Progresser en Église

« Oui, mais pas chez nous »

Dans le cadre de son Master en études genre à l’Université de Genève, Lisa Zbinden a mené un travail de mémoire sur la théorie et la pratique du pastorat féminin dans des Églises évangéliques de Suisse romande. Elle nous livre ici un résumé de ce travail.

En me penchant sur la question du ministère des femmes, j’ai pris conscience que le principe de « complémentarité des sexes » (selon lequel hommes et femmes ont été créé·es égaux·ales en valeur et en dignité, mais avec des caractéristiques spécifiques à leur sexe) qui m’avait été enseigné dans les milieux évangéliques depuis mon enfance, était tronqué. De mon expérience, il donnait souvent naissance à une hiérarchisation et des rapports inégalitaires entre les sexes. Dans les Églises évangéliques que j’ai fréquentées ou visitées, il me semblait que tous les postes à responsabilités étaient ouverts aux hommes, alors que les femmes n’avaient accès qu’à des domaines traditionnellement associés à leur sexe du fait de leur dimension dite « féminine » ou « maternelle », tels que la relation d’aide, l’accueil, la prière, l’enfance ou encore la mission.

La division sexuée des rôles et l’apparente difficulté des femmes à accéder au ministère pastoral, que j’observais dans le contexte des Églises évangéliques, m’a donné envie de consacrer mon mémoire à cette problématique.

Pour réduire mon champ de recherche, je me suis posée la question suivante : « Comment le ministère pastoral des femmes est-il vécu – et perçu – dans les Églises membres de la Fédération Romande des Églises Évangéliques (FREE) ? ».

Dans la suite de cet article, je vais tenter de vous présenter certaines des conclusions que j’ai tirées de la littérature existante et des données qualitatives récoltées lors d’entretiens avec des pasteur·es de la FREE, des étudiantes à la HET-PRO, l’ancien directeur de la FREE (Philippe Thueler), et Marie-Noëlle Yoder (co-fondatrice de « Servir Ensemble »).

De la théorie à la pratique

Tout d’abord, si aujourd’hui, le pastorat féminin semble, en théorie, être accepté dans la majorité des Églises évangéliques de Suisse romande – à l’exception des Églises dites conservatrices ou fondamentalistes – les chiffres témoignent d’une autre réalité1. On trouve des pasteures rémunérées dans moins de 10% des Églises évangéliques : les postes d’influence, associés au leadership spirituel, restent un bastion largement masculin et cela malgré le fait que les femmes représentent une majorité des membres au sein de la plupart des communautés évangéliques. Les femmes ne sont pas pour autant démissionnaires, elles sont très nombreuses à s’impliquer, bien que les postes auxquels elles ont généralement accès sont moins valorisés, car situés plus bas dans la hiérarchie ecclésiale, comme les postes administratifs.

Il s’agit maintenant de se demander pourquoi ?

Il semblerait qu’une part importante des chrétiennes évangéliques se disqualifient elles-mêmes du pastorat et choisissent de travailler dans le séculier et/ou de s’impliquer dans d’autres ministères ecclésiaux. Plusieurs facteurs permettent d’expliquer ce phénomène.

L’influence de l’éducation

Tout d’abord, l’éducation religieuse influence la façon dont les femmes vont considérer leur rôle au sein de l’Église2 :

dès l’enfance, les filles intériorisent, dans le cadre familial et ecclésial, l’idée selon laquelle le pastorat est réservé aux hommes.

C’est ce qui ressort de mon échange avec Virginie*3, pasteure d’une Église de la FREE ; elle me partage que l’Église de sa jeunesse était « très fermé[e] » au ministère féminin, « le Conseil d’anciens était constitué uniquement d’hommes » ; elle ajoute que, lorsqu’elle était enfant, les femmes ne pouvaient ni prier à haute voix ni partager de témoignage lors des célébrations. L’amenant ainsi, dans les débuts de son ministère en Église, à questionner sa légitimité à occuper une position de pasteure.

Peu de représentations féminines

Lié à cela, un dénominateur commun dans le parcours des répondantes – qui ont grandi dans une Église évangélique – est le manque flagrant de représentations féminines dans le ministère pastoral. Ce phénomène participe à l’inculcation des schémas de comportements différenciés entre les sexes4 et nourrit l’idée selon laquelle les postes d’autorité spirituelle, tels que le pastorat, seraient un bastion masculin.

Ensuite, dans certains milieux évangéliques, l’homme est perçu comme le chef de la famille auquel sa femme doit se soumettre5. Cette dynamique relationnelle généralement vécue au sein du couple est parfois transposée aux rapports entre les sexes dans l’Église, empêchant ainsi les femmes à exercer une autorité spirituelle sur les hommes.

L’influence du principe de complémentarité

En outre, les Églises évangéliques, sont – pour la plupart – fortement imprégnées par le principe de complémentarité : hommes et femmes sont considéré·es égaux·ales en valeur et en dignité, mais se distinguent par des caractéristiques qui leur sont propres. Cette complémentarité, loin d’être neutre, cache souvent une hiérarchisation : les qualités associées aux femmes les relèguent au rang de subalternes, il y a donc un rapport de pouvoir asymétrique. Un phénomène que l’anthropologue Françoise Héritier qualifie de « valence différentielle des sexes » : les traits féminins et masculins n’ont pas la même valeur sociale, ce qui a trait à la masculinité implique davantage de pouvoir, de statut et d’influence et tend à être valorisé contrairement à ce que l’on associe à la féminité6.

Lire les textes bibliques avec “des lunettes patriarcales”

Moins d’encouragements

Et finalement, bien que les formations de théologie soient mixtes, les étudiantes sont souvent moins encouragées que leurs homologues à se lancer dans la voie pastorale, notamment par leurs professeur·es, mais également par leur entourage familial et leur Église.

De ce fait, malgré l’égalité d’accès aux formations de théologie, elles ont tendance à faire des études plus courtes et la plupart des détentrices d’un diplôme en théologie se redirigent vers d’autres ministères d’Église ou emplois, au détriment du ministère pastoral.

Une discrimination à l’embauche

Une faible minorité de femmes parviennent, toutefois, à surpasser ces obstacles et font le choix courageux et pionnier de devenir pasteures. Néanmoins, dès leurs débuts, elles sont pénalisées et doivent en faire plus pour être acceptées dans ce milieu masculin.

D’une part, elles sont discriminées à l’embauche, c’est une problématique qu’aborde Marie-Noëlle Yoder ; elle parle d’une mentalité de « Oui en principe mais pas chez nous » – la plupart des Églises évangéliques se disent ouvertes au pastorat féminin mais très peu traduisent leurs paroles en actes. Le défi est d’autant plus grand lorsque les femmes se présentent seules, c’est-à-dire, sans former un couple pastoral. Selon Myriam*, « les femmes seules partent souvent perdantes, car il est rare que l’« on cherche […] prioritairement une femme ».

Un traitement différencié

Et d’autre part, si elles trouvent un emploi au sein d’une Église, elles subissent un traitement différencié : pour commencer, elles sont sujettes à des remarques sexistes, que l’on peut expliquer par la tendance à brider les femmes qui font preuve d’agentivité, car jugées menaçantes par rapport à l’ordre de genre8. Cela les amène à se sentir illégitimes dans leur poste, un phénomène que l’on observe souvent chez les femmes évoluant dans un domaine professionnel « atypique »9. Ensuite, les pasteures, mariées et mères, ont tendance à privilégier un temps partiel afin de prendre soin de leurs enfants – un choix que font aussi une majorité des femmes dans le milieu séculier – ce qui rend le poste de pasteure principale moins accessible. Et finalement, au sein des couples pastoraux, la répartition des tâches entre les sexes est souvent inégalitaire : les femmes travaillent à un pourcentage plus bas, et leur implication, dans l’Église, n’est souvent pas pleinement reconnue.

Comment avancer ?

On peut donc souligner la grande résilience de ces femmes qui, lors des entretiens, disent avoir de plus en plus d’assurance dans l’exercice de leur fonctions pastorales. Malgré les critiques et remises en question, elles ne se laissent pas impressionner – et sont d’ailleurs plusieurs à espérer être des rôles modèles pour les filles de la jeune génération.

Si l’on espère voir une plus grande ouverture au pastorat pour les femmes, en perspective de la possible pénurie de pasteur·es qui se prépare à l’horizon et du nombre croissant d’étudiantes en théologie, il semblerait que le combat doive se mener sur deux fronts : il est important d’aider les femmes à se sentir légitimes à occuper un poste pastoral. Cela peut passer par une éducation religieuse plus égalitaire en matière de genre incluant une recontextualisation des textes bibliques utilisés pour discréditer les femmes. Il s’agirait également de continuer à sensibiliser les Églises, ainsi que dans les écoles de théologie, telles que la HET-PRO, à cette problématique – afin que l’égalité théorique soit couplée d’une égalité en pratique.


Récemment masterisée en Etudes genre, Lisa ZBINDEN se passionne pour les questions de genre qu’elle désire aborder à la lumière de sa foi.


L’association Servir Ensemble soutient financièrement les femmes en études de théologie au niveau Master et Doctorat. Si vous souhaitez participer à ce soutien et encourager les femmes qui se forment en théologie, la cagnotte de la bourse est accessible toute l’année ici.


Références

1 Stolz, J., & Monnot, C. (2019). “Female religious leadership in Switzerland: Norms, power, and money”. Journal of Contemporary Religion, 34(2), 353‐373. https://doi.org/10.1080/13537903.2019.1621552

2 Rochefort, F., & Sanna, M. E. (2013). Normes religieuses et genre : Mutations, résistances et reconfigurations, XIXème-XXIèmesiècle (Groupe Sociétés, religions, laïcités, Éd.). Armand Colin

3 Prénom d’emprunt.

4 Heinen, J. (2013). 21—Normes religieuses et statut des femmes par-delà̀ nations et continents.

5 Martos, J., & Hégy, P. (Eds.). (1998). Equal at the creation: Sexism, society, and Christian thought. University of Toronto Press.

6 Collet, I. (2017). Comprendre l’éducation au prisme du genre : Théories, questionnements, débats. Université́ de Genève.

7 Portier, P. (2013). La construction religieuse du genre. Remarques sur un processus ambivalent.

8 Vescio, T. K., Schlenker, K. A, & Lenes, J. G. (2010). Power and sexism. In A. Guinote & T.

9 Rey, S., & Battistini, M. (2013). « Favoriser les femmes ou le sexe minoritaire dans les formations professionnelles en Suisse ? » Lien social et Politiques, 69, 73‐88. https://doi.org/10.7202/1016485ar

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1 comment on “« Oui, mais pas chez nous »

  1. M.Rose

    Bonsoir,
    merci pour cet article très intéressant. Pour les évangéliques attachés
    à la Parole de Dieu (et donc de connaitre la volonté de Dieu), la contextualisation des textes me semble le moyen
    le plus efficace pour changer le regard des chrétiens sur ce sujet.

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