Le complémentarisme et la culture qui l’environne… quels effets peuvent-ils avoir ? Un écrit poignant qui nous pose de bonnes questions. Aujourd’hui, plongez dans un récit, originellement publié par la CBE.
Par Mikaela Bell, publié pour la première fois en anglais le 24 juin 2020.
Note de l’éditeur : Il s’agit de l’une des 15 meilleures gagnantes du concours littéraire de CBE. Nous vous laissons apprécier !
Lorsque femmes et hommes partagent leurs histoires concernant les douloureux enseignements de l’Église sur le rôle des sexes, nous nous attendons à entendre des récits clairement épouvantables. Nous avons entendu parler à plusieurs reprises d’Églises ayant maltraité et rabaissé les femmes jusqu’à ce que leur santé mentale, physique et spirituelle soit irrémédiablement détériorée. Ces types d’expériences ont tendance à être les conséquences d’un patriarcat plus strict, ou d’un complémentarisme « dur ».
Nous savons également que le problème du patriarcat théologique est beaucoup plus répandu que beaucoup d’entre nous ne l’imaginent, et il n’est pas toujours aussi manifeste. Nous avons tous entendu des gens dire des choses comme « la théologie complémentarienne n’est pas le problème – le péché l’est » ou « le complémentarisme fonctionne très bien si les hommes prennent le Christ comme modèle de manière appropriée ». Il en existe cent variantes qui se résument toutes à : « Cet argument n’est pas pertinent parce que mon Église n’est pas abusive ». Pour les complémentariens « modérés », tout cela prouve que nous sommes obsédés par la mauvaise chose.
Le vrai problème est que la théologie complémentarienne elle-même – y compris le complémentarisme « modéré » – jette les bases d’abus et peut avoir des conséquences néfastes, même involontaires, dans toutes ses expressions.
En lisant mon expérience, vous comprendrez pourquoi je me sens légitime pour faire cette affirmation.
Mes fondations
J’ai grandi dans une Église baptiste de la classe moyenne blanche où les filles devaient aller à l’université et étaient au moins autorisées à travailler en dehors de la maison. On ne m’a jamais dit que je valais moins qu’un garçon, que je devais mettre mon intelligence de côté ou que je n’avais pas de droits. On me disait que j’avais plus besoin d’amour que de respect. L’Église était « conviviale pour ceux qui souhaitaient en savoir plus », et les sermons étaient donc thématiques et suivaient souvent la formule : « Que pense Dieu de ____? » ainsi qu’une multitude de versets bibliques sortis de leur contexte.
L’un de ces sujets était : « Que pense Dieu des femmes pasteures ? » Bien sûr, un rapide coup d’œil aux versets pertinents semblait clarifier les choses : « Je ne permets pas à une femme… » (1 Tim 2 : 12, LSG) et encore des passages tels que 1 Cor 11 : 3 ; 14: 34–35; Éphésiens 5 : 22–24. Il n’y avait pas de place pour le débat. Ces croyances et ces enseignements ont eu des conséquences pour ma propre famille plus d’une fois. Ma mère a fait tout le travail d’un pasteur de louange pendant trois ans avant d’être mise à l’écart sans ménagement en faveur d’un homme, une fois décidé que ce poste serait rémunéré et qu’un titre y serait attaché. Un jour, lorsque les anciens sont venus chez nous pour prier pour mon frère qui avait des problèmes comportementaux, ma mère et moi avons été priées de partir. Notre présence pouvait miner leur capacité à prier avec autorité. De cela, j’ai appris que même ma présence pouvait être une menace spirituelle.
Tout cela se passait pendant que je fréquentais une école publique, apprenant la pensée critique, l’analyse textuelle et le sexisme. Mais la Bible me paraissait très claire, et il me semblait inopportun de la soumettre au même type de lentille analytique utilisée pour d’autres textes. Dieu l’avait préservée exactement comme il voulait que nous l’ayons. La plupart du temps, j’essayais de ne pas trop y penser. Quand un enseignant de l’école a demandé si on nous avait déjà dit, à nous les filles, qu’il y avait des choses que nous ne pouvions pas faire parce que nous étions des femmes, je n’ai pas levé la main. Être pasteure d’une Église ne comptait pas. D’ailleurs, je n’étais pas appelée à être pasteure. Rien dans la Bible ne disait que je ne pouvais pas devenir universitaire. Et si je devais être sous l’autorité de mon mari, eh bien, il n’était jamais dit qu’il devait revendiquer cette autorité. L’autorité ne compte que si vous l’exercez, non ?
Mais il doit y avoir une raison pour laquelle tu n’es pas autorisée à diriger, répétait toujours une voix lancinante dans un coin de ma tête. Tu fuis cette raison.
Je n’ai pas besoin de raison, répondais-je. Les voies de Dieu étaient mystérieuses. Pas besoin de chercher à comprendre.
Le tournant…
Pendant ma première année à l’université, j’ai commencé à fréquenter un garçon. C’est une histoire beaucoup trop classique : deux jeunes célibataires se retrouvent et confondent l’enthousiasme initial des émotions avec l’amour. Nous avons commencé à parler mariage presque immédiatement. Sauf, bien sûr, que cela a inévitablement conduit à une discussion sur les rôles assignés à chacun des sexes, et c’est là que j’ai découvert que ce gars n’était pas tout à fait ce que j’espérais. Il n’y aurait aucune abdication d’autorité avec lui !
Je pense qu’il comprenait le rôle d’un mari comme étant similaire à celui d’un parent aimant. Sauf que je ne voulais pas épouser un parent aimant. Je voulais un partenaire.
Je voulais être désirée comme partenaire. Je pensais que les filles non chrétiennes avaient tout le temps des hommes qui voulaient être sur un pied d’égalité. Je savais qu’elles avaient tort, mais je les enviais quand même.
Ne pouvant supporter le mariage selon ses conditions, nous avons alors rompu.
Puis j’ai commencé à douter de moi. La Bible était claire. Dieu était de son côté. J’allais contre Dieu. J’ai donc commencé à faire des recherches. Les recherches en ligne m’ont conduite vers des écrits d’hommes comme John Piper et Wayne Grudem, semblant confirmer mes pires craintes. Ma mère m’a remis The meaning of marriage de Tim et Kathy Keller, qui était plus doux dans son approche, mais ne fournissait aucune réponse satisfaisante. Puis une personne que je connaissais, appartenant à un ministère étudiant sur le campus, m’a prêté Women, Authority, and the Bible, un ouvrage collectif dirigé par Alvera Mickelsen et Men and Women in the Church de Sarah Sumner.
Lire ces deux livres fut pour moi comme trouver une rivière après une existence passée dans le désert. Je n’avais jamais imaginé qu’il pouvait y avoir tant de choses sur ce sujet. Et pourtant, ces gens lisaient la Bible très différemment de ce qu’on m’avait enseigné. Ils examinaient des passages entiers comme un tout. Ils ne demandaient pas : « Que dit-il ? » mais, « Pourquoi est-ce dit ? » Ils examinaient la signification des mots grecs et les comparaient également à la manière dont d’autres auteurs grecs les utilisaient. Ils avaient étudié pendant des années avant d’en arriver à leurs conclusions.
Temps de crise
On m’avait toujours dit que la Bible était le guide personnel de Dieu pour ma vie. Tout problème ou question pourrait être résolu simplement en recherchant les versets appropriés et en les appliquant. Maintenant, ces auteurs égalitariens semblaient laisser entendre qu’il me fallait faire une étude longue et approfondie de toute question importante afin de comprendre ce que la Bible avait à dire à ce sujet. Il me faudrait même apprendre le grec. Les pasteurs ne sont-ils pas allés au séminaire pour nous éviter de faire tout ce travail ? Qui pensais-je être, pour remettre en question des milliers d’années de théologie patriarcale ? Et si je commençais à faire ça, où cela finirait-il ?
Non ! Je décidai que je devais pouvoir prendre ma Bible au pied de la lettre. Et donc, un soir, j’ai ouvert ma concordance et j’ai lu tous les versets de la Bible qui parlaient des femmes. J’ai décidé de lire les versets, puis de suivre ce qu’ils disaient, peu importe à quel point cela pouvait me faire mal.
C’est ainsi que je suis parvenue à plusieurs conclusions importantes. D’abord, j’ai conclu que je n’avais pas été créée pour Dieu, mais que j’avais été créée pour l’homme. Genèse 2 : 18 a clairement déclaré que Dieu a fait de la femme l’aide de l’homme. Toute mon existence était basée sur son besoin d’une assistante. Eve avait démontré ce qui se passait lorsque nous essayons de trouver notre propre chemin. Et les voies de Dieu n’étaient pas si mystérieuses après tout, parce que la Bible dit de manière claire que les femmes ne sont pas autorisées à enseigner aux hommes parce que nous sommes plus faibles qu’eux (1 Tim 2 : 11-15). Aucun « ni homme ni femme…en Christ » (Gal 3 : 28, LSG) ne pourrait saper ces faits froids et durs.
Deuxièmement, toutes les femmes que j’avais rencontrées ne respectaient pas ce mandat créationnel parce qu’elles investissaient du temps et de l’énergie à travers des identités existant indépendamment de leur mari. Je n’avais pas droit à mes propres rêves et ambitions ! J’étais faite pour ses rêves et ses ambitions ! Et si accepter ce fait était comme se noyer, alors c’était le résultat de la chute, de ma rébellion. Après tout, nous avons été appelés à « mourir à nous-mêmes », non ? Je ne trouverais de véritable épanouissement que si j’arrêtais d’exister en tant qu’être humain à part entière.
Maintenant, je voudrais à nouveau souligner que je n’ai jamais appris quoi que ce soit de tel à l’Église. Je suis arrivée à ces conclusions par moi-même, mais en utilisant le cadre « soft comp » qui m’avait été donné. Je suis sûre que si mon ancien pasteur lisait ceci maintenant, il serait horrifié. Il dirait – à juste titre – que j’avais été trompée. Et pourtant, c’était le résultat de son enseignement. Je lisais la Bible comme il nous l’avait montré, sermon après sermon remplis d’extraits bibliques soigneusement choisis pour soutenir son propos de la semaine. « Vérifiez ce que je dis », disait-il toujours. « Vous verrez que tout est là-dedans. » Et j’en ai conclu que c’était le cas.
Lorsque la dissonance cognitive est pleinement confrontée, la théologie « soft comp » ne peut avoir que deux résultats possibles. Soit vous la suivez jusqu’à sa conclusion logique, soit vous la rejetez complètement et devenez un égalitarien. J’avais choisi de la suivre, jusqu’à sa conclusion misogyne et amère.
Ce fut la seule fois de ma vie où j’envisageais sérieusement le suicide.
Appelée à une nouvelle vie
Ma marche aurait pu s’arrêter là d’une manière ou d’une autre ; sauf que quelque chose s’est produit. Je me souviens avoir été allongée là, seule dans mon dortoir, à pleurer et à implorer Dieu de me laisser en finir avec ma vie. Comment un Dieu qui avait voulu mourir pour moi pouvait-il être si indiciblement cruel ? Mais, en fait, il n’était pas vraiment mort pour moi, parce que la Bible dit, très clairement, que les femmes sont sauvées par la maternité (1 Tim 2 :15). J’ai été créée pour l’homme, pas pour Dieu. Dieu ne se soucie pas de ce que je peux ressentir.
Puis, derrière mes paupières fermées, j’ai vu, j’ai entendu, j’ai ressenti avec tous mes sens, un jardin. Je me tenais dans le jardin, et je pleurais. J’étais Marie-Madeleine : Toute ma vie, j’avais été utilisée, mise de côté, utilisée et mise de côté, et j’avais pensé que cette misère sans fin était tout ce qu’il y avait, puis Jésus était venu. Et il m’avait vue. Pour la première fois de ma vie, quelqu’un m’avait vue. J’ai pensé : « J’ai enfin vu le Dieu qui me voit. » Il avait chassé mes démons et je l’avais suivi. Je m’étais assise à ses pieds, parmi ses disciples, et j’avais vraiment osé croire en l’avenir. Et maintenant, il était mort. Et ils n’avaient même pas eu la décence de laisser son corps tranquille.
J’ai entendu des pas derrière moi. Je me suis retournée. Il a prononcé mon nom. J’ai couru vers lui.
Alors que les images disparaissaient, Jésus me dit : « Comment peux-tu lire ceci et croire encore toutes ces choses horribles à mon sujet ? »
Je me suis réveillée avec ses mots résonnant toujours dans ma tête. Ils n’ont jamais cessé de résonner.
Il est difficile de discuter quand Jésus fait une apparition personnelle dans votre dortoir. Cela ne veut pas dire que le reste du chemin a été facile. J’avais besoin de beaucoup plus de prières, de conseils et de signes plus directs de Dieu pour vraiment trouver la paix avec la théologie égalitarienne. Et j’avais beaucoup de travail à faire. Au lieu de simplement lire ma Bible tous les jours, pour la première fois de ma vie, j’ai dû commencer à l’étudier.
Aujourd’hui, ma foi est plus profonde et plus grande que je ne l’aurais jamais imaginé, et c’est parce que Jésus m’a libérée.
Pour l’article d’origine, cliquez ici.
Traduction : Dominique Montefia
Sur ce sujet voir aussi :
Pour un complémentarisme égalitarien de Joëlle Sutter-Razanajohary
Egalitarienne et d’autant plus soumise à mon mari de Victoria Declaudure
Bonjour,
ce témoignage est très important car il permet de réaliser que nous sommes
nombreuses à avoir vécu cette sorte de “schizophrénie”, entre le rôle que
la famille, la société ou l’église attend de nous et le témoignage intérieur.
Ce qui est terrible, c’est que,même quand l’acceptation est volontaire (elle est
en fait un conditionnement subtile, qui peut conduire au suicide, mais aussi
certainement à des dégâts considérables, à une autre forme de mort…….)
Il est URGENT pour cela de remettre en question notre lecture de la bible,
déformée par nos préjugés, nos conditionnements et toutes nos projections,
pour que la Vérité du Christ triomphe dans nos vies, comme elle a triomphé
dans celle de Mikaela et de la mienne aussi.
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