Progresser en Église

Regard psychologique sur la collaboration hommes-femmes

Nathalie Van Opstal Fulco, psychologue et engagée dans un ministère pastoral en Belgique avec son mari a accepté de répondre à nos questions. Un grand merci !

Servir Ensemble : Quand les fonctions pastorales sont exercées uniquement par des hommes, quelle influence cela a-t-il sur la perception qu’ont les hommes et les garçons de l’Église sur eux-mêmes et sur les femmes et les filles ? Et vice-versa sur la perception des femmes et des filles sur elles-mêmes et sur les hommes et les garçons ?

Une première remarque qui va permettre de répondre à cette question est que la répartition de la présence masculine ou féminine ne semble pas se poser dans tous les ministères. En effet il est fréquent de voir des hommes et des femmes dans les ministères tels que la musique, l’école du dimanche, la jeunesse ou encore la relation d’aide (dans plusieurs de ces domaines, il semble même que la représentation féminine soit plus importante).

Cependant il est souvent plus délicat d’envisager cette complémentarité en ce qui concerne le ministère pastoral et particulièrement celui de l’enseignement, de la prédication et de la direction d’Église. Nous voyons en effet dans ce domaine une surreprésentation masculine.

Psychologiquement et socialement cela renforce la représentation stéréotypée des rôles dits masculins et féminins véhiculée largement par le monde.

Même si cela a considérablement évolué, la société a largement répandu l’idée qu’il existe des métiers dits féminins liés à la douceur, la fragilité et l’intérieur comme tout ce qui touche aux soins, aux courses, à l’éducation des enfants et aux tâches ménagères… Et qu’il existe des métiers dits masculins liés à la force, la virilité et le monde extérieur comme le travail de pompier, d’ambulancier, de directeur avec une idée d’autorité naturelle masculine.

De plus dans certains métiers où il y a néanmoins une représentation des deux sexes, il y a ce qu’on appelle le « plafond de verre » c’est-à-dire que les femmes peuvent progresser dans la hiérarchie de l’entreprise, mais seulement jusqu’à un certain niveau et qu’elles sont en grande partie absentes du sommet de la hiérarchie. Dans le monde des affaires par exemple de nombreuses femmes travaillent aussi bien que les hommes, mais les hommes atteindront plus facilement un poste de PDG que leur collègue féminine.

Ces représentations sous-entendent qu’un rôle de direction, de leadership ne peut être assumé que par les hommes malgré de nombreux contre-exemples.

Malheureusement cette « culture » n’épargne pas l’Église qui a souvent une image dévalorisante de la femme par mauvaise interprétation des textes bibliques.

Cela peut entraîner une image de supériorité, un « machisme » inconscient et pousser les hommes à camper dans des rôles stéréotypés dans tous les domaines de leur vie, c’est-à-dire non seulement dans l’Église, mais également dans leur couple et leur famille. Ce qui peut créer des relations tendues avec leur épouse, des soucis de communication et de relation avec leurs enfants. Cette vision sera bien entendu transmise à leurs enfants : les garçons, futurs hommes de demain et les filles, futures femmes de demain penseront de la même manière.

Les femmes quant à elles intègrent également une image d’elles-mêmes dévalorisée et des rôles stéréotypés de « soumission » et n’envisagent par exemple pas de s’impliquer dans d’autres fonctions que l’école du dimanche ou la cuisine même si cela ne correspond ni à leurs dons ni à leurs aspirations.

Cela entraîne des frustrations de part et d’autre, car certains hommes n’ont pas nécessairement l’âme ou l’appel d’un leader et certaines femmes sont appelées et se sentent à l’aise à l’idée de diriger. Il est triste de savoir que tout comme dans l’histoire certaines femmes diplômées n’ont jamais pu exercer leur métier, de nombreuses femmes formées à la théologie et compétentes n’ont jamais pu exercer de rôle dans le leadership et l’enseignement au sein de l’Église.


Servir Ensemble : Est-ce qu’il y a des barrières psychologiques qui peuvent empêcher une Église de faire le pas d’ouvrir le ministère pastoral à une femme ? Et quelles pistes pour franchir ces barrières ?

Je pense que les barrières sont à la fois d’ordre psychologique, culturel, éducationnel et religieux et que cela se mélange.

En effet nous sommes héritiers d’une longue histoire où la condition de la femme, son rôle et aussi sa position dans l’Église n’ont souvent pas été des meilleurs, notamment suite aux interprétations des textes de l’apôtre Paul. Si vous naissez dans une famille dans laquelle on ne cesse de vous dire qu’une femme ne peut ni enseigner ni diriger et qu’on vous le prouve avec des versets bibliques, vous aurez bien du mal à vous faire votre propre opinion et à discerner la volonté de Dieu. Votre sentiment de sécurité sera mis à mal si l’on vous annonce le contraire.

Bien que les femmes exercent des fonctions de responsabilité dans le monde laïque, il semble que certaines Églises s’opposent fermement à ce que cela soit pareil dans l’Église en insistant sur une représentation archaïque de la famille et du rôle de la femme au sein de celle-ci. Ces barrières peuvent être non seulement dans la tête des hommes, mais également dans celle des femmes. En effet elles sont parfois les premières à s’opposer au ministère pastoral féminin.

Une des pistes pour franchir ces barrières est d’écouter les craintes de part et d’autre et de répondre aux diverses questions quant aux rôles que les hommes et les femmes peuvent prendre au sein de l’Église. Il s’agit en fait de « déconstruire » les préjugés et stéréotypes avec douceur afin de restaurer une image positive aussi bien de l’homme que de la femme et d’insister sur leur complémentarité au lieu d’utiliser leur particularité pour les opposer.


Servir Ensemble : Dans la pratique, plusieurs témoignent du fait que c’est une richesse d’exercer le ministère pastoral en binôme (homme et femme). Est-ce que vous voyez des bénéfices pour la santé psychologique de l’Église quand le ministère pastoral est vécu à deux ?

Il y a un réel bénéfice pour la santé psychologique de l’Église quand le ministère pastoral est vécu à deux.

En effet l’Église étant considérée comme un corps, « une famille », il est intéressant de faire un premier parallèle avec l’importance de la collaboration de l’homme et de la femme, « le père et la mère », dans l’éducation des enfants au sein de la famille. Le père et la mère jouent des rôles complémentaires qui encouragent le développement à la fois psychologique et social de l’enfant. Nous nous basons bien sûr sur un modèle actuel de la famille où de plus en plus de pères partagent l’éducation et les diverses tâches avec les mères. Ensemble, ils pourvoient aux besoins de la famille et éduquent leurs enfants.

Au niveau des premiers instants de la vie du nouveau-né, la mère joue un rôle capital, c’est en effet elle qui le plus souvent répondra à ses besoins immédiats, notamment si elle l’allaite. Et même s’il est normal de dire qu’au début le rôle de la mère est prédominant dans la vie de l’enfant, elle doit laisser le père prendre sa place, l’encourager à jouer son rôle et à faire partie de l’univers du bébé. Ces moments de soins et d’amour de la part du père et de la mère sont très importants pour développer le sentiment de sécurité chez l’enfant.

Au niveau de l’autorité, la présence des deux est importante également, car il faut qu’ils se mettent d’accord sur les points essentiels à faire respecter par l’enfant, qu’il y ait les mêmes « interdits » chez les deux parents, une identification claire pour l’enfant de ce qui est permis ou pas. Il doit être au clair avec la punition qu’il risque s’il enfreint la règle et il doit savoir que c’est la même chose qu’il soit avec son père ou sa mère. Un autre élément important pour éduquer l’enfant c’est la présence de l’union, de la confiance et du bonheur dans le foyer. Quand la communication est difficile, qu’il n’y a ni affection ni discipline, l’échec et la destruction sont souvent au rendez-vous.

Il en va de même dans les différents ministères dans l’Église : cette complémentarité du rôle de la femme et de celui de l’homme est essentielle pour un développement épanouissant et sain de toute l’Église.

Finalement les hommes et les femmes sont comme des « pères et mères » spirituels donnés aux « enfants » de Dieu qui constituent l’Église. Dieu a voulu et créé cette union et cette complémentarité de l’homme et de la femme (cf. Genèse 2.18), complémentarité qui n’exclut ni l’un ni l’autre du ministère pastoral et du leadership.

Nous faisons un dernier parallèle avec la gestion d’équipe. Dans le management on sait que travailler en équipe permet de réaliser des projets plus grands que si l’on travaille individuellement. En effet on peut alors bénéficier de l’expérience collective, grâce aux connaissances et compétences de chacun, comme Aristote l’a déjà dit : « Le tout est plus grand que la somme des parties. » Les exemples sont nombreux : dans le domaine de la médecine on sait bien que le chirurgien a besoin de l’anesthésiste et des infirmières pour réaliser son opération et le chef d’orchestre a besoin de ses musiciens pour réaliser sa symphonie.

L’Église est appelée à s’inspirer de ces expériences et exemples (les illustrations bibliques sont d’ailleurs nombreuses à ce sujet) : travailler en équipe est essentiel et ce qui doit compter n’est pas le sexe du co-équipier mais bien ses atouts, ses compétences et l’appel de Dieu sur sa vie.

Certains (hommes ou femmes) seront sensibles à certaines choses où d’autres (hommes ou femmes) ne verront peut-être pas d’intérêt et vice-versa.

« Deux valent mieux qu’un, parce qu’ils retirent un bon salaire de leur travail. Car, s’ils tombent, l’un relève son compagnon ; mais malheur à celui qui est seul et qui tombe, sans avoir un second pour le relever ! » (Qohélet 4.9-10)

Sans rentrer dans les préjugés et la différenciation des cerveaux : souvent une femme « cernera » plus facilement les préoccupations d’une autre femme et un homme « cernera » plus facilement les préoccupations d’un autre homme, sur le plan psychologique et/ou physiologique. On peut facilement comprendre que s’il manque la représentation d’un sexe dans un ministère pastoral, on sera bloqué dans certaines situations.

Une chose est sûre : que les rôles occupés par l’un ou l’autre soient différents ou identiques, ils se complètent et en formant l’unité, rassurent le peuple de Dieu et reflètent la volonté de Dieu pour son Église.

« Car, comme le corps est un et a plusieurs membres, et comme tous les membres du corps, malgré leur nombre, ne forment qu’un seul corps, ainsi en est-il de Christ. Nous avons tous, en effet, été baptisés dans un seul Esprit, pour former un seul corps, soit juifs, soit grecs, soit esclaves, soit libres, et nous avons tous été abreuvés d’un seul Esprit. Ainsi le corps n’est pas un seul membre, mais il est formé de plusieurs membres » (1 Corinthiens 12.12-14).


Quelques mots de présentation

photo

Nathalie Van Opstal Fulco est mariée et mère de 3 enfants (2 garçons de 19 et 14 ans et 1 fille de 10 ans), avec 1 chien, 1 chat et 1 tortue ;-).

Elle vit en Belgique à Herchies (Jurbise, pas loin de Mons) et a un master en psychologie clinique. Elle s’est spécialisée en psychothérapie systémique, est formée à la CNV et en cours de formation à la psychologie positive. Elle travaille également comme coach scolaire et fait en tant que psychologue, psychothérapeute et trésorière partie de La Houlett-Psy, un réseau belge de psychologues qui travaillent dans une perspective chrétienne.

Elle est membre fondatrice de l’Église Les Fontaines de Silo à Herchies (Jurbise) où elle est engagée dans la louange et dans un ministère pastoral avec son mari depuis 4 ans.

Crédit photo en tête d’article: Elaine Casap

2 comments on “Regard psychologique sur la collaboration hommes-femmes

  1. Marie-Rose

    Bonjour,
    ce qui me semble le plus intéressant dans la présence d’un couple de pasteurs,
    c’est la possibilité de s’organiser pour éduquer leurs enfants à égalité.
    Tant que dans la société, ce problème ne sera pas résolu justement,
    il sera difficile aux femmes de s’engager dans des postes à responsabilité, car historiquement et
    culturellement cette charge leur incombe. La culpabilité même inconsciente
    joue beaucoup , ce qui est très peu le cas pour les hommes, même si cela évolue.

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