Progresser en Église

Pasteur, femme de pasteur et mari de pasteure

Un pas en arrière

par Léo Lehmann

Mon épouse et moi-même servons tous deux comme pasteurs dans une même communauté au sein de l’Association Baptiste (AEEBLF – voir le témoignage de mon épouse sur ce même blog). Les bénéfices de la complémentarité d’un couple pour le service pastoral sont généralement bien reconnus dans nos Églises. Très souvent, le ministère d’un pasteur homme a grandement bénéficié de la présence et du soutien de son épouse. Même s’il est devenu plus courant que l’épouse d’un pasteur travaille dans un autre domaine ou ministère, le ministère de « femme de pasteur », quoique peu précisément défini et reconnu à ma connaissance, fait partie de notre ecclésiologie traditionnelle.

Mais ma femme n’est pas femme de pasteur, ou en tout cas pas plus que je ne suis mari de pasteur. Elle est elle-même pasteur, tout comme je le suis. Cela implique que nous prenons part tous deux, et avec les anciens, à la conduite de la communauté, à l’enseignement et au soin des frères et sœurs que le Seigneur rassemble. La répartition des tâches entre nous dépend simplement de la diversité des aptitudes que le Saint-Esprit anime en nous. Comme ce serait le cas pour n’importe quelle paire de pasteurs que l’on comparerait, nous n’avons pas les mêmes manières de faire ni les mêmes capacités pour toutes choses. Nous apprenons à nous connaître et tentons de nous orienter ensemble selon les circonstances vers ce qui nous sera plus facile ou ce qui nous permettra de progresser.

Le poids de la tradition

Cette manière de fonctionner, pour logique qu’elle puisse paraître si l’on admet qu’une femme peut tout aussi bien qu’un homme exercer la fonction de pasteur, n’en présente pas moins une difficulté : en matière de responsabilités pastorales, la tradition me pousse en avant tandis qu’elle pousse ma femme dans mon ombre.

Elle est pasteure, certes, mais ma présence à ses côtés en tant que pasteur aussi facilite la tâche à celui ou celle qui, par habitude ou par préférence théologique, voudrait orienter mon épouse vers des domaines d’activité plus habituellement dévolus aux femmes. Pour ce qui est des questions plus traditionnellement « pastorales », ma présence rend mon épouse plus facile à contourner pour qui préfère voir ces choses confiées à un homme.

Ainsi, il nous est arrivé d’imaginer qu’il doit être à certains égards plus facile pour une femme pasteure de trouver sa place en étant seule pasteure dans une Église. Heureusement, nous avons aussi réfléchi à la manière dont ma présence pouvait au contraire être un soutien pour elle. Je dois bien avouer que même si c’est moi qui écris aujourd’hui pour en parler, c’est bien davantage mon épouse qui a été le moteur de ces réflexions. On comprendra en lisant que j’avais certaines raisons profondes d’y opposer de la résistance. Mais le Seigneur fait grâce et nous emmène plus loin.

Bien user de mon assurance

De là où je vois les choses, la question de l’assurance paraît fondamentale. Certaines personnes s’adressent plus facilement à moi en raison d’une certaine assurance ou autorité que j’incarne, tout d’abord en raison de ma fonction de pasteur homme inscrit dans une longue tradition de pasteurs hommes. Mais cette assurance touche aussi à certains égards à nos manières d’être. À degré égal de certitude personnelle, je peux généralement être plus affirmatif que mon épouse. Cette caractéristique, si elle n’est pas poussée à l’excès, tend à rassurer et me permet de réagir plus rapidement face à certaines questions ou situations.

Si l’on s’en tenait là, cette assurance qui correspond à une image que se font couramment les gens d’un pasteur dans notre contexte pourrait justifier une certaine prédominance que j’aurais dans l’équilibre entre nos deux ministères. Le fait est que, ayant identifié cette réalité, nous cherchons à l’utiliser lorsque cela nous paraît pertinent. Dans des matières qui nécessitent une direction plus nette de notre part, nous nous mettons parfois d’accord pour que je prenne les devants.

Mais nous voulons rester prudents avec cela. Certes, mon assurance peut être utile, mais elle a pour conséquence évidente de donner à mes avis une importance qui n’est pas nécessairement proportionnée à leur valeur réelle. Ce n’est pas parce qu’on affirme quelque chose avant les autres et avec conviction que cette chose est juste. Le fait même de pouvoir noyer l’autre sous toutes sortes d’arguments peut être trompeur. Je dois donc pouvoir prendre du recul par rapport à cette assurance.

Par ailleurs, je crois qu’à bien des égards l’assurance s’acquiert, et notamment en recevant attention, approbation et reconnaissance pour les compétences en question.

Dans notre métier, ces choses me sont plus facilement acquises en tant qu’homme. Si l’on estime comme moi que ce fait s’étend très largement à toute la société, cela signifie que l’assurance que je peux avoir aujourd’hui et l’autorité qui en découle sont grandement tributaires du fait que j’ai reçu et reçois encore une attention positive dont d’autres, notamment les femmes, sont généralement moins l’objet.

Il vaut donc certainement la peine que je fasse un pas en arrière pour orienter aussi cette attention positive sur ma collègue et lui offrir ainsi de la place pour gagner elle aussi en assurance, de telle sorte que les avis sensés qu’elle donne puissent être mieux entendus.

aerer

Soutenir ma collègue

Dans ce que nous avons envisagé jusqu’à présent pour ce qui est de ma part face à cela, l’essentiel se joue dans les paroles et les regards. En voici quelques exemples.

Il y a d’abord un rappel que je me fais à moi-même. Je ne suis pas « le pasteur » de notre Église. Ainsi, lorsqu’il m’arrive de me présenter à des nouveaux-venus ou en-dehors de l’Église, je préfère dire que je suis « l’un des pasteurs », voire même le plus souvent que « ma femme et moi sommes tous deux pasteurs » de cette communauté. Pour ceux qui veulent bien l’entendre, cela pose le cadre.

Dans certaines conversations que nous avons eu ensemble avec d’autres dans le contexte de notre ministère, il est parfois clairement apparu que ma présence et ma parole avaient plus d’importance que la présence et la parole de ma collègue. Non pas que j’aie forcément été plus sage. Mais c’est à moi que s’adressaient les regards et les explications, à mes paroles que l’on prêtait le plus d’attention, et à moi que l’on posait des questions. Il m’arrive encore souvent d’être trop occupé par le fil de la conversation, mes propres idées ou le fait que je suis à l’aise dans cette posture.

Des pas concrets

Cependant, lorsque je m’aperçois que la tournure de la rencontre tend à pousser ma collègue dans l’ombre je sais que plusieurs possibilités s’ouvrent à moi.

  • Lorsqu’elle prend la parole. Il importe que je valorise cette parole. Mais cette valorisation doit avant tout se faire par l’attention que je prête moi-même à cette parole. Les reformulations et autres échos à ce qu’elle a dit peuvent servir à l’appuyer mais ont parfois l’effet pervers de mettre sur mon compte les bonnes choses qu’elle a pu dire. À ma charge d’y être attentif pour rendre à ma femme ce qui vient de ma femme.
  • Cette valorisation de ses propos passe aussi par mon silence, la retenue que je peux avoir à donner rapidement mon avis, voire à le donner tout court. Si nos interlocuteurs n’ont que l’avis de mon épouse, et que je me permets de ne rien y ajouter, je laisse comprendre que cet avis a pleine valeur tout seul.
  • Je peux également solliciter explicitement son avis, quand bien même une question m’aurait été adressée à moi.
  • L’une des choses que j’emploie le plus est mon regard. Je regarde habituellement celui qui me parle pour marquer mon attention à son égard. Mais lorsqu’il me semble que celui qui parle ne devrait pas s’adresser qu’à moi, je peux le faire sentir en tournant mon regard vers les autres personnes concernées, mon épouse en l’occurrence. J’ai déjà plusieurs fois observé un effet positif de cette manœuvre.

Pour anticiper ce type de difficultés, nous avons aussi pris l’habitude avant un entretien de décider entre nous lequel des deux conduira la discussion, en alternant régulièrement. Je sais ainsi lorsque le tour est le sien que j’ai toutes les raisons de faire preuve de plus de retenue.

Plus généralement, dans la vie de l’Église, dans diverses réunions, j’essaye d’être attentif à valoriser les belles et bonnes choses que peut faire mon épouse. Ma parole peut avoir un certain poids. Il est bon qu’elle soit employée à soutenir ce qu’elle peut dire ou faire, sans toutefois que l’appréciation que je peux donner se transforme en validation masculine nécessaire de ses activités. Où se situe la limite ? Difficile à dire, d’autant que cela dépendra des personnes que nous avons en face de nous.

Ce ne sont là que quelques éléments, et nous n’avons certainement pas encore fait face à tout. Déjà une étape nouvelle se profile pour nous avec la naissance prochaine d’un enfant et le lot de clichés que projettera sur nous la paternité et la maternité. À suivre…

Une forme d’ascèse

Mais avant de conclure, un élément me paraît fondamental dans cette réflexion : elle touche à mon orgueil et a cet heureux effet de le réprimer par une forme d’ascèse.

Je me suis d’abord montré méfiant face à ma femme qui me partageait ses difficultés. « Pourquoi est-elle si préoccupée que les gens prêtent davantage attention à elle ? Ne serait-ce pas de l’orgueil ? »

Dans cette pensée, je vois aujourd’hui la posture d’un bien-nourri qui craindrait qu’un affamé ne prenne trop de poids s’il partageait avec lui son repas.

Ma femme est adulte et responsable devant Dieu. Elle doit bien sûr veiller comme nous tous à ce que sa joie ne soit pas (trop) dépendante de l’amour et l’attention des autres humains, mais il est juste pour elle comme pour nous tous que le bien qu’elle peut faire soit reconnu et apprécié à sa juste valeur. Et quant à l’orgueil, il me faut d’abord m’occuper du mien.

Car tout cela exige de moi que je prenne de la distance par rapport à la gratification que constitue l’attention d’une Église à l’égard d’un pasteur.

Et il y a là un défi. Il est agréable de voir que les gens se tournent vers vous, que vous leur semblez utile. Contrer même en partie ce phénomène paraît contre-intuitif. Ce d’autant plus que même si j’ai décrit la place du pasteur masculin comme bien affermie, c’est avant tout par rapport à celle du pasteur féminin. La place du pasteur en elle-même n’est pas toujours simple à trouver. Quelle que soit la bonne volonté des uns et des autres, la répartition des responsabilités dans une Église vivante est affaire d’ajustements permanents. Je crois pourtant que nous avons une lutte à mener contre nous-mêmes pour accepter de restreindre par moment délibérément notre influence ou notre autorité, si fragile puisse-t-elle nous paraître.

Nous pourrions protéger notre position en nous disant que les femmes qui déplorent le manque de considération à leur égard sont des pleurnicheuses, qu’elles n’ont qu’à prendre leur place, s’affirmer. Mais le fait est que nous avons beau jeu dans cette affaire. La place qu’elles pourraient prendre au-delà des domaines où nous sommes habitués à les voir, c’est nous hommes qui l’occupons bien souvent.

En tant qu’homme, j’ai un rôle à jouer dans la quête d’une meilleure prise en compte des femmes dans l’Église. Il est à mes yeux certain que si cette quête devait être réservée aux seules femmes, nous en arriverions à une situation de lutte d’un sexe contre l’autre.

Or ce n’est certainement pas ce que nous espérons pour nos Églises. Notre Créateur nous appelle au contraire à « Servir ensemble » (p. ex. Gn 1.27-28 ; Jl 2.28/3.1 ; Ac 2.17 ; Ga 3.28).

Afin qu’il croisse…

Ce chemin n’est pas toujours aisé, mais je le vois aussi comme un chemin de grâce. En cherchant à œuvrer fidèlement tout en faisant la place et en valorisant les frères et les sœurs que Dieu a mis à mes côtés, je m’aide à rester le serviteur d’une œuvre qui ne m’appartient pas et ne dépend pas fondamentalement de moi.

 « Il faut qu’il croisse et que je diminue » (Jean 3.30). En tant qu’homme, cette pensée conditionne aussi mon regard sur la question que j’ai effleurée ici : peu importe au fond qu’il me faille faire un pas de côté pour laisser de la place à mon épouse ou à d’autres frères et sœurs en Christ. Ce n’est pas moi qui compte, mais sa gloire dans son Église, où il a choisi que nous servions ensemble.

Alors oui, je crois bon au jour d’aujourd’hui que nous hommes sachions aussi diminuer dans certains domaines pour laisser plus de place à ce qu’y croissent ces extraordinaires partenaires que le Seigneur nous a donné, et que sa gloire abonde dans cette joyeuse complémentarité, dans tous les aspects de la vie de nos Églises.

leo
Léo Lehmann

18 comments on “Pasteur, femme de pasteur et mari de pasteure

  1. Ping : Un couple, deux contrats: évolution des ministères dans la FREE

  2. Olivia

    Merci Léo pour ce partage authentique et profond. Je suis touchée qu’un homme et de plus pasteur cherche à laisser la place a sa collègue -épouse et cherche à trouver la sienne de manière ajustées. C’est réellement une façon d’’être et de faire que je cherche à voir vivre et à vivre aussi. Ce n’est pas facile certes, comme vous le décrivez si bien, mais , pour moi, c’est aussi cela la complémentarité femme-homme ou homme-femme. Merci pour cet encouragement à deux voix car j’ai aimé entendre votre femme dans vos propos.

    • Merci à vous pour cet encouragement ! Il s’agit assurément d’un défi à vivre. Puisse le Seigneur nous aider les uns les autres dans son Eglise à progresser en approfondissant notre sécurité en lui 🙂

      • Olivia

        Oui que le Seigneur nous aide chacune et chacun à trouver notre sécurité en lui. Je pense effectivement que l’insécurité est un facteur et un élément important d’incompréhension entre les personnes. Bien sûr aussi dans l’église, et peut ouvrir grande la porte au légalisme. Bonne suite dans la Paix du Seigneur dans vos relations, salutations à votre collegue-épouse 😉

  3. Bonsoir,
    votre témoignage est très instructif. Il y a de nombreux exemples de couples
    qui partagent la même passion, même idéal, activité,mais dans l’ histoire de l’église,
    au même niveau de responsabilité, sauf erreur, je pense que c’est nouveau et
    surtout dans l’égalité-complémentarité.
    Vous êtes donc des pionniers, tout est à inventer, à construire.
    C’est un grand défi, mais aussi une aventure exaltante qui va beaucoup nous enseigner.
    Que la corde à trois fils tienne bon et soyez heureux, et encouragés par nos prières.

  4. Simon van der Does

    Merci pour ce super article Léo !
    Je note plusieurs choses à garder et à exercer dans notre ministère présent et futur avec Emma !
    J’ai beaucoup aimé tes réflexions sur l’orgueil à la fin, je m’y suis retrouvé. Merci pour ces bons rappel sur la grâce et l’humilité. Que Dieu vous bénisse et vous garde !
    A bientôt j’espère 🙂

    • Ça fait déjà plus d’un an, mais merci beaucoup à toi Simon pour ce retour très encourageant. Que le Seigneur vous bénisse également Emma et toi dans votre ministère !
      À la prochaine 🙂

  5. Ping : Écrire une cérémonie de bénédiction de mariage à deux!

  6. Ping : Qui gardera les enfants ? – Servir Ensemble

  7. Ping : J’ai raison. Un point c’est tout ? – Servir Ensemble

  8. Ping : Que les hommes se taisent aussi… – Servir Ensemble

  9. Ping : Machla, Noa, Hogla, Milca et Thirtsa : une question d’héritage – Servir Ensemble

  10. Ping : La violence sexiste et l’Église – Servir Ensemble

  11. Ping : Nathalie Van Opstal – Servir Ensemble

  12. Ping : Femme de pasteur dans le labyrinthe de miroirs – Servir Ensemble

  13. Ping : Préparer le terrain pour l’égalité : Encourager les femmes à prendre le micro – Servir Ensemble

  14. Ping : « Soyez des hommes » ? Petite enquête autour d’une anomalie de traduction – Servir Ensemble

  15. Ping : Olivier et Julie Toledo, couple pastoral – Servir Ensemble

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Servir Ensemble

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading