Jésus était un homme… de sexe masculin. Ce fait est parfois invoqué pour exclure les femmes du ministère pastoral.
Quelle masculinité ?
Dieu est l’auteur de la masculinité, tout ce qu’il a créé est « très bon » : nous ne le mettons pas en doute sur ce blog ! Testostérone, poils, muscles … cela fait partie de sa création merveilleuse.
Mais la plupart des cultures humaines se sont construites sur un modèle de domination masculine qui :
- impose la force physique (généralement) supérieure des hommes comme preuve d’une supériorité à tous égards (pourtant, on ne réfléchit pas avec ses biceps…)
- impose par la force ses propres intérêts, jusqu’à considérer l’expérience masculine comme « normative »
La domination est vue comme partie intégrante de la masculinité !
Cette situation avec les dégâts qu’elle occasionne étant remise en cause, les hommes étaient devenus moins « machos ». Mais certains mouvements masculinistes réagissent, prônant le modèle de l’homme « alpha », celui qui sait s’imposer sans apologie. Ce qui amène à une contre-réaction de remise en question d’une masculinité toujours plus « toxique ». C’est en passe de devenir un cercle vicieux…
Ce débat prend place également dans les Églises ! Certains encouragent les frères à être de « vrais hommes » tout en dénonçant une « féminisation » de l’Église. On a alors recours à des stéréotypes et clichés culturels pour établir et imposer ce qui constitue une « vraie masculinité. »
Une masculinité biblique ?
Voici un extrait qui illustre bien cette tendance[1]. Après avoir décrit une action héroïque de son père, l’auteur explique :
« De tels moments sont omniprésents dans l’histoire de l’humanité, chacun d’entre eux se situant quelque part sur un continuum de courage. Bien que ces actes puissent être accomplis aussi bien par des hommes que par des femmes, l’histoire confirme que la détermination, le courage et la bravoure relèvent principalement du domaine masculin. L’apôtre Paul conclut même le livre de 1 Corinthiens en disant « Veillez, demeurez fermes dans la foi, soyez des hommes, fortifiez-vous » (1 Cor 16 : 13-14). Combinez ce texte avec les centaines de passages bibliques parlant de provision, de bataille, de sacrifice et d’honneur, et vous commencez rapidement à voir les différences intrinsèques que Dieu a conçues chez le genre[2] masculin. Oui, il y a eu Débora et Rahab et Esther qui ont fait preuve d’un grand courage, mais elles sont largement dépassées en nombre par les exemples d’hommes courageux comme Josué, Gédéon, Samson, David, Jonathan, Néhémie, les Prophètes, les douze Apôtres, et Jésus lui-même. En fait la Bible regorge d’exemples de force, d’audace, de courage masculins et de responsabilité ‘‘rugueuse’’. Ces moments vont des actes de vaillance ponctuels à des démonstrations extraordinaires de force d’âme, mais le fil conducteur est la virilité masculine ‘‘robuste’’. »[3]
Plutôt que d’exposer le texte des passages rapportant cette panoplie d’évènements bibliques, l’auteur cherche inconsciemment à imposer ses propres valeurs culturelles sur le texte biblique, pour pouvoir ensuite les valider… et ainsi se sécuriser dans son identité. On n’a peut-être pas tort de relever « une crise » !
Mais il s’agit d’une « exégèse » émotionnelle. Puisqu’il cite trois femmes, il est très loin d’avoir prouvé que « la masculinité virile » est le lien qui harmoniserait tous ces exemples. D’autres femmes courageuses habitent le récit biblique. Que dire, par exemple, de Jaël qui enfonça un pieu dans la tête de Siséra à l’aide d’un marteau (Jg 4 : 9, 18) ?
Samson malgré sa force est-il vraiment un bon exemple de « responsabilité rugueuse » (Jg 13 – 16) ? Tamar ne fait-elle pas preuve d’une plus grande « responsabilité » et « fortitude », en assurant – avec les moyens à sa disposition à son époque – une descendance pour son mari défunt, que son beau-père Juda (Gn 38) ? Le grand Moïse ne prétexte-t-il pas sa propre faiblesse et sentiment d’infériorité lorsqu’il hésite devant l’appel de Dieu (Ex 3 – 4) ? Que dire d’Élie fuyant devant Jézabel ? A-t-il fait preuve d’une « ferme résolution » à ce moment-là (1 Rois 19) ? Sa foi était-elle suffisamment ‘robuste’ ?
L’argumentation repose sur une fondation plus que douteuse ! En Israël, les hommes partaient en guerre, et non les femmes. Ce sont donc eux qui se trouvaient engagés dans le combat. Il y avait effectivement cette distinction entre « rôles » masculin et féminin à ce niveau-là. Cela est toujours plus ou moins le cas aujourd’hui. Mais le pendant, c’est qu’on voit plus d’actes de violence répréhensibles commis par des hommes !
La « virilité masculine », tel que l’auteur la conçoit, n’est pas forcément une bonne qualité ; elle peut provoquer des résultats catastrophiques. On trouve la pensée inverse dans Proverbes 16 : 32 : Mieux vaut un homme patient qu’un guerrier ; mieux vaut celui qui se domine que celui qui prend une ville. C’est l’homme qui sait se maitriser qui est à louer… Ni Saül ni Samson ni même David n’ont su le faire.
Distinguons entre la « virilité masculine » en termes d’actes de guerre et les actes de courage pour protéger et sauver. Les femmes bibliques font autant preuve de courage que les hommes : Débora, Rahab, Esther, Abigaïl (1 S 25), protègent et sauvent au risque de leur vie. Cette dernière reprend David pour un excès de testostérone qui le conduisait droit à un massacre, pour sa complaisance vis-à-vis de l’utilisation de la force. Vers la fin de sa vie, Dieu ne permet pas au psalmiste sensible et inspiré de construire le temple, pour avoir « répandu beaucoup de sang » (1 Ch 22).
Si à plusieurs reprises dans le livre des Juges des guerriers sont qualifiés d’hommes vaillants, ce même mot est utilisé pour décrire la force de la femme de Proverbes 31. Cette figure de femme active est mise en scène pourvoyant aux besoins de sa famille, tout comme Ruth le fait pour sa belle-mère en glanant dans les champs.
La masculinité de Jésus
Les exemples proposés dans l’extrait vont crescendo jusqu’à inclure « les Prophètes, les douze Apôtres … et Jésus lui-même », l’auteur tirant très rapidement ses conclusions. Ce saut intempestif dans le Nouveau Testament s’opère sans commentaire, sans relever que le contexte est désormais très différent. Jésus ne recrute pas de vaillants soldats. Lorsque Pierre veut le défendre avec l’épée, Jésus le réprimande. Il met les apôtres en garde contre la tyrannie et la domination à la manière de ce monde (Marc 10 : 42-45).
L’auteur de cet extrait arrive finalement à Jésus lui-même, offert comme exemple ultime de « masculinité à l’état pur ».
Là encore, nous n’avons pas de problème avec le fait que Jésus soit pleinement humain, incarné dans un véritable corps masculin. Cela ne nous dérange pas d’envisager que Jésus, par son métier, ait pu développer une force physique en même temps que sa force intellectuelle, spirituelle et morale. Pas de problème de voir en Jésus un rabbin d’exception qui impressionnait le peuple par l’autorité de son enseignement, ou d’observer que dans sa colère parfaitement maitrisée il a sciemment choisi d’utiliser sa force physique pour renverser les tables dans le temple.

Pour l’auteur que je cite, l’ultime acte qui démontre la masculinité de Jésus, c’est ce courage résolu qui l’amena à la croix. Il écrit :
« Voici mon hypothèse : à cause de la féminisation de Jésus, la haine culturelle de la masculinité, et le manque d’exposition fidèle de l’écriture, nous avons été conditionnés à ne pas reconnaître la puissante masculinité et le courage viril de Jésus. Nous, en tant qu’Église, arrivons à voir de tels attributs chez Daniel ou Josué ou Samson. Nous les acceptons volontiers dans les chroniques de guerre de David et la décapitation de Goliath. Mais, bizarrement, nous ne sommes pas prêts à le reconnaître dans le ministère de Christ et la décapitation du serpent du péché. Dans cet article, cependant, je tenterai de déterrer et révéler la virilité féroce de Christ. Je vais argumenter qu’il n’est pas seulement un agneau sacrificiel mais aussi un lion conquérant. »
Sans relever que cette victoire de Christ fut une bataille spirituelle, l’auteur procède ensuite à critiquer une Église efféminée et, bien sûr, les femmes leaders non-soumises.
Son attachement à une idéalisation culturelle de la masculinité le pousse à l’encenser dans son analyse superficielle, et à l’intégrer à l’image qu’il a de Jésus. Il va jusqu’à prétendre que seul un être humain masculin pouvait donner sa vie, que c’est littéralement grâce à sa testostérone que Jésus a été capable d’affronter la mort. Il cite Hébreux 2 : 14-18 comme preuve. Il écrit :
« Si vous détestez la masculinité, vous détesterez le Jésus biblique. Il ne s’intéressait pas à ‘‘connaître son côté féminin’’, Il n’était pas non plus le dominateur macho et chauviniste que certains hommes ratés sont devenus. Jésus incarne le masculin idéal – un pilier dans la mission, audacieux, obéissant jusqu’à la mort, sans crainte dans sa proclamation de la vérité, sacrificiel dans ses actes d’amour, et déterminé à faire la volonté de son Père. Jésus exerçait la force, l’autorité et le contrôle d’une manière qui indique qu’il était viril et robuste. Oui, il est également vrai que notre Seigneur incarnait des traits plus doux, mais ceux-ci ne sont pas efféminés dans leur nature mais, bien évalués, ils viennent compléter la vraie masculinité. »[4]
On arrive là au cœur de sa pensée, et à la racine de sa dénonciation d’une Église efféminée qui tolère l’existence du ministère pastoral de la femme.
Il ne voit pas la masculinité et la féminité biologiques comme deux états d’une humanité partagée, mais comme un clivage total, l’humanité scindée en deux : pour lui il s’agit de deux pôles qui s’éloignent l’un de l’autre. Il détaille quatre caractéristiques de Jésus réservés aux hommes : la hardiesse (interdite aux femmes !), l’intrépidité, l’amour sacrificiel (car l’amour pousse à combattre) et la détermination. De toute évidence, cette façon de penser le sécurise dans son identité idéale de protecteur, de héro.
Équilibre
Pourtant, la révélation biblique est claire : la femme « chair de ma chair, os de mes os » (Gn 2) partage la même nature et la même expérience humaines. Dieu donne le nom générique et englobant d’Adam à ces deux expressions (Gn 1 ; Gn 5.).
L’auteur ne voit même pas que dans la nécessité de rendre (brièvement) compte de la douceur manifestée par Jésus, il attribue à la seule masculinité tous les traits de caractère humains et toute la responsabilité. Que reste-t-il pour les femmes ? Une hyper-féminisation avec le refoulement de toute caractéristique jugée masculine et la suppression volontaire de la moindre aptitude à pourvoir, secourir, protéger et, bien entendu, conduire… Bref, une passivité extrême, une fausse douceur qui n’est qu’inertie.
Jésus avait une biologie masculine, certes ! Mais l’auteur exagère la masculinité de Jésus jusqu’à l’élever au-dessus de son humanité et d’en faire le centre. Il était Fils de l’Homme – huios anthropos – pleinement un être humain. Il ne portait pas le titre de : fils masculin.
Ce genre d’idée populaire semble se propager… J’ai choisi d’aborder le sujet à travers cet article « extrême » pour démontrer que de telles idées ne reposent que sur de fausses analyses habillées en réflexion théologique[5].
Mais il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Déjà les pères de l’Église et les théologiens du Moyen Âge, et même de la Réforme, exaltaient la masculinité au-dessus de la féminité comme « vraie » image de Dieu. Mais si c’était le cas, comment alors un Christ masculin pourrait-il sauver réellement les femmes ? N’y a-t-il pas autant de façons d’être masculin qu’il y a d’individus de sexe masculin ? Ne réduisons pas les frères à de simples clichés. Ces argumentations contre l’exercice du ministère pastoral par les femmes font aussi du tort aux hommes.
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« La Bible est claire, il suffit de la lire »
« N’oubliez pas l’ordre créationnel »
« L’autorité masculine »
« L’homme est le chef de la femme »
« 12 disciples, tous des gars »
« La tradition »
« La volonté de Dieu »
#bingodesclichés est un bingo des phrases entendues couramment. Un bingo de certaines idées reçues sur le ministère (pastoral) des femmes. En 9 courts articles nous aimerons y apporter une réponse et donner des pistes pour aller plus loin.

Références
[1] Dale Partridge, « The Masculinity of Christ in the Face of Effeminate Christianity », mars 2022, en ligne : https://relearn.org/the-masculinity-of-christ-in-the-face-of-effeminate-christianity/, consulté le 03/06/2022.
[2] Le texte anglais comporte un lapsus révélateur genus au lieu de genre. Or, genus signifie espèce. Pourtant il n’y a qu’une seule espèce humaine, l’espèce masculine n’existe pas.
[3] Le lecteur anglo-saxon du texte anglais reconnaît dans les mots ‘rough’(rugueuse) et ‘rugged’ (robuste) l’image du cowboy du Far West américain…
[4] Pour bien représenter la pensée de l’auteur, notons qu’il veut dénoncer ici une idée théologique selon laquelle Jésus incarnerait l’homme et la femme, notion qu’il attribue à F. W. Robinson. Ce dernier écrivait au 19ième siècle : « Il existe chez Lui le cœur féminin – et aussi le cerveau masculin ». Il pense que Robinson indique que la biologie même de Jésus était unique, comme celle d’Adam avant qu’Eve soit « extraite » de lui.
[5] Référence à F.W. Robinson et Dr Alastair Roberts.
Conseillez à l’auteur que vous citez Matthieu 23.37, un bel exemple de Jésus qu’il ferait bien de méditer !
Bonjour,
je ne peux m’empêcher de réagir très vite à votre article (percutant
et excellent !) tant cette notion de la masculinité développée par certains chrétiens est effrayante et surtout anti-biblique !
Si j’ai bien compris, Jésus était un homme de la même nature
que nous sauf le péché et tout ce qu’il a pu faire ou supporter,
il l’a réalisé par la puissance du Saint-Esprit, et non par sa capacité
humaine: exemple extraordinaire car c’est le même Saint-Esprit qui
vit en nous, que l’on soit homme ou femme !
Ce modèle de masculinité resurgit dés qu’il y a des avancées pour
les femmes dans le monde. (résistance, peurs, orgueil, refus de
remise en question, de perte des privilèges, des repères….. ?)
On aura malheureusement ce problème jusqu’au retour du Christ.
La réflexion sur ces questions est cruciale car les femmes
y contribuent aussi malheureusement.
II est surprenant que les hommes qui ont le plus reçu de lettres d’amour
dans l’histoire sont des dictateurs : Hitler, Staline , Mao, Bokassa,….
Hommes et femmes sont fascinés par une compréhension diabolique
de la virilité liée au pouvoir mal compris.
MERCI de nous aider à déconstruire ces modèles masculin ou féminin
du monde de la chute et qui nous influencent encore beaucoup, et le plus grave même dans notre lecture de la bible afin de
reconstruire sur la base de l’enseignement du Christ.
Merci ! Je me demande toujours pourquoi les hommes qui sont si sûrs de la prédominance masculine, ne se ‘fabriquent’ pas eux-mêmes et ont besoin du corps d’une femme pendant 9 mois pour devenir un être humain, sans omettre les temps de la petite enfance… En mettant toujours les forces physiques en avant, c’est cacher une frustration psychologique par rapport à cette obligation “naturelle” de passer par la force féminine de l’engendrement…
Dieu choisit Marie pour concevoir un fils, le fils unique de Dieu, Jésus.
Le Fils de l’homme a l’ADN de son Père par le Saint-Esprit et Dieu a choisit celui de la femme Marie.
Dieu choisit son prénom.
Joseph a obéit et a pris soin de Jésus comme son fils. Quelle belle image de l’homme dans son son rôle d’Epouse de Jésus-Christ.
Marie et Élisabeth ont porté les 2 nourrissons qui ont participé au commencement de la nouvelle alliance entre Dieu et les hommes. “Dès qu’Élisabeth entendit la salutation de Marie, son enfant tressaillit dans son sein, et elle fut remplie du Saint-Esprit.
Luc 1:41 LSG”
Ne sommes-nous pas hommes et femmes, Épouse de Jésus-Christ en tant qu’Eglise ?
“Ne faites rien par esprit de parti ou par vaine gloire, mais que l’humilité vous fasse regarder les autres comme étant au-dessus de vous-mêmes.
Philippiens 2:3 LSG”
“Arrêtez, et sachez que je suis Dieu: Je domine sur les nations, je domine sur la terre.
Psaumes 46:11 LSG” Alléluia !
Bonjour,
Moi qui suis un… homme, je vous remercie vivement pour votre article. Il m’a fait découvrir – encore ! – un nouvel argument contre l’engagement des femmes dans les ministères de responsabilité dans l’Eglise, et un argument aussi fallacieux que les autres.
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