-entendue par Paul en Romains 13 : 1 : « Que chacun se soumette aux autorités qui nous gouvernent, car toute autorité vient de Dieu, et celles qui existent ont été établies par Dieu. »

Dans le couple, le modèle hiérarchique est encore très présent à travers le monde, avec ses variantes. Il a produit la société patriarcale, toile de fond de l’Ancien Testament, où le mari est « le chef de la famille » (parfois polygame). Il domine sur femmes et enfants qui lui doivent obéissance et sont ses possessions au même titre que ses biens. Notons que la Loi de Moïse limitait les abus. 

2) La dynamique contestataire 

A ce premier modèle, le Nouveau Testament ajoute une dynamique nouvelle qui conteste radicalement les pouvoirs humains. La seule véritable hiérarchie est entre Dieu et les êtres humains (puissants et faibles). Tout rapport d’autorité des intermédiaires doit être relativisé, car il passera un jour. 

Dans le couple, l’Évangile apporte une révolution : le couple est monogame, basé sur l’égalité, et uni par l’amour.

Le modèle complémentarien chrétien, avec ses nuances, est une tentative de maintenir le pouvoir hiérarchique, tout en l’adaptant à l’Évangile ! Le mari même bienveillant reste le maître à bord. Le masculin de droit occupe tous les postes dits d’autorité dans la famille, l’Église et la société. Ce modèle monogame est déjà un grand progrès, mais, selon moi, il n’accomplit pas vraiment la volonté de Dieu.

3) La dynamique du service

L’Évangile va encore plus loin : il invite les puissants à servir les faibles, à se faire serviteurs comme Jésus. L’autorité est un pouvoir qui doit s’exercer en leur faveur.                         

« C’est pour l’Église un véritable défi prophétique et signe du royaume à venir, où Dieu fait descendre les puissants et élève les faibles » (p. 3 ; cf. Luc 1 : 52).

Dans le couple, c’est un modèle de relation plus difficile, car plus exigeante. Il demande plus de maturité, d’autonomie et de partage des responsabilités. J’adopterai la définition de la pasteure Joëlle Sutter-Razanajohary qui parle d’un « complémentarisme égalitarien » où la différence et l’égalité vécues dans la soumission mutuelle peuvent s’articuler pour produire l’unité. Selon moi, la différence est comprise comme différentiation qui ne sépare pas, mais insiste sur ce qui est commun. Patrice Alcindor souligne dans son ouvrage que l’égalité est à dépasser en « considérant l’autre comme supérieur à soi-même » (cf. Ph 2 : 3).            

L’autorité ne disparaît pas, mais repose sur la tête de chacun des époux. Cette autorité de nature particulière est le pouvoir, la grâce de servir l’autre en se donnant. Elle est aussi un pouvoir de chacun pour accomplir le potentiel de son être, en vue de servir ensemble Dieu et le monde.  

                                     

II. Les formes de l’autorité

1) La source 

Selon la source ou le but, l’autorité va prendre des formes différentes. L’auteur considère d’abord la source de toute autorité.

–       L’autorité déléguée : 

Dieu seul est la source de toute autorité. L’Église va donc déléguer une certaine autorité à une personne (ancien, diacre, etc.) pour accomplir une tâche, une fonction. « Cette notion de délégation souligne paradoxalement que l’assemblée est le premier relais de l’autorité du Christ »[1]

Paul avait institué des anciens dans chaque Église lors de son premier voyage missionnaire (cf. Ac 14 : 23). Pourtant ses lettres sont prioritairement adressées aux Églises, même pour des questions de doctrine ou de comportement – afin que tout le corps soit impliqué et responsable. La délégation exige aussi que les responsables doivent rendre des comptes – contrôle nécessaire qui ne doit cependant pas entraver leur marge de manœuvre.

Dans le couple ce sont les deux partenaires qui sont le relais de l’autorité du Christ et non pas le mari seul. Chacun délègue à l’autre une part d’autorité pour accomplir certaines tâches qui peuvent évoluer en fonction des capacités, des circonstances ou du temps. Il y a égale participation des époux à la prise de décision pour les affaires principales du foyer. Mais le couple n’est pas seul, il fait partie du corps de l’Église qui a donc aussi un certain droit de regard sur leur vie privée (inceste, violences…).  

–       L’autorité charismatique :

C’est une mesure d’autorité donnée par le Seigneur pour exercer les dons spirituels. Cette autorité est vérifiée par l’efficacité du don (la guérison par celui qui a un don de guérison) et sa reconnaissance par ceux qui en bénéficient. 

Cette dimension charismatique de l’autorité nous introduit dans une différence cruciale entre l’Église du Nouveau Testament et celle de notre époque. Le charisme et le ministère d’apôtre n’existe plus : « Pour nous, il n’y a pas de succession apostolique. L’autorité du Christ est médiatisée par la Parole de Dieu qui fonctionne comme l’autorité objective extérieure et l’Esprit qui travaille au niveau de notre intériorité. »[2] 

Dans le couple, aucun mari ne peut se réclamer d’un statut, d’une fonction héréditaire. Chaque disciple devient prêtre, prophète et roi. C’est mépriser le cadeau de Dieu que de démissionner (l’épouse) ou accaparer à son seul profit (le mari) cette position en Christ. Au contraire chacun dans le couple doit aider l’autre à viser la stature parfaite du Christ.

La Bible et l’histoire de l’Église nous montrent que les dons du Saint-Esprit se manifestent indépendamment du genre, de l’ethnie ou du niveau social, sauf dans les périodes où la tradition des hommes l’a interdit ou tenté de l’effacer.

–       L’autorité spirituelle :

Les deux premières sources de l’autorité ne manquent pas de spiritualité, mais l’auteur vise ici l’autorité personnelle de chaque enfant de Dieu, autorité qui croît avec sa maturité. 

L’autorité spirituelle et personnelle qu’une personne exerce sur son entourage se reconnaît à sa sagesse, son expérience, son discernement, son écoute de Dieu et des autres.

Cette dimension de l’autorité (dont l’appréciation ne peut être que subjective !) doit s’ajouter à l’autorité déléguée et aux charismes pour les ministères ou les responsables.

Dans le couple, les époux ne sont souvent pas au même niveau de croissance spirituelle qui dépend de leur intimité avec le Seigneur et de leur consécration. Par leur union ils sont responsables d’encourager ou d’entraver la progression du conjoint. Mais ils ne sont pas seuls ! Le Seigneur vit en eux par son Saint-Esprit, il est le seul véritable « chef du foyer » qui dirige chacun de l’intérieur. Marie et Joseph illustrent cette relation d’une manière étonnante :

  • L’engagement des fiançailles était très important dans la culture juive, pourtant Marie ne demande pas l’autorisation de son futur époux pour accepter sa mission. Elle ne se met pas sous sa protection mais assume seule les risques de sa décision, comme si déjà par la foi, elle comptait plus sur la force du Seigneur qui convainc le cœur que sur celle des hommes.
  • Dieu n’informe pas le « chef » de famille, mais le met devant le fait accompli.
  • Joseph, en homme spirituel, n’écoute pas « l’égo » du fiancé  à l’honneur peut-être bafoué, mais la voix du Seigneur dans le songe et il croit. Il accepte de devenir le secours, « l’aide » de Marie dans cette mission unique et très spéciale… une fonction de second ?
  • C’est le lien de l’Esprit – par la communion et l’écoute – qui les unit dans une même pensée (un dialogue au-delà des paroles !) pour se faire serviteurs. Ainsi leur est révélé à tous deux, mais séparément (cf. Mt 1 : 25 et Lc 1 : 31) comme pour confirmer, le nom de l’enfant, nom qui contient tout le projet de l’Amour de Dieu, pour leur vie et celle du monde.

2) Le but de l’autorité

C’est à partir du texte de Colossiens 3 : 18-24, qui présente trois types de couples (maître/esclave, parents/enfants, mari/femme), que l’auteur va définir le but de l’autorité (les trois types d’autorité sont empruntés à Tom Marshall[3]).

–       L’autorité de commandement :

L’autorité de commandement est illustrée par la relation maître/esclave et vise l’action. Le rapport autorité/soumission est centré sur le faire (un travail, une tâche à exécuter).

Paul fait reposer cette relation, non sur la possession ou l’asservissement de l’esclave, mais sur un travail qui mérite salaire. Dans ce cas, le maître doit être juste et équitable envers son esclave, car ils sont tous les deux serviteurs de Dieu.

La soumission de l’esclave est dans l’obéissance loyale et volontaire (avec simplicité de cœur). Mais Paul ajoute : « Le Maître que vous servez, c’est le Christ » (Col 3 : 24). La soumission ne doit pas devenir aliénation.

L’exercice de cette autorité de commandement est légitime dans l’Église et nécessaire pour accomplir certaines tâches et doit circuler au gré des besoins, des circonstances et des compétences de chacun, tout en restant limitée pour éviter le despotisme ou l’infantilisation du croyant.

–       L’autorité d’enseignement :

Le couple parents/enfants relève en partie de l’autorité d’enseignement qui, contrairement à l’autorité de commandement, ne cherche pas à faire mais à apprendre à faire, à savoir faire, à savoir être. L’autorité est le pouvoir de stimuler, de motiver l’enfant pour qu’il devienne autonome.

L’obéissance de l’enfant est différente de celle de l’esclave dont le travail doit profiter d’abord à son maître. Ici l’enfant et l’élève travaillent en vue de leur propre croissance, tout en obéissant aux parents et aux professeurs, mais aussi pour faire plaisir à Dieu. Ils doivent recevoir cet enseignement avec un esprit ouvert, bien disposé, et paisible. 

L’attention du responsable est portée sur ce qu’il produit chez l’autre. Il recherche non le formatage, mais la construction de la personne, sa formation pour en faire un adulte responsable. Il espère même un jour se retirer quand l’élève aura dépassé le maître.

Paul demande aux croyants de faire preuve d’intelligence (1 Co 14) et d’avoir un esprit critique (1 Co 10). Il accepte que sur les questions secondaires on soit en désaccord avec lui, même s’il a des certitudes (cf. Rm 14). Ainsi ouverture ne veut pas dire adhésion en tout point.

–       L’autorité interpersonnelle :

Le couple mari/femme nous fait entrer dans une autre dimension de l’autorité qui diffère fondamentalement des deux premières.

Il s’agit de l’amour agapé, l’amour qui cherche le bien de l’autre, son conjoint, son ami, son frère, sa sœur. Cet amour, qui implique le don de soi, demande beaucoup de maturité.

Ainsi, celui qui commande se soucie du droit de ses subordonnés, celui qui enseigne de ce qu’il produit dans l’être de son élève, mais l’attention de celui qui exerce une autorité interpersonnelle doit se porter sur sa vie intérieure, sa capacité à donner, à nourrir des sentiments positifs.

La notion « obéissance » ne fait pas partie de la soumission à l’autorité interpersonnelle dans l’Église comme dans le couple !

D’ailleurs, contrairement aux deux premiers couples, Paul ne dit pas : « femmes, obéissez à vos maris »,  mais il s’agit d’être soumise comme il convient dans le Seigneur. Ce n’est pas un statut particulier attaché au sexe féminin, mais une expérience spirituelle ouverte à tous.

C’est une attitude de cœur, de respect de l’autre (« que chaque femme respecte son mari », Ep 5 : 33) afin de ne pas mépriser celui qui se fait serviteur, qui se donne dans un amour vrai et total.

Celui qui se soumet accepte de recevoir le don de l’autre comme un cadeau précieux qui doit être honoré et respecté.

C’est l’acceptation que l’on ne vit pas par soi-même, mais que l’on reçoit d’autrui ce qui est essentiel à sa vie. Il s’agit de renoncer à l’illusion de l’indépendance, du self-made-man/woman et d’accepter de vivre dans la grâce

En résumé, toutes les formes d’autorité ne sont pas interchangeables dans l’Église. Il faut rendre à chacun ce qui lui est dû : aux coordinateurs, l’obéissance pratique ; aux enseignants, l’écoute attentive ; aux responsables, le respect des décisions ; à certains membres, l’amitié ou l’amour conjugal ; à tous la charité.

Conclusion

Je me permets de clôre la synthèse du livre de P. Alcindor (et en particulier de la section traitant de l’autorité) en vous proposant mes propres réflexions : 

Je remercie le pasteur P. Alcindor de nous avoir fait découvrir plusieurs facettes de l’autorité généralement comprise comme commandement. Il n’est en fait qu’un aspect limité de l’autorité et n’a pas du tout sa place dans le couple chrétien, pas plus que l’individualisme. 

Ordonner, diriger, s’imposer, ne penser qu’à soi est impossible dans une relation qui relève de l’attirance, de la complicité, de la rencontre de deux libertés souvent déconcertantes, du partage et de l’échange.

L’autorité uniquement comprise comme commandement brise l’émerveillement de l’amour, empêche de se donner et d’entrer dans le mystère dont parle Paul, celui de l’amour entre Christ et l’Église dont le mariage est une image. 

Les paroles de Paul aux Éphésiens dites dans le contexte de l’époque où hommes et femmes n’avaient pas les mêmes droits, nous rejoignent encore dans notre vie aujourd’hui (Ep 5 : 21-32) :

  • aux maris, qui exercent une autorité sans partage sur leur entourage, il demande de renoncer à leurs privilèges (le « privilège masculin » existe toujours !),
  • aux femmes, grisées peut-être par l’élévation et la liberté qu’apportent l’Évangile, de continuer à se soumettre, à respecter et accueillir l’autre.

Quand on analyse les choses en profondeur, cela revient au même. Aimer comme le Christ, c’est être soumis en donnant sa vie.

Le couple est un lieu privilégié pour essayer de vivre l’autorité interpersonnelle, signe prophétique de la seule autorité qui subsistera dans le royaume à venir, toutes les autres formes d’autorité auront disparu. Aucun être humain ne commandera plus un autre être humain, le Seigneur sera le seul Maître en tous et en toutes. 

Marie-Rose LEANDRI


Références

[1] Alain Nisus, « Sept thèses sur l’autorité dans l’église », Les cahiers de l’école pastorale n° 33, septembre 1999.

[2] Ibid, thèse n° 2. 

[3] Savoir diriger dans l’église et la société, Jeunesse en Mission, 1995, 236 p.

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3 comments on “La fameuse question de l’autorité

  1. Claire Poujol

    J’aime beaucoup :
    “L’engagement des fiançailles était très important dans la culture juive, pourtant Marie ne demande pas l’autorisation de son futur époux pour accepter sa mission. Elle ne se met pas sous sa protection mais assume seule les risques de sa décision, comme si déjà par la foi, elle comptait plus sur la force du Seigneur qui convainc le cœur que sur celle des hommes.
    Dieu n’informe pas le « chef » de famille, mais le met devant le fait accompli.
    Joseph, en homme spirituel, n’écoute pas « l’égo » du fiancé à l’honneur peut-être bafoué, mais la voix du Seigneur dans le songe et il croit. Il accepte de devenir le secours, « l’aide » de Marie dans cette mission unique et très spéciale… une fonction de second ? “

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