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Pourquoi l’apôtre Paul ne permet-il pas à la femme d’enseigner (1 Tim 2.12) ?

Le verset de 1 Timothée 2 :12 ‘Je ne permets pas à la femme de prendre autorité sur l’homme en enseignant’, fait parti des versets phares brandis par les opposants à une ouverture de l’accès des places d’autorité et de responsabilité aux femmes dans l’Église. D’ailleurs si vous êtes tombé sur cet article, qui est le plus lu de ce blog, c’est probablement parce que vous avez fait une recherche Google sur Paul et l’interdiction d’enseigner qu’il prononce à l’égard des femmes. Ce verset est régulièrement cité de manière lapidaire dans les discussions entre tenants et opposants, la plupart du temps dans le but de faire retentir une vérité ultime destinée à faire taire quelque récalcitrant, qu’il soit homme ou femme.

Pourquoi Paul a-t-il dit cela ? Qu’est-ce que cela signifiait pour les femmes d’hier ? Et qu’est-ce que cela signifie pour les femmes d’aujourd’hui ?

Quelques jalons historiques

Il semble que les femmes de l’Église primitive n’aient pas interprété ce texte comme relevant d’une interdiction absolue. En effet, des preuves suffisantes dans les textes chrétiens (Phoebé est ministre de l’église de Cenchrée Rm 16 : 1 ; Priscille enseigne, Rom 16,3-4 ; Junia est estimée parmi les apôtres, Rm 16 : 7) et jusque dans l’art graphique, existent pour démontrer que les femmes ont agi dans les communautés primitives avec une belle liberté.

Ce n’est qu’au IVe siècle que les restrictions sérieuses commencent :

Au cours des siècles suivants, ce texte de l’apôtre Paul devient l’un des fondements de l’état de subordination de la femme, dans le couple mais également dans la société, à cause de :

Quelques jalons interprétatifs

Depuis l’apparition du féminisme, de nombreuses tentatives d’interprétations ‘nouvelles’ ont vu le jour. En voici quelques-unes, résumées bien évidemment !

Une autorisation de s’instruire

A ces interprétations, je voudrais ajouter celle que je développe dans le livre ‘Qui nous roulera la pierre’ aux éditions empreinte du temps présent :

Je suis toujours effarée de constater comment ce texte, réputé difficile, est amputé de sa meilleure partie, lorsque le focus est mis sur l’interdit ! Pourquoi tant de personnes, tout comme Adam et Ève au jardin d’Éden à la suite d’un personnage bien peu recommandable, se focalisent-elles sur l’interdit plutôt que d’admirer la grande ouverture offerte par le texte?

En effet, le cœur du texte ne se trouve pas dans l’interdit, mais dans la possibilité de s’instruire, inédite jusque-là. Que la femme – ou l’épouse – s’instruise en silence, affirme Paul, avant de rajouter le long développement qui suit (1 Tim 2,13 à 15) et qui reprend la position juive traditionnelle attribuant une responsabilité première à la femme dans le péché.

C’est cette responsabilité qui explique leur éviction de l’obligation d’instruction. Les femmes, ignorantes de la Thora, ne peuvent elles-mêmes enseigner avant d’avoir été instruites et Paul lève ici l’interdit.

Lorsqu’on se focalise sur l’autorisation d’instruction et non plus sur l’interdit, le sens du passage change complètement! En effet, « Le silence, ou plus exactement le calme, la paix, -terme utilisé deux fois et qui encadre l’interdit- était l’attitude attendue des étudiants masculins dans les Yeshivas, les maisons d’études rabbiniques. Paul abolit ainsi l’une des plus grandes divisions entre l’homme et la femme juive. On considérait que la femme juive, par sa nature essentielle, connaissait la Thora de l’intérieur, c’est-à-dire biologiquement, et pour cette raison, elle était non seulement dispensée de l’instruction mais également interdite d’enseignement. La Michna rapporte les dires du rabbin Jude: ‘Comment savons-nous que la mère n’a pas le devoir d’enseigner ses enfants?

Quiconque a l’ordre d’étudier, a l’ordre d’enseigner. Quiconque n’a pas l’ordre d’étudier, n’a pas l’ordre d’enseigner.

Et comment savons-nous qu’elle n’est pas astreinte à enseigner elle-même ? Parce qu’il est écrit ‘Vous les enseignerez à vos fils’ (Dt 11 : 19) et pas ‘à vos filles.’

Autrement dit, «l’autorité des femmes dans l’enseignement pourra se réaliser lorsqu’elles auront rattrapé le retard accumulé au cours des siècles de confinement dans la domesticité.»  Fin de citation

En résumé, l’interdiction exprimée dans le passage de 1 Tim 2,12 se comprend à la lumière de la traduction rabbinique, comme une conséquence du péché et de la domination des hommes sur les femmes dans le domaine du savoir.

La tirade ‘car Adam a été créé le premier…’ explicite le pourquoi de la longue éviction de l’instruction dont la femme a fait l’objet. Dans sa partie finale, la même tirade pointe comme advenu le moment du salut à venir pour Eve, celui où elle aura donné naissance au Messie tant attendu qui débloquerait la situation d’enfermement à laquelle elle avait été vouée en tant que femme.

Voilà le véritable sujet de ce passage et non l’interdiction de l’enseignement ! En conformité avec l’enseignement rabbinique, que Paul connaissait fort bien, nous pouvons donc affirmer que c’est l’ensemble du paradigme instruction-enseignement qui s’ouvre aux femmes lorsque Paul leur intime l’ordre d’adopter la position habituelle des étudiants masculins, même si le versant de l’enseignement est reporté à plus tard. Paul n’interdit pas, à jamais, aux femmes d’exercer le rôle d’enseignante – il accepte d’ailleurs sans problème que Priscille enseigne – mais il s’oppose à l’enseignement d’une femme qui serait sans instruction, et qui de plus s’arrogerait d’elle-même le titre d’enseignante. (D’où l’utilisation du terme authentein, autorité auto-conférée et donc abusive au lieu d’exousia, autorité donnée par Dieu et reconnue par tous).

Que l’on cesse donc d’agiter sans fin ce verset sous le nez de toutes celles qui, instruites, appelées par Dieu et reconnues par leurs pairs, se lèvent pour exercer un service !


Note de bas de page :

Mishna Kodashim 1:7. La Mishna compile les différentes traditions orales, leurs polémiques et leurs résolutions, lorsqu’il y en a. Ces textes décrivent un univers religieux centré autour du temple de Jérusalem, détruit un siècle plus tôt. Même si sa datation est postérieure de plusieurs décennies à la rédaction des textes de Paul, la Mishna reflète fidèlement les traditions juives du premier siècle.


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Bonne lecture !

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