« Vous préféreriez une fille ou un garçon ? » Léo Lehmann nous présente cinq femmes exceptionnelles mais peu connues du livre des Nombres (Nb 27 : 1-11), à partir de cette question qui se fait souvent entendre avant la naissance d’un bébé.
Une fille ou un garçon ?

« Vous préféreriez une fille ou un garçon ? » La question nous a été posée plusieurs fois avant la naissance de notre premier enfant. J’ai préféré répondre que nous recevrions ce que Dieu savait bon pour nous. Ce fut un garçon.
Une fille ou un garçon, ce n’est pas la même chose… Ce n’est pas la même chose physiquement : hommes et femmes présentent des différences biologiques évidentes. Ce n’est pas la même chose psychologiquement : même s’il est difficile d’en dire la mesure exacte, le seul fait des différences physiques ne peut être sans incidence sur notre être.
Mais au-delà de cela, les différences entre hommes et femmes s’enracinent aussi dans des représentations que nous nous en faisons. Certaines sont peut-être éclairées. D’autres sont malheureusement dépourvues de fondement.
Je vous propose de réfléchir à nos représentations en relisant au chapitre 27 du livre des Nombres les versets 1-11. Ce texte nous fera découvrir, peut-être redécouvrir, cinq personnages peu connus du récit biblique. Cet épisode se joue aux portes de Canaan, juste après le recensement des Israélites en vue de leur attribuer un héritage dans le pays promis.
Nombres 27.1-11
1 Alors se présentèrent les filles de Tselophhad — le descendant de Hépher, fils de Galaad, fils de Makir, fils de Manassé, des clans de Manassé, fils de Joseph. Voici les noms de ses filles : Machla, Noa, Hogla, Milca et Thirtsa.
2 Elles se présentèrent devant Moïse et devant le prêtre Éléazar ainsi que devant les princes et toute l’assemblée à l’entrée de la tente de la rencontre en disant :
3 « Notre père est mort dans le désert. Il ne faisait pas partie de l’assemblée de ceux qui se sont révoltés contre l’Éternel, de la bande des partisans de Koré, mais il est mort pour son propre péché et il n’avait pas de fils.
4 Pourquoi le nom de notre père disparaîtrait-il de son clan du simple fait qu’il n’a pas eu de fils ? Donne-nous une possession parmi les frères de notre père. »
5 Moïse porta leur cause devant l’Éternel,
6 et l’Éternel dit à Moïse :
7 « Les filles de Tselophhad ont raison. Tu leur donneras en héritage une possession parmi les frères de leur père, c’est à elles que tu feras passer l’héritage de leur père.
8 Tu transmettras ces instructions aux Israélites : Lorsqu’un homme mourra sans laisser de fils, vous ferez passer son héritage à sa fille.
9 S’il n’a pas de fille, vous donnerez son héritage à ses frères.
10 S’il n’a pas de frères, vous le donnerez aux frères de son père.
11 Si son père n’avait pas de frères, vous le donnerez au plus proche parent dans son clan et c’est lui qui le possédera. Ce sera pour les Israélites une prescription et une règle, comme l’Éternel l’a ordonné à Moïse. »

Des « femmes selon Dieu »
Machla, Noa, Hogla, Milca et Thirtsa. J’aimerais tout d’abord souligner l’exemple de piété qu’offrent ces cinq femmes. Elles font partie d’une nouvelle génération du peuple de Dieu, après celles tombées dans le désert lors des 40 années d’errance faisant suite à leur refus d’entrer dans la terre promise. Et là où tant d’autres avaient douté de la capacité de Dieu à faire entrer son peuple en Israël, ces cinq femmes comptent sur le fait qu’il va le faire. Elles ont foi en la promesse de Dieu. Et puisque celle-ci s’accomplira, au moment où le territoire de Canaan est partagé entre toutes les tribus, elles veulent s’assurer d’avoir leur part. Ou plutôt, la part de leur père. Tselophhad, disent-elles, n’est pas mort avec les rebelles qui s’étaient opposés à Moïse sous la conduite de Koré (Nb 16). Il faisait simplement partie de ce grand peuple qui avait refusé d’entrer en Canaan, et il est mort pour son propre péché. Ni plus, ni moins. Et ses filles ne voudraient pas que l’absence d’un descendant mâle conduise à la disparition de la lignée de leur père. Elles sont habitées par cet attachement à leurs parents que valorise la piété biblique (cf. Ex 20 : 12).
La crainte de ne pas obtenir une portion de la terre promise pour leur famille ne les conduit cependant pas à tout mettre sens dessus dessous. Face à ce qui leur paraît être une injustice, elles ne commencent pas à murmurer dans leur coin ou à fomenter une révolte. Elles choisissent de s’adresser aux responsables du peuple pour obtenir leur arbitrage. À toutes fins utiles, précisons les choses :
les filles de Tselophhad n’agissent pas ici en tant que femmes qui devraient se soumettre à des hommes. Elles agissent en tant que membres du peuple, appelées comme chaque autre membre à veiller à l’unité de l’ensemble.
Tout le peuple de Dieu est appelé à se soumettre à l’ordre établit en son sein. Paul parlera ainsi de « soumission mutuelle » (Eph 5 : 21). Machla, Noa, Hogla, Milca et Thirtsa sont exemplaires à cet égard.
Plus loin dans le livre des Nombres, la disposition prise à leur égard suscitera des inquiétudes dans leur tribu : qu’adviendrait-il de la terre dont elles héritent si elles se mariaient avec un homme d’une autre tribu ? (Nb 36 : 1-12) Face à cela, elles accepteront une contrainte qui n’est pas des moindres : ne pas épouser d’homme qui appartiendrait à une tribu autre que la leur. Alors même que leur liberté s’en trouve limité, elles choisissent d’agir pour le bien du plus grand nombre. En Église, en famille, avec nos amis, sommes-nous parfois prêts à restreindre nos intérêts, notre confort, en vue du bien commun ?
Par leur foi en Dieu, leur attachement à leur famille et leur souci de préserver l’unité de leur peuple, Machla, Noa, Hogla, Milca et Thirtsa sont des « femmes selon Dieu », de la même manière d’ailleurs que l’on est « homme selon Dieu ».
Des femmes audacieuses

Machla, Noa, Hogla, Milca et Thirtsa ont encore une qualité qui est « selon Dieu » : elles sont audacieuses. Face à une situation qui les affectait, qui leur pesait, elles ont osé quelque chose. Et il leur fallait certainement de l’audace pour aller se présenter à l’entrée de la tente de la rencontre, « devant Moïse et devant le prêtre Éléazar ainsi que devant les princes et toute l’assemblée » (Nb 27 : 2). Combien de personnes dans nos Églises sont déjà intimidées rien qu’à l’idée d’aller parler à leurs responsables !
Les filles de Tselophhad osent y aller. Elles considèrent qu’elles ont le droit de parler et d’être entendues. Elles sont convaincues que leur requête est légitime. Elles n’ont pas pensé devoir faire appel à un oncle, à un cousin, ou à je ne sais qui d’autre. Elles ne se sont pas dit qu’elles n’étaient « que des femmes ».
Et il fallait du courage pour entreprendre cette démarche. Les hommes occupaient fermement le devant de la scène. Notre texte est précédé par le recensement de tous les hommes du peuple d’Israël. Les femmes ne figurent pas dans les statistiques. Elles sont rares dans les diverses généalogies de l’époque. Plusieurs fois la Loi de Moïse elle-même semble favoriser les hommes, leur donner une primauté. Les femmes qui exerçaient des responsabilités publiques étaient rares. Le New Bible Commentary (1994) profite d’ailleurs des filles de Tselophhad pour rappeler le principe supposé immuable de la « direction masculine » de l’Église…
C’est dans ce contexte que Machla, Noa, Hogla, Milca et Thirtsa se présentent devant Moïse, le grand prophète de Dieu. J’ai parlé d’elles comme de personnes capables de se soumettre aux responsables de leur peuple.
Mais cette soumission n’est pas passivité, ou attentisme. Elle est active. Elles osent prendre l’initiative, parler, interroger, demander, proposer une solution. Dans un monde où nous nous contentons souvent de silence, ou de murmures, elles sont exemplaires.
Et elles récidiveront. Non seulement elles parlent ici pour faire entendre leur cause, mais une fois que le peuple sera entré en Canaan et aura pris possession du pays, les filles de Tselophhad se remettront en route et iront se présenter « devant le sacrificateur Eléazar, devant Josué, fils de Nun, et devant les princes » pour demander que l’ordre donné par Dieu soit respecté (Jos 17 : 3-4). Elles sont prêtes à certains sacrifices, mais ne négligeront pas de rappeler leur cause légitime.
Dans les deux cas, elles seront entendues. Personne ne les renvoie à leurs affaires domestiques. Moïse reçoit la requête et la porte devant Dieu.
Dieu donne raison à ces femmes.
Les responsables du peuple agiront conformément à ce jugement. Quelle grâce lorsque la voix de chacun peut être entendue !

Des femmes inspirantes
En tout cela, Machla, Noa, Hogla, Milca et Thirtsa sont une source d’inspiration pour nous. Leur action, qui semble simple, a eu un impact profond.
Tselophhad n’est connu que par ses filles. Sans elles, il serait tombé dans l’oubli, perdu sans descendant mâle au milieu des nombreux autres noms étranges des listes généalogiques auxquelles nous ne prêtons souvent pas beaucoup d’attention. Ces filles ont véritablement honoré la lignée de leur père.
Par ailleurs, leur courage donne à Dieu l’occasion d’édicter une loi sur les successions qui servira Israël durablement. Mais les choses vont plus loin.
En osant une interrogation sur le fonctionnement patriarcal prédominant, ces cinq femmes ont ouvert la voie à la première évolution législative en faveur de plus d’équité entre hommes et femmes.
« Pourquoi le nom de notre père disparaîtrait-il de son clan du simple fait qu’il n’a pas eu de fils ? » (Nb 27 : 4). Eh bien, il n’y a pas de bonne raison à cela… Faisons-donc évoluer la coutume !
Ces cinq femmes ont constaté une injustice. Elles en ont parlé. Elles ont agi avec sagesse et audace. Assurément, elles sont sorties du cadre où on les aurait attendues. Et Dieu conclut que « les filles de Tselophhad ont raison » (Nb 27 : 5).
L’affaire a marqué les auteurs bibliques. Les filles de Tselophhad apparaissent pas moins de 5 fois dans l’Écriture (Nb 26 : 33 ; 27 : 1-11 ; 36 : 1-12 ; Jos 17 : 3-4 ; 1 Ch 7 : 15) et, même si vous ne retiendrez peut-être que celui qui évoque un certain chocolat, leurs cinq noms sont mentionnés 4 fois (Nb 26.33 ; 27 : 1 ; 36 : 11 ; Jos 17 : 3). Elles ne sont pas juste « les filles de Tselophhad ». Elles ont une identité propre, et l’Écriture valorise ce qu’elles ont été. Il aurait été possible de condenser davantage leur histoire, mais celui qui a conduit la rédaction des textes bibliques a souhaité que nous les rencontrions un peu plus qu’une fois. Aurions-nous à méditer cette histoire d’une manière particulière ?
L’histoire de Machla, Noa, Hogla, Milca et Thirtsa date d’il y a plus de 3000 ans. Mais elle est tellement novatrice que ses conséquences peinent à être entendues dans les sociétés humaines. Dans combien de familles attend-on encore avec impatience l’arrivée d’un garçon ? À l’heure actuelle, des femmes sont tuées, jusque dans le ventre maternel, parce que les garçons auraient plus de valeur. Moins dramatique, mais peut-être pas anodin tout de même : dans laquelle de nos familles ne s’est jamais posée la question de la transmission du patronyme à la génération suivante ? Quelle que soit la valeur que nous y attachions, cette question subsiste, et laisse souvent un avantage aux garçons. Et nous n’en sommes là qu’aux questions d’héritage…
Machla, Noa, Hogla, Micla et Thirtsa : de dignes héritières
En donnant raison aux filles de Tselophhad, Dieu manifeste clairement qu’une fille peut être une tout aussi digne héritière qu’un garçon.
Ces cinq femmes montrent qu’il est possible de sortir de ce que l’on attend de nous, des préjugés qui pourraient exister à notre sujet, et de faire bouger les lignes.
Et le mouvement vers autre chose auquel contribue ce récit devait se poursuivre. L’histoire de ces cinq femmes annonce déjà la réalité qui était à venir, où fils et filles peuvent pleinement prendre part au Royaume de Dieu. « Je serai pour vous un père, et vous serez pour moi des fils et des filles, dit le Seigneur tout-puissant. » (2 Co 6 : 18)
Les héritages humains sont bien dérisoires à côté de cela. En Christ, nous avons été faits fils et filles de Dieu, et il ne fait pas de favoritisme. Difficile donc d’envisager d’en faire à notre tour. Puissent Machla, Noa, Hogla, Milca et Thirtsa nous aider à nous en souvenir, et à éviter de préférer filles ou garçons selon des préjugés d’un autre temps.
Très beau et bon développement ! Cela nous amène à la réflexion 🙏
Un grand merci
Ping : La Bible fête aussi les femmes – 08 mars – Servir Ensemble
Une de mes histoire favorite car elle montre que Dieu est justice quand la cause l’est aussi et que rien n’est immuable même pour notre Père Céleste, il peut faire bouger les lignes si c’est nécessaire et si c’est JUSTE.
Merci Seigneur, que ton Nom soit loué aux siècles des siècles Amen
Très inspirant pour la vie d’église et nos relations mutuelles.