Progresser en Église

Miroir, mon beau miroir…

Qu’est-ce qu’un vis-à-vis ? Pourquoi nous en avons-nous besoin pour le service dans l’Église ? Et si le vis-à-vis nous permettait de travailler sur nos angles morts ? Un grand MERCI à Marie-Christine Carayol, activatrice de coopération, qui nous propose ces réflexions stimulantes.

Co-ouvriers avec Dieu, co-ouvriers les uns avec les autres

Nous sommes tous ouvriers avec Dieu, nous dit la Bible, ce qui implique une relation de coopération avec Lui dans son oeuvre. Nous sommes des ouvriers créés à l’image de Dieu. 

En effet, Dieu dit dans Genèse 1 : 26-28 : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance. […] Puis Dieu les bénit, et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. » 
Et plus loin : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul, je lui ferai une aide qui soit son vis-à-vis » (Gn 2 : 18). 

Ainsi nous sommes ouvriers ensemble pour travailler à la mission que Dieu nous a confiée. La première coopération voulue et instaurée par Dieu est donc ce fameux vis-à-vis prévu pour être d’une efficacité redoutable pour l’œuvre de Dieu tout en répondant à un besoin de l’homme.

Qu’implique-il dans nos interactions, et plus spécifiquement quand nous travaillons ensemble à son œuvre ? Ce vis-à-vis nous permettrait-il de vivre ce que Dieu a prévu quand il nous propose d’être membres les uns des autres ? 

L’intention divine

Créés à l’image de Dieu signifie que nous sommes des êtres spirituels comme lui. Êtres spirituels et plus spécifiquement « être relationnels ». Dieu est un Dieu de relation. Toute la Bible nous parle d’alliance relationnelle, que ce soit avec un peuple ou avec des individus.

Comme l’homme est à l’image de Dieu et donc un être de relation, il semble logique que Dieu lui crée un vis-à-vis.

Il est vrai que la solitude n’est pas bonne selon Dieu, mais est-ce uniquement pour cette raison que Dieu a trouvé bon de créer un vis-à vis à l’homme ?  

Petite précision, quand on parle de l’homme ici, on retiendra la traduction de la Nouvelle Bible Segond dans laquelle il est écrit : “Dieu créa les humains à son image. Il les créa à l’image de Dieu ; homme et femmes il les créa. (Gn 1 : 27) En traduction littérale : “Dieu créa l’adam à son image, il le créa à l’image de Dieu. Il les créa mâle et femelle.” Le Grand Dictionnaire de la Bible nous indique qu’Adam est utilisé à la fois comme nom propre et comme nom commun « humain », notamment lorsqu’il est utilisé avec l’article (ha-adam), dans les vingt-six occurrences faites dans Genèse 1 à 3[1].

Dieu veut plus que sauver l’humain de sa solitude. Il juge bon de lui créer une aide qui soit son vis-à-vis

En Genèse 2 : 18, les différentes traductions de la Bible nous parlent d’une aide qui soit semblable à lui, d’une aide qui lui corresponde, d’une aide qui soit son vis-à-vis, ou encore d’une aide qui lui convienne parfaitement. La Bible Français Courant va plus loin en indiquant même une notion de difficulté : « Je vais le secourir en lui faisant une sorte de partenaire. »

L’homme / l’humain seul aurait-il donc besoin d’être secouru par quelqu’un d’autre que par Dieu lui-même ? 

En effet dans le Psaume 121 : 1 le Psalmiste demande : « D’où viendra mon secours (ézèr) ? Mon secours (ézèr) me vient de l’Eternel qui a fait ciel et terre. »

Le mot « ézèr » utilisé en Genèse 2 : 18 et sa forme masculine indique que l’aide envisagée n’est pas encore la femme que Dieu créera plus tard[2] ; il amène d’abord à Adam les animaux pour qu’ils l’assistent dans sa tâche de cultiver et de garder le jardin. Ce mot est employé par Dieu lorsqu’il vient en aide aux êtres humains. Il n’y a donc aucune nuance dépréciative. 

Donc il n’est pas bon que l’homme soit seul, mais il n’est aussi pas bon que l’humain soit seul…

Dans quel domaine l’humain aurait-il besoin d’être secouru ? L’Ecclésiaste nous en donne une indication au chapitre 4 : 9-10 : « Deux valent mieux qu’un, parce qu’ils retirent un bon salaire de leur travail. Car, s’ils tombent, l’un relève son compagnon ; mais malheur à celui qui est seul et qui tombe, sans avoir un second pour le relever ! »

Comment peut-on être une aide pour quelqu’un en jouant ce rôle de vis-à-vis ?

Le vis-à-vis, un secours nécessaire

Nous avons donc besoin de vis-à vis, semblable à nous, qui nous corresponde et nous convienne parfaitement afin d’être secouru. 

Mais pour être secouru de quoi, et/ou de qui ? 

La Fenêtre de Johari créée par Joseph Luft et Harrington Ingham en 1955 sert à classer les différentes informations sur une personne :

  • Les informations dont la personne dispose sur elle-même (zone publique et cachée)
  • Les informations dont elle ne dispose pas (zone aveugle et zone inconnue)

Nous voyons dans ce schéma qu’une grande partie de nos actions et réactions sont activées par nos zones aveugles et inconnues. 

De ce fait, les informations dont nous ne disposons pas consciemment interagissent avec les autres sans que nous le voulions. La peur notamment, joue un grand rôle dans nos décisions, fonctionnant comme un levier et un guide, alors que ne le voyons pas. 

Nous avons donc besoin d’être secourus de nous-mêmes et de ce qui nous meut inconsciemment (fausses croyances, forteresses de pensées, peurs diverses…) et qui précède nos actions et nos réactions. 

Le vis-à-vis, un miroir

Comment pouvons-nous vivre cela ? En nous laissant interpeller par nos vis-à-vis. Vis-à-vis veut dire : en face de… ce qui fait penser à un miroir ! La Bible nous parle à certains endroits de cette image du miroir et se présente elle-même comme un miroir pour nos vies (cf. Jc 1 : 22-24 ). Les vis-vis doivent donc nous rappeler cette Parole. 

Dietrich Bonhoeffer nous l’explique : « Telle est la volonté de Dieu : nous sommes tenus de chercher et de trouver sa parole dans le témoignage du frère qu’il met près de nous, en écoutant une parole humaine. Le chrétien a donc absolument besoin des autres chrétiens ; ce sont eux qui peuvent vraiment et toujours à nouveau lui ôter ses incertitudes et ses découragements. En voulant s’aider lui-même, il ne fait que s’égarer davantage. Il lui faut la présence du frère dont Dieu se sert pour lui porter et lui annoncer sa parole de salut. Il en a besoin à cause de Jésus-Christ. Car le Christ que nous portons dans notre propre coeur est plus faible que celui qui nous apporte la parole ; L’un est sûr, l’autre ne l’est pas. Le but de toute communauté chrétienne apparaît ainsi clairement ; elle nous permet de nous rencontrer pour nous apporter mutuellement la bonne nouvelle du salut. »[3]

L’édification passe par des feedbacks constructifs de nos frères et soeurs dont le miroir brisé est en train d’être restauré par Dieu. Ces retours, connectés à Dieu, se font à l’image du créateur qui nous voit, comme des personnes justifiées par la grâce, aimables, compétentes et importantes.

Au-delà d’un retour conditionnel sur ce que nous faisons, qui doit nous faire évoluer, le retour sur qui nous sommes reflète le regard d’amour de Dieu sur nous et nous conforte dans notre identité en Christ.

C’est ainsi que nous vivons concrètement le fait d’être membres les uns des autres, dans cet esprit de vulnérabilité confiante et d’édification.

Pour vivre en membres les uns des autres 

Vivre en membres les uns des autres active cette part de vulnérabilité confiante réciproque et donc ce vis-à-vis, cet « en face de » qui nous permettront de faire les feedbacks constructifs et nous aident à diminuer la zone aveugle et la zone inconnue. 

Mais paradoxalement, ce sont encore ces deux zones-là qui entravent bien souvent cette capacité d’être membres les uns des autres, dans un esprit de vulnérabilité confiante, réciproque et à la manière d’un miroir. 

Il s’agit donc aussi de nous connaître nous-mêmes au travers du créateur, qui nous révèle notre identité, pour mettre une triple dose d’intention dans nos relations d’interdépendance.

Dans les Églises que je côtoie ou que je fréquente, être membres les uns des autres est parfois confondu avec être membres de la même Église. 

Un peu d’édification lors de l’étude biblique, un rappel du haut de la chair, une organisation de responsables et d’équipiers pour coordonner des tâches communes, mais peu de temps formalisé pour pouvoir fonctionner en vis-à vis. Un « Ah c’était chouette aujourd’hui ! » entre deux portes et un « Merci pasteur.e pour le message » ne suffisent pas. 

Il s’agit de pouvoir créer et formaliser des espaces temps de vis-à-vis pour pouvoir dire à l’autre ce que l’on voit de lui, ce que l’on entend de lui, ce que l’on ressent de lui, c’est-à-dire faire le travail de miroir. 

Mais comment savoir que l’autre, le fameux miroir, est bien intentionné, bien positionné et ne fonctionne pas avec sa zone aveugle ? 

Dans le cadre prévu par Dieu

Vous pourriez en plus me dire, en me pointant les deux premiers vis-à-vis ayant existé et dont nous parle la Genèse : « Ces deux premiers vis-à-vis-là n’ont pas travaillé à l’ouverture de leur conscience réciproque. Au contraire, ils ont coopéré pour créer et précipiter leur chute. »

Ils n’ont pas fonctionné en miroir. Nous voyons ici qu’à partir du moment où le péché est entré dans le monde, la connexion avec Dieu s’est brisée, le miroir s’est cassé, obscurci et n’a plus joué son rôle. 

Dieu avait créé un cadre pour le vis-à-vis. Il avait attribué à l’homme et à la femme une mission dans laquelle ils devaient s’entraider, se secourir et s’édifier mutuellement, en un mot : coopérer.

Cela fonctionnait en vis-à vis avec Dieu qui parcourait le jardin pour échanger avec ses deux ouvriers / administrateurs.

Ici, nous apprenons que nous ne pouvons jouer le rôle de vis-à-vis pour les autres qu’en étant connectés à Dieu qui est notre premier vis-à-vis. C’est lui qui nous permet d’être des-vis à-vis les uns pour les autres. Il nous permet aussi de recevoir les vis-à-vis comme une valeur ajoutée pour notre marche spirituelle. 

C’est l’Esprit Saint qui transforme nos interactions en tremplin pour la maturité spirituelle. Le théologien Michel Blanc, nous le rappelle : « Et nous devons savoir que, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, chacun de nous a pour sa part un rôle à jouer pour la construction de nos communautés. »[4]

En conclusion, je dirais que les clés de la coopération sont dans cette citation de Lucie Grasmuck : 

« Le chrétien sait qu’il sert la communauté lorsque son contact s’enrichit avec Dieu et qu’il est en communion aussi étroite avec son Sauveur dans le feu de l’action que dans le silence de la prière. Mais n’oublions jamais son rôle de simple instrument entre les mains de Dieu, et, toujours plus préoccupé d’actions en profondeur que d’activités en surface, il ne partira pas vers la tâche sans l’inspiration d’en haut, il se souviendra qu’une des formes les plus nécessaires de son service est le ministère secret de l’intercession.”[5]

Marie-Christine CARAYOL

Cet article a été publié premièrement sur son blog AltHérité.


Références

[1] Cf. Jacques Buchhold, « Adam », in Le Grand Dictionnaire de la Bible, Excelsis, Charols, 2017, p. 21.

[2] Alfred Kuen, Encyclopédie des difficultés bibliques, Pentateuque, Éditions Emmaüs, Saint-Légier, p. 63.

[3] Dietrich Bonhoeffer, De la vie communautaire, Labor et Fides, Genève, 1995, p. 17.

[4] Sous la direction de Michel Blanc, Pour une bonne gouvernance dans les églises, Olivetan, Lyon, 2016, p. 317. 

[5] Lucie Grasmuck, Dans le secret, 31 méditations dédiés à ceux qui travaillent pour les âmes, 1933, réédition de 1947 par Labor et Fides, Genève, sous la section “Agitation et action”, p. 38.

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8 comments on “Miroir, mon beau miroir…

  1. Claire Poujol

    Merci Marie-Christine c’est tres intéressant !

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