Pourquoi Dieu déteste-il le divorce ? Malachie 2 : 16 est souvent cité par des responsables d’Église lorsqu’ils insistent pour qu’une femme violentée reste dans le foyer conjugal. Mais comment bien comprendre ce verset ? Helen Paynter, pasteure baptiste britannique et directrice du Centre for the Study of Bible and Violence (Centre d’étude de la Bible et de la violence) aborde la question.
J’écris actuellement un livre sur l’utilisation de la Bible dans des situations de violences conjugales. Je suis intéressée — et très troublée — par la façon dont les agresseurs et les Églises utilisent la Bible pour essayer de manipuler la femme afin qu’elle accepte la violence et reste dans le foyer conjugal. Je suis consciente que j’utilise ici un langage genré, et que les violences conjugales ne sont pas toutes commises par des hommes sur des femmes. Mais je fais le choix d’utiliser ce langage genré pour deux raisons. Premièrement, la grande majorité des cas de violence conjugale sont le fait d’un homme sur une femme. Deuxièmement, si je comprends bien la situation, la Bible est citée dans ces cas-là d’une manière qui n’est pas utilisée dans les cas de violence commise par des femmes sur des hommes.

L’un des passages qui sont parfois utilisés — parfois par les maris, mais plus souvent par les Églises — est Malachie 2 : 16 : « Je déteste le divorce, dit l’Éternel. » Par conséquent, la femme, qui vient peut-être de trouver le courage de révéler l’abus et de chercher de l’aide pour la première fois, se voit signifier qu’elle doit rester dans les liens du mariage et du foyer conjugal. Dieu déteste le divorce. Fin de la conversation.
Mais ce n’est pas vraiment la fin de la conversation, pour toutes sortes de raisons ; je vais essayer de vous le prouver.
Premièrement, il s’agit d’un passage notoirement difficile à traduire. Si vous comparez plusieurs traductions de la Bible, vous verrez des différences substantielles. En particulier, vous découvrirez peut-être que la phrase souvent citée « Je déteste le divorce » ne figure pas dans votre traduction ! Il y a beaucoup d’ambiguïté.
Examinons le passage dans son contexte et de façon détaillée. Le prophète Malachie écrit à l’époque de l’Israël post-exilique. En d’autres termes, il s’adresse à l’ancienne nation d’Israël, après l’époque des rois, lorsqu’elle a été conquise par les Babyloniens et que le peuple dispersé est revenu à Jérusalem. Ils essaient de rétablir une manière pieuse de vivre. Cela signifie que Malachie ne s’adresse pas aux gens du 21e siècle. Pour comprendre comment ce passage peut être pertinent pour nous, nous devons d’abord comprendre exactement ce qu’il dit et ne dit pas à son public d’origine.

Remarquez ceci : Malachie s’adresse exclusivement à des hommes. Pourquoi ? Parce qu’à l’époque, il n’était pas possible pour une femme de divorcer de son mari. Cela signifie qu’il y avait un immense déséquilibre de pouvoir dans la société. (Et pour les personnes qui se contentent de copier-coller des versets bibliques sur des situations modernes, cela soulève de grandes questions quant à leur application directe à une femme moderne cherchant à divorcer de son mari). À l’homme — celui qui a le pouvoir — Dieu dit, en fait : « Je t’observe. J’étais le témoin de ton mariage et je te regarde pour voir si tu tiens tes promesses. »
Oui, Dieu semble dire : « Je déteste le divorce ». Cela n’en fait-il pas une interdiction absolue pour tout le monde et à tout moment ?
Eh bien, examinons un peu le contexte. Dans le monde antique, une femme non mariée qui n’était pas vierge était considérée comme une “marchandise endommagée”. Si elle était veuve, elle pouvait se remarier. (Rappelez-vous l’histoire de Ruth.) Mais si elle n’était pas vierge parce qu’elle avait anticipé le mariage ou qu’elle avait été violée, elle était considérée comme impossible à marier. (C’est pourquoi Exode 22 : 16 insiste sur le fait qu’un homme qui a couché avec une femme à laquelle il est fiancé doit l’épouser. Voir également l’histoire du viol de Tamar dans 2 Samuel 13, où sa désolation est clairement liée à son impossibilité de se marier après le viol).
De même, une femme renvoyée par son mari, sans qu’il y ait faute de la part de la femme, est considérée comme un “marchandise endommagée”. Il est peu probable qu’elle puisse se remarier — il doit y avoir quelque chose qui cloche chez elle, n’est-ce pas ? Elle n’a donc aucun protecteur et risque de tomber dans la misère ou de devoir prendre les mesures les plus désespérées pour l’éviter. Disons-le, à moins d’avoir un père capable et désireux de la reprendre, ou un frère bien disposé, elle est extrêmement vulnérable devant quiconque choisit de profiter d’elle, et risque de devoir se prostituer pour subvenir à ses besoins et à ceux de ses enfants.
Donc oui, Dieu semble détester le divorce, parce qu’il se soucie de la protection des personnes vulnérables.
Et, enfin, il y a trois mots et concepts importants dans ce court passage, tous liés entre eux. Il s’agit de bagad — traiter avec perfidie ; berit — alliance ; et hamas — violence.
Bagad est traduit par « être infidèle » dans la plupart des versions. À trois reprises (versets 14, 15 et 16), Malachie accuse les hommes d’être infidèles. Mais à la base, ce mot signifie en réalité traiter avec perfidie. Il fait référence à quelqu’un qui rompt une alliance (par exemple, Juges 9 : 23). Il est le plus souvent utilisé dans des situations sociales où une personne rompt la confiance avec une autre. Il est également utilisé pour désigner la désobéissance d’Israël à Dieu. Et à quelques reprises, il est utilisé dans le contexte du mariage, pour les actes de trahison dans le mariage. Et en particulier (v. 14), il fait référence à la rupture de l’alliance (berit) du mariage — le contrat solennel et contraignant dont Dieu a été témoin.
En quoi consiste cette rupture d’alliance à laquelle Malachie fait référence ? On pourrait nous pardonner de penser qu’il parle simplement du divorce lui-même.
Mais je pense que cette trahison dont parle Malachie est plus profonde. Car, de manière inattendue, nous rencontrons le mot hamas, la violence. Selon une traduction, les hommes semblent être condamnés pour avoir couvert leurs vêtements de violence. Que signifie la référence au manteau ? Il peut s’agir simplement d’une image puissante — aux yeux de Dieu, ils sont aussi sales qu’un homme portant un tablier de boucher ensanglanté. Ou bien cela peut faire référence à la coutume de l’époque en matière de mariage, où l’homme semble avoir pris la femme sous son manteau en signe de protection (voir Ruth 3 : 9). Si c’est l’image que nous devons avoir à l’esprit en lisant ce passage, alors les paroles de Malachie semblent faire référence à l’introduction de violence dans le foyer conjugal.
Il semble clair, dans un cas comme dans l’autre, que la rupture de l’alliance entre le mari et sa femme est décrite en termes de violence à l’encontre de celle-ci — soit à cause des circonstances dans lesquelles elle devra désormais vivre, soit qu’il s’agit peut-être d’une description ancienne de la violence conjugale elle-même. Et Dieu déteste cela. Si Dieu déteste le divorce, il déteste aussi la violence. Ou, pour le dire en termes sexués, Dieu déteste qu’un homme soit violent envers sa femme, et Dieu déteste qu’il abuse de son pouvoir et de ses privilèges pour la jeter aux loups.
Donc, pour résumer :
La meilleure traduction de ces versets n’est pas claire, et par conséquent, certains détails sont très ambigus.
Mais, sans équivoque :
- En utilisant le langage de la rupture de l’alliance et en faisant référence à la violence, les maris sont condamnés pour avoir agi avec perfidie envers leurs femmes.
- Le divorce que Dieu déteste se réfère exclusivement ici à la mise à l’écart dangereuse de la femme (vulnérable) par l’homme (puissant).
En d’autres termes, ce passage de Malachie vise à protéger l’épouse. Le citer pour manipuler une femme afin qu’elle reste dans une relation violente est exactement le contraire de son intention originale.
Helen PAYNTER
Directrice du Centre for the Study of Bible and Violence (Centre d’étude de la Bible et de la violence) du Bristol Baptist College (Royaume-Uni) et autrice de The Bible Doesn’t Tell Me So:Why You don’t have to submit to domestic abuse and coercive control, paru en 2020. Nous la remercions chaleureusement pour la permission de traduire cet article. Vous pouvez lire l’article en anglais ici : Domestic Violence, Divorce and Malachi, Juin 2019.
Traduction : Elisabeth Baecher
Merci pour cet article ! une lecture abusive et sexiste de plus de l’Ecriture est démasquée, et c’est tant mieux ! Merci pour cette exégèse précise.
Merci beaucoup pour cet éclairage
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