Dans la Bible, comme dans l’Histoire de l’Église et encore largement aujourd’hui, on trouve des unions maritales très fructueuses pour le royaume de Dieu, où mari et femme servent ensemble une Église locale. Cela se décline de mille et une manières selon les milieux et les particularités de chaque couple.
Un carrousel de contradictions
Le rôle imparti à l’épouse du pasteur implique bien souvent des contraintes, parfois cachées, « à choisir » parmi les suivantes (ou autres, vos expériences nous intéressent !) :
- Être le modèle de la femme chrétienne parfaite
- Le devoir de soutenir le mari dans son ministère
- L’exigence d’être une épouse idéale
- L’obligation d’élever des enfants parfaits
- Bien habiller sa famille et exercer l’hospitalité avec un petit salaire qui ne correspond pas aux réalités du monde actuel
- Si nécessaire, travailler pour compenser le petit salaire
- Travailler gratuitement dans l’Église
- Renoncer à avoir une carrière
- Conjuguer si nécessaire les trois points précédents
- Ne pas mentionner les difficultés d’argent
- « Ne pas avoir des amies dans l’Église afin de ne pas créer des jalousies »
- Avoir une oreille attentive et disponible
- Toujours aller bien et être d’humeur égale
Quel défi de tourner dans ce carrousel d’exigences et de contradictions ! Comment conjuguer l’être et le faire pour favoriser une vie « en abondance » (Jn 10 : 10) pour chaque membre de la famille ? Le défi est d’autant plus difficile à relever si la femme en question n’a pas au préalable conscience des contraintes éventuelles. A l’équation déjà compliquée de l’équilibre vie de famille/vie professionnelle on ajoute une troisième variable, qui est de taille : le ministère pastoral exercé par son mari. Le vit-elle comme une joyeuse collaboration, une obligation subie, un appel personnel… ?
Trop ou pas assez de gâteau ?
De plus, la femme du pasteur est peut-être la personne la plus facilement critiquable dans une Église, car chaque membre possède, à priori, sa propre vision et ses propres attentes concernant le rôle qu’elle devrait y jouer.
Il arrive parfois que quelques femmes présentes dans une Église font preuve d’un curieux manque de solidarité et de soutien. Si l’humilité permet de tirer parti d’une critique constructive, d’autres propos visent à humilier. Certaines remarques dépassent le registre d’une simple maladresse et démontre un désir de contrôler.
« Portez une robe moche pour votre sanctification » « Ne pas porter de jean ou de pantalon » « Soyez à la mode pour donner envie » « Les femmes n’aiment pas les études bibliques » « Venez à la maison pour me voir (sous-entendu : et restez tout l’après-midi sinon je me vexe) » « Vos cheveux ressemblent à… » « Soutenez votre mari en jouant du piano » « Tu ne veux vraiment pas gouter à mon gâteau ? » « Tu ne devrais pas manger autant de gâteau » « Ce que tu as dit à la réunion de femmes ne m’a pas fait de bien » « Elle fait tourner les pendules » « Le Seigneur m’a dit de vous dire … »
Ces commentaires (réels !) rappellent que l’épouse du pasteur ne pourra jamais plaire à tout le monde. Mieux vaut l’accepter, et apprendre à gérer au mieux ces attentes et exigences pour ne pas se faire piéger. Repérer les critiques non-constructives et remarques négatives s’avère nécessaire afin de ne pas les prendre au premier degré et être blessée : ils en disent plus long sur celles qui les émettent que sur qui est réellement l’épouse du pasteur.
Un ou deux messieurs peuvent également avoir leur mot à dire.
« Coucou ! Vous avez parlé de robes ? » « La meilleure femme de pasteur est celle qui ne se met pas en avant » « Dites à ma femme de… » « Dites à ma femme que… » « La pièce de Noël que tu as écrit est diabolique (envoyé par mail aux animateurs de l’école de dimanche et aux parents) » « Dieu est merveilleux, l’orgasme est siiiiii bon ! » « J’ai assisté à une séance de mgf en Afrique (lancé hors sujet, sans doute un mensonge) » « Alors comme ça tu voyages de nuit et tu viens dans ma chambre ? » « Ton mari est menteur »
Remarques authentiques destinées à mon édification personnelle ! On susurre la plupart de ces choses à voix basse, entre deux portes, ou en guise d’accueil le dimanche matin, juste avant le culte. Outre le côté sexiste ou contestataire, certaines remarques visent à provoquer le pasteur à travers son épouse.
Même pour une femme de pasteur qui a choisi de ne pas s’impliquer sur le plan ministériel, porter ce « statut » demanderait donc un minimum de préparation pour comprendre les types de personnalité qui peuvent fréquenter une Église, voire les symptômes de certaines maladies… afin de ne pas se laisser déstabiliser, manipuler, instrumentaliser mais savoir se protéger et apporter une réponse judicieuse.
La bonne nouvelle, c’est que la majorité des membres d’une Église en bonne santé agissent avec amour, bienveillance et générosité, ce qui compense très largement les quelques individus maladroits ou dysfonctionnels. Les membres d’une assemblée peuvent veiller à ce que des paroles critiques et rumeurs ne circulent pas dans le dos de l’épouse du pasteur en refusant d’y participer. Ils peuvent aussi penser à donner un retour encourageant de temps à autre !

Un labyrinthe de miroirs : l’identité de la femme du pasteur
Être confrontée aux contraintes et critiques soulève la question de l’identité et du rôle de l’épouse du pasteur.
C’est un peu comme rentrer dans un labyrinthe de miroirs, que l’on peut trouver dans un parc d’attractions ou une fête foraine : on rentre dans l’installation pour suivre un chemin qui passe entre des murs recouverts de miroirs concaves ou convexes qui renvoient une succession d’images déformées qui font perdre son sens d’orientation et ses repères à la personne…
Ainsi les multiples « images » d’elle-même renvoyées à la femme du pasteur par les chrétiens de l’Église, ou glanées par elle dans des livres chrétiens, peuvent contribuer à lui faire perdre son sens d’identité et de mission, et la laisser avec une pénible sensation de flou.
Si le rôle du mari est davantage clair, souvent mieux défini, ce n’est pas le cas de celui de l’épouse du pasteur !
Et cette difficulté se renouvellera à chaque changement de poste…
Faire face à cela implique une réflexion régulière et une recherche dans la prière, sur la meilleure manière de s’adapter à l’Église où son mari va servir. D’abord dans l’être : il en va de son identité même, de qui elle est réellement. Ensuite dans le faire : il s’agit de la manière dont elle va s’impliquer dans la vie de l’Église. Il lui faut s’affranchir des stéréotypes imposés, pour éviter de se perdre elle-même et de rester coincée dans la galerie des miroirs au centre du labyrinthe. Car on fait en fonction de qui on est, comme un arbre portant des fruits.
Un exemple pour distinguer l’être et le faire : Nul n’a besoin de savoir si, en dehors des horaires de travail, la caissière ou la femme médecin ou l’avocate est « une bonne épouse et mère » selon un schéma préétabli. Ce n’est pas pertinent pour les clients. (Dites … qui s’interroge pour savoir si le pasteur est « un bon mari et père » ?)
On dit souvent que l’apôtre Paul s’offrait comme modèle à imiter, le premier item listé dans « le carrousel » plus haut. Mais en 1 Corinthiens 11.1 il dit : Imitez-moi, comme moi-même j’imite le Christ. Cela ne concerne pas l’établissement d’un « rôle personnel » ; il s’agit de s’inspirer de Christ (dans le contexte, dans l’attitude bienveillante envers les autres cf. les versets précédents 1 Co 10 : 23-33). Par ailleurs, Paul ne cachait pas ses défis et ses faiblesses. Il n’impose pas une performance mais exhorte à devenir un disciple de Christ.
Alors comment pousser une femme de pasteur, surtout si elle ne souhaite pas s’impliquer dans le ministère de son époux, à accepter un rôle stéréotypé assorti d’obligations (accompagnement pastoral, travail avec les enfants ou femmes etc.) et d’interdictions diverses qui la font entrer dans une exigence de performance difficile à soutenir sur le long terme (souffrance assurée et risque de burnout élevé !) ?
Pour qu’elle reste un disciple authentique, il faut la libérer des stéréotypes !
A ce moment-là, elle n’est plus une épouse de pasteur appartenant à une catégorie vocationnelle de personnes qui servent dans l’Église, mais l’épouse du pasteur, la sienne, l’élue de son cœur.
Elle n’est pas « l’épouse de pasteur de l’Église » qui devra répondre à toutes les attentes et boucher tous les trous. Mais attachée à Christ, l’arbre qu’elle est, plantée près des courants d’eau, produira ses propres fruits juteux pour le royaume de Dieu.
Progresser en Église
Dans les Églises où le pasteur est un homme, les chrétiens d’une assemblée peuvent libérer « l’épouse de pasteur » de formules rabâchées concernant son rôle et apprendre à la connaître en tant que personne. Ils peuvent reconnaître que si elle s’investit, parfois de manière sacrificielle, dans la vie de l’Église, c’est son libre choix !
Quelques-uns pourraient choisir de la soutenir et l’encourager, en lui demandant ce qui serait le plus utile (babysitting ? secrétariat ? vous pourriez être surpris !). Les membres du CA peuvent être vigilant sur ce point, afin de ne pas laisser la famille du pasteur avec une difficulté non exprimée.
Et cela va sans dire : le pasteur lui-même n’impose pas à sa femme une façon d’être selon son propre poncif intériorisé. Il ne s’appuiera pas sur elle pour combler ses propres manques dans différents domaines du ministère, sauf si elle est partante.
Si la femme du pasteur (il faudrait y substituer son nom !) ne s’investit pas d’une manière particulière, cela aussi est son choix ; elle a sans doute ses raisons (équilibre familiale, appel à être un témoin dans une vocation particulière, saison de la vie).
L’assemblée devrait également reconnaître le pasteur dans son rôle de mari et père. Il ne leur appartient pas ! Il est là pour les servir, mais pas au détriment de son propre couple ou sa famille. Il s’est engagé dans des responsabilités familiales devant le Seigneur : Maris, aimez-vos femmes ; Pères, n’irritez-pas vos enfants… (Eph 5) Le pastorat ne le dégage pas de ses responsabilités, ne l’autorise pas à négliger ces relations précieuses.
Mes observations sur les trente dernières années, semblent indiquer une évolution dans ce sens. C’est vital ! Nous ne sommes plus dans une génération ou le devoir fonctionne comme facteur de motivation dans le ministère, comme c’était encore le cas pour la Génération X. Aujourd’hui, ce qui motive les générations plus jeunes, c’est l’authenticité : être soi-même, avoir des relations authentiques, y compris avec le Seigneur. Et cela aussi est un excellent tremplin pour le ministère.
Alors quel pourrait être le meilleur conseil encouragement à donner à une femme mariée à un pasteur ?
AIMEZ DIEU ET RESTEZ QUI VOUS ÊTES !
A Suivre : La femme du pasteur dans le labyrinthe de miroirs, Partie 2
Découvrez aussi l’article “Pasteur, femme de pasteur et mari de pasteure”, de Léo Lehmann
Excellente analyse !
Ping : Femme de pasteur dans le labyrinthe de miroirs (2) – Servir Ensemble