Les récentes évolutions en sciences sociales, ont mis un dysfonctionnement relationnel en lumière.
En étudiant les avantages accordés aux uns et aux autres, elles ont souligné le « privilège masculin », c’est-à-dire le fait que les hommes ont des avantages sociaux non-négligeables sur la seule base de leur sexe. Pour bien comprendre : cet avantage, ou privilège, ne relève pas de quelconques compétences ou responsabilités, mais surgit par la seule différence sexuelle. On laisse les hommes prendre davantage d’espace, on les écoute davantage, on juge leurs idées meilleures et on pense davantage à eux lorsqu’il s’agit de confier une responsabilité.
J’ai constaté moi-même à plusieurs reprises à quel point il était parfois difficile d’envisager le potentiel d’autres femmes dans l’Église alors que je voyais très nettement celui des hommes. Bien sûr, le potentiel était là dans de nombreux domaines, mais je peinais à le voir. Cette préférence, cet avantage, ce privilège du masculin est profondément ancré dans nos habitudes sociales, même si nous nous en défendons parce que cela est devenu politiquement incorrect. Ce privilège est observable et mesurable, ce qu’on fait les sciences sociales.
Toutes les recherches montrent qu’à compétences égales :
● un homme sera davantage embauché qu’une femme.
● qu’un homme sera davantage écouté qu’une femme.
● et que ses idées seront jugées meilleures
Lorsque l’on étudie la question du privilège, on constate que, selon le groupe, des points de privilège sont donnés à certaines personnes plutôt qu’à d’autres sans lien avec les compétences ou les dons.
Une hiérarchie entre les sexes
Dans de nombreuses cultures aujourd’hui, un fils vaut plus qu’une fille. Même si cela nous paraît dépassé, il est bon de se rappeler que c’est ce qu’affirmaient les théologiens – tous masculins – il y a quelques dizaines d’années. L’égalité en dignité et en valeur met tout le monde d’accord aujourd’hui dans le monde occidental, mais c’est une nouveauté dans l’histoire du christianisme. Ce lourd passé d’injustice entre les sexes nous a forgé en tant qu’Église et a imprimé nos habitudes, nos réflexes. Il imprime encore certaines de nos théologies.
Envisager les femmes comme des vis-à-vis, des égales qui sont dignes de parole demande encore des efforts et ne nous vient pas si naturellement que ça. Une forme de déprogrammation doit avoir lieu, tant dans la tête des femmes que celle des hommes pour pouvoir envisager une « politique des sexes », c’est-à-dire une façon renouvelée de penser le rapport des sexes sur une base d’égalité de valeur. Une façon d’affirmer – dans la pratique ! – l’égalité et le vis-à-vis entre femmes et hommes dans l’Église.
Prendre conscience de son privilège
Le sexe n’est pas le seul facteur de privilège, mais il est l’un des facteurs déterminants des relations sociales. Si nous sommes nés hommes ou femmes, cela influence notre positionnement social. Combien de fois ai-je dû encourager des femmes chrétiennes à tout simplement exister ? A prendre leur place – ni plus, ni moins – dans la société et dans l’Église ?
La vision que nous portons sur nous-mêmes façonne les rapports que nous entretenons les uns avec les autres. Les femmes sont souvent préférées petites, secondes, discrètes, ne prenant pas trop de place. Une femme au fort leadership sera considérée comme une menace… aux hommes.
Je rêve que les relations entre les sexes puissent être repensées sous un autre prisme que celui du rapport de pouvoir. Les femmes qui prennent pleinement leur place dans la société et dans l’Église ne devraient pas être une menace pour l’autre. Il y a de la place et du travail pour tout le monde dans l’œuvre de Dieu. Plus encore, le fait que certaines prennent davantage de place ne devrait pas être une excuse pour d’autres de ne pas prendre la leur.
Où nous situons-nous dans ce rapport entre les sexes ? La situation est souvent plus difficile à voir du côté des privilégiés. En effet, oser questionner les rapports entre les sexes et veiller à un rééquilibrage touche précisément aux privilèges. Pour les privilégiés, comme le dit la phrase devenue célèbre, l’égalité ressemble à de l’oppression. Rétablir une égalité, c’est choisir d’abaisser ses privilèges pour permettre à l’autre, au vis-à-vis d’exister. A de nombreuses reprises, la Bible relève les plus faibles et corrige les privilégiés. La question du privilège, des discriminations, touche à au cœur : à l’insuffisance de l’amour entre humains.
Toute la vie de Jésus illustre cela. Jésus rééquilibre les forces lorsqu’il reprend les pharisiens dans leur orgueil et qu’il restaure les plus faibles dans leur dignité en les invitant à partager un repas. Mais plus encore, comme le souligne Philippiens, Jésus est celui qui a aimé l’Église jusqu’au bout en donnant sa vie pour elle. Il a renoncé à son privilège en enseignant le lavement des pieds et en renonçant à tout ce qu’il avait (Ph 2 : 7). Sa manière particulière de vivre l’amour pour l’autre a été de ne pas chercher son propre intérêt mais de penser aux autres avec humilité, sans rivalité et sans gloriole. En Jésus, ce qui est méprisé devient le centre de l’attention.
Faire du ménage
Le ménage commence toujours d’abord chez soi. Il n’est pas là question de chercher les victimes ou de se victimiser, mais de veiller, au nom de la justice du royaume de Dieu à l’équilibre des forces, quitte parfois… à laisser sa place à d’autres moins privilégiés selon les dons que Dieu accorde.
La justice, au sens biblique implique une juste relation entre les personnes. Ce n’est pas juste un état de fait, c’est une mise en mouvement vers l’autre, particulièrement les plus faibles. Une recherche qui vise à résister à l’écrasement de l’autre.
Il est possible que nous ne voyons pas comment nous contribuons concrètement à ce privilège masculin. Nous sommes très forts dans l’aveuglement lorsqu’il s’agit de nos propres privilèges. Pour faire ce ménage là nous avons besoin d’être à l’écoute les uns des autres. Si nous sommes en situation de privilège, c’est particulièrement notre responsabilité.
● Quelle est la perspective de l’autre personne ?
● Comment vit-il ou comment vit-elle sa place dans l’Église ?
Cela a toute son importance et nous donne des pistes précieuses pour avancer ensemble. A lui laisser le droit à la parole au lieu de parler à sa place. L’Église, tout comme la société, a encore du chemin à faire. Mais elle est accompagnée par l’Esprit de Dieu qui accomplit l’unité et qui abat les murs de la division.
Une Église riche des dons que Dieu accorde
Si nous croyons à une Église riche dans la pluralité de ses dons, ne passons pas à côté à cause des œillères qui obscurcissent le regard que nous portons sur nous-mêmes et sur les autres.
L’Église est appelée à l’amour de Dieu et à l’amour du prochain comme force de rééquilibrage. Un amour sentiment, mais pas seulement, un amour engagement, un amour écoute, un amour soutien, un amour encouragement, un amour qui sait s’effacer pour faire place à l’autre. Jésus va même plus loin : un amour de l’ennemi, du différent de soi, de celui qui me dérange ; L’accueil de l’autre dans son altérité.
Nous avons chacun et chacune un rôle à jouer dans la double mission qui est la nôtre : annoncer la réconciliation avec Dieu, et celle des uns avec les autres. L’Évangile c’est une invitation à descendre des grands chevaux du privilège pour voir ce qui se trame dans les bas-fonds. Nous réaliserons alors que nous sommes nous-mêmes dans les bas-fonds et nous découvrirons la richesse de ceux qui s’y trouvent, dans leur différence.
Coproduction : Campus protestant / Servir Ensemble – servirensemble.com
Intervenante : Marie-Noëlle Yoder
Merci pour ce partage authentique et auquel je peux adhérer. Je rêve , et je veux croire que ça peut être réel, d’un monde mais avant encore d’une église, qui entend l’Esprit parler d’unité et qui souhaite que les hommes et les femmes abattent les murs de la division et de la rivalité.
C’est tellement fort, en tant que femme, de pouvoir me sentir respectée et accueillie comme je suis avec la même reconnaissance, place et performance qu’un homme. Et cela me semble bien normal. Malheureusement beaucoup d’hommes, peut-être surtout de ma génération (50-60ène) sentent de la rivalité lorsque l’on évoque ces faits. Mais détendons- nous lévangile parle d’égalité et de vis-à-vis, entre femme et homme et aussi entre hommes et femmes😉
Je constate malheureusement aussi combien il est difficile d’être entendue et reconnue au même titre qu’un homme. Déployons notre amour pour mettre en pratique ce verset cité par Marie-Noëlle et que je me permets de compléter, aimons Dieu en premier et aussi l’autre comme nous même.
Merci pour cette video, vous présentez clairement et succinctement les choses et j’ai apprécié aussi votre ton. Pour moi, vous parlez avec amour et vérité.
Pourquoi ne pas avoir défini le maître-mot de votre exposé : « privilège » ? Je choisis celle du Larousse : « avantage particulier considéré comme conférant un droit, une faveur à quelqu’un, à un groupe ».
Fort de cette définition, que pensez-vous des multiples exemples de privilèges que Dieu donne lui-même ? Le mâle privilégié de Genèse 2, le peuple hébreux, Jacob, Marie, …
Merci pour la réponse. Effectivement je rejoins la définition du Larousse. En ce qui concerne Genèse 2 je ne trouve pas de privilège masculin établi sinon celui qui a été plaqué sur le texte par certains théologiens. Pourquoi le peuple d’Israël a-t-il été élu ? Pour être en bénédiction à toutes les nations nous dit le texte. L’élection se fait en vue d’une mission, pas pour se complaire dans un rôle de chouchou de Dieu. Marie a été choisie par Dieu pour accomplir une mission. Autrement dit, le privilège, en Christ, n’est pas un statut mais une force qui doit être réorientée vers Dieu et vers le prochain.
Merci pour votre réponse Marie-Noëlle.
Je crois que nous sommes d’accord au moins là-dessus : Dieu accorde des privilèges (échos de sa grâce) à un groupe de personnes et même des individus en particulier, et cela ne constitue pas un statut mais plutôt des responsabilités devant Dieu, vers Dieu et le prochain.
En Genèse 2, je lis que l’homme mâle a été créé le premier, qu’il a été mis par l’Eternel Dieu dans le jardin pour le cultiver et le garder, qu’il a reçu de Dieu les consignes et l’avertissement « mange de tout… sauf… sinon… », qu’il est invité par l’Eternel Dieu à nommer les animaux, que Dieu lui a formé une aide qui sera son vis-à-vis. Est-ce que ce ne sont pas là des avantages particuliers qui ont conféré à l’homme des droits, des faveurs ? Moi je suis tentée de dire oui.
Ah ben tant mieux si nous avons un terrain d’entente 😉 Concernant les éléments narratifs que vous citez de Genèse 2: Certains théologiens affirment sur cette base qu’ils justifient une subordination de la femme à l’homme. Or c’est une interprétation, et non pas ce qu’affirme le texte. En assemblant les perles autrement on pourrait arriver à une conclusion opposée. Vous trouverez une satire ici: https://servirensemble.com/2019/04/12/la-femme-superieure-a-lhomme-une-satire-de-lordre-creationnel/
Sur cette base, toute interprétation doit être éprouvée. Toute bonne exégèse, interprète un texte dans le cadre donné par le texte lui-même; c’est à dire ce qui le précède et le contexte dans lequel il s’inscrit. Dans Genèse 1, la même mission est donnée à l’homme et à la femme ensemble. Ils sont des vis-à-vis l’un pour l’autre; ils se font face; ils sont des égaux. Je vous invite à écouter mon débat avec le théologien Guillaume Bourin à ce sujet: https://fr.bienenberg.ch/blogs/points-chauds-ministere-pastoral-feminin
Merci à Marie-Noëlle Yoder pour sa mise en lumière d’un fait de société qui influence, plus qu’on ne veut bien l’admettre, nos vies d’églises et nos mentalités bien chrétiennes.
Ping : Un cantique féministe ? (Luc 1) – Servir Ensemble
Ping : Tamar, ombre ou diamant ? – Servir Ensemble
Ping : La fameuse question de l’autorité – Servir Ensemble
Ping : L’harmonie, à quel prix ? – Servir Ensemble
Ping : Pasteur, femme de pasteur et mari de pasteure – Servir Ensemble
Ping : Le privilège #bingodesclichés 9 – Servir Ensemble
Ping : Préparer le terrain pour l’égalité : Encourager les femmes à prendre le micro – Servir Ensemble