Progresser en Église

La volonté de Dieu #bingodesclichés

« Ce n’est pas la volonté de Dieu ! » Ainsi semble parfois se régler la question de la prédication ou de l’exercice de l’autorité dans l’Église par une femme. 

Assortie de versets bibliques comme 1 Corinthiens 14 : 33-35 ou 1 Timothée 2 : 11-12, cette affirmation offre cette solution au problème : quels que soient les dons qui leur ont été confiés, l’éventuel appel qu’elles ressentent ou encore les besoins du service de l’Évangile, nos sœurs en Christ doivent se soumettre à cette volonté évidente de Dieu : elles ne peuvent pas enseigner ou conduire l’Église, ou alors seulement dans certains contextes restreints et plus ou moins précisément définis. 

Contrevenir à cet ordre établi, c’est contrevenir à la volonté de Dieu. Si bien des frères et sœurs habités par cette conviction cherchent à la vivre avec sensibilité devant le Seigneur et leurs semblables, tel n’est pas le cas de tous. Dans l’Église, ou sur les réseaux sociaux, ce raisonnement permet à certains de censurer rapidement toute prise de parole féminine ou désir d’une femme de participer à une réflexion ou décision.

À ce sujet, il me vient deux remarques.

Une question complexe

La première, très brièvement, est que le sujet n’est pas si simple que le croient certains. Je ne veux pas refaire ici des discussions que des articles de ce blog ou divers ouvrages ont déjà mené avec divers degrés de détail, mais disons simplement ceci : la question des rôles des hommes et des femmes, d’une manière générale et dans l’Église en particulier, est vaste, délicate, et complexe. Elle dépend de nombreux enjeux bibliques, théologiques, historiques, sociologiques, psychologiques, pour ne citer que les plus évidents. Ce n’est pas par la mauvaise foi d’un côté ou de l’autre que des théologiens compétents restent divisés quant à leurs conclusions à ce sujet. À moins de faire l’impasse sur cette réalité, on ne peut se contenter de se retrancher derrière des affirmations comme « ce n’est pas la volonté de Dieu » à propos de la position qui n’est pas la nôtre.

Nous pouvons être arrivés à une certaine conviction, mais il nous faut garder humilité et respect face à l’autre. 

Une volonté à manier avec précaution

Ce d’autant plus, et c’est ma seconde remarque, que la notion de volonté de Dieu en cette matière me paraît particulièrement délicate à manier. Quand bien même l’on admettrait que l’enseignement et la direction féminine dans l’Église ne sont pas en général ce que Dieu veut, force est de constater que Dieu l’a bien voulu à plus d’une reprise. 

On peut discuter les contours exacts des ministères de Déborah, de Houlda, des filles de Philippe, de Prisca ou encore de Junia, pour ne citer qu’elles, mais le texte biblique nous met bien en présence de femmes ayant enseigné et dirigé le peuple de Dieu. Le cas de celles qui sont décrites comme prophétesses est particulièrement instructif, là où beaucoup, et j’en suis, voient des liens entre la prophétie antique et la prédication moderne

Exceptions, estiment certains. Imaginons un instant que tel soit bien le cas : ces femmes seraient des exceptions à la règle qui veut que ce soient les hommes qui enseignent et conduisent le peuple de Dieu. Qui nous dit que ce genre d’exception ne pourrait plus se produire aujourd’hui ? 

Sommes-nous dans une telle abondance de serviteurs de l’Évangile que l’on pourrait faire taire les femmes ?

N’y a-t-il plus de chrétiens qui ont besoin d’être enseignés, ici ou ailleurs ? Qui nous dit que Dieu n’a plus besoin de passer par des femmes pour faire entendre des choses auxquelles les hommes ne prêtent que trop peu d’attention ? La fascination d’une part de notre monde à l’égard des « hommes forts » de notre temps, à l’Est comme à l’Ouest, me laisse penser que Dieu pourrait encore choisir de passer par des « vases plus fragiles » pour contrer la superbe d‘individus qui se prennent pour l’Alpha et l’Omega de toutes choses.

Quand bien même on considérerait que ces femmes de l’Écriture, et bien d’autres qui ont fidèlement enseigné et conduit au fil de l’histoire de l’Église, étaient des exceptions, les raisons que Dieu pourrait trouver pour faire des exceptions restent légion. Quelles que soient leurs positions théologiques, ceux qui affirment trop vite que tel ou tel engagement d’une femme en particulier « n’est pas la volonté de Dieu » risquent fort d’empiéter sur la liberté de Celui qui fait ce qu’il veut. 

A contrario, il me paraît intéressant de relever la position adoptée par Henri Blocher qui, tout en continuant à affirmer une vision plus traditionnelle des rôles de l’homme et de la femme, laisse une plutôt large place à l’idée que Dieu peut librement déroger à ce qui relève plus d’une structure générale donnée à l’humanité que d’un principe strict et intangible. Là où les dons sont présents, estime-t-il, une vocation « extraordinaire » pourrait être reconnue[1]

S’il y a bien un chemin sûr pour nous empêcher de discerner la volonté de Dieu, c’est l’idée que Dieu fera toujours les choses selon les catégories que nous avons définies, rentrant bien sagement dans nos boîtes.

Le seul fait qu’une femme enseigne ou dirige ne peut être considéré comme la preuve que ce qui se déroule est contraire à la volonté divine. Quelle que soit la force apparente de certaines affirmations du Nouveau Testament, le Tout-puissant a manifestement agi autrement lorsque cela lui a paru bon. Il ne nous faudrait pas être plus « bibliques » que lui. 

Un espace pour discerner

Il se pourrait d’ailleurs aussi, et c’est mon avis, que ces femmes engagées des temps passés et présents représentent bien plus que des exceptions à ce qui serait une volonté plus générale de Dieu. Elles pourraient fort bien être précisément l’expression de cette volonté générale d’un Dieu qui désire qu’homme et femme, ensemble et côte-à-côte, le servent à égalité dans la Création. Quoi qu’il en soit, il importe certainement avant tout que nous laissions aux femmes de l’espace pour discerner elles-mêmes ce qu’est la volonté de Dieu pour leurs vies, sans imposer à elles et au Seigneur nos préconceptions à leur sujet.  

Léo LEHMANN


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D’autres articles sont à venir dans la série #bingodesclichés le premier vendredi de chaque mois. Il s’agit d’un bingo des phrases entendues couramment. Un bingo de certaines idées reçues sur le ministère (pastoral) des femmes. En 9 courts articles nous aimerons y apporter une réponse et donner des pistes pour aller plus loin. Nous sommes impatientes de partager la suite avec vous !


Références

[1] Voir le résumé de sa position dans Alain Nisus, « La contribution d’Henri Blocher à la réflexion théologique », in Alain Nisus, s. dir., L’amour de la sagesse, Vaux-sur-Seine/Charols, Edifac/Excelsis, 2012, p. 41-44. 

3 comments on “La volonté de Dieu #bingodesclichés

  1. Françoise Pillon

    Merci pour cette réflexion à laquelle je souscris totalement !

  2. M.Rose

    Bonjour,
    merci pour cet exposé nuancé et clair et je suis étonnée et heureuse d’arriver à la même
    conclusion que vous !
    Il me semble très présomptueux de savoir absolument quelle est « la volonté de Dieu  »
    et surtout dangereux de vouloir l’imposer aux autres.
    La bible dit que « l’on connait en partie….. » (1 Cor.13) et qui peut prétendre
    avoir fait le tour de l’Amour et de la pensée de Dieu ?

    Dés le jardin d’ Éden Dieu a laissé l’ être humain libre de choisir, car par définition
    l’ Amour qui s’impose n’ est plus l’ Amour.
    A NOUS de réfléchir et pour cela, tous et toutes doivent pouvoir accéder à la connaissance,
    avoir le moyen de s’ exprimer et de pouvoir comparer pour se faire une opinion personnelle.
    Une chose est sûre, il y a la vérité et l’erreur, et il ne s’agit pas de tomber ds le relativisme !

    L ‘important pour moi est d’ être honnête, en accord avec soi- même et de l’assumer.
    Nous cheminons et devons réajuster au fur et à mesure de notre marche
    pour rester en équilibre, car on ne peut bien avancer qu’ avec ce que l’ on a compris,
    et donc accepter le risque vertigineux d’ avoir mal compris .
    (combien nous avons besoin de toute LA GRACE DE DIEU !)

  3. Ping : Pourquoi l'apôtre Paul ne permet-il pas à la femme d'enseigner -2

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