La femme de Pilate et les servantes du grand-prêtre : que ces femmes, que nous rencontrons dans l’évangile de Matthieu, ont-elles en commun avec la prophétesse au parfum et les femmes au tombeau vide ? Mary Cotes aborde la question.
Nous venons de traverser la saison du Carême pour entrer dans celle de Pâques qui s’étend jusqu’à Pentecôte. On peut bien avoir l’impression de passer d’un récit entièrement masculin à un récit plutôt féminin. Celui de la Passion du Christ semble parler surtout de masculinités toxiques qui conspirent pour mener à bien un complot de meurtre, tandis que dans celui de la résurrection des femmes montent tout d’un coup sur scène pour témoigner du tombeau vide.

La situation est pourtant bien plus nuancée. Déjà dans le récit de la Passion, d’autres personnages masculins font partie d’un contre-récit lumineux qui se révèle dans les moments les plus sombres du drame. Simon de Cyrène porte la croix de Jésus (Mt 27 : 32) ; le centurion confesse la vraie identité de Jésus (Mt 27 : 54) ; Joseph d’Arimathée fait ensevelir avec dignité le corps de Jésus (Mt 27 : 57).
En même temps, les femmes n’attendent pas la résurrection pour monter sur scène. Elles jouent un rôle essentiel dans ce contre-récit.
Si, traditionnellement, elles sont beaucoup moins connues et célébrées que les hommes tels que Simon de Cyrène, leur témoignage n’en est pas moins important.
Dans cet article, je m’intéresserai à l’évangile de Matthieu, pour mieux comprendre la manière dont ces personnages féminins participent au contre-récit en s’opposant aux mensonges et en communiquant fidèlement la vérité en ce qui concerne Jésus et son sacrifice.
La vérité : un thème important
Dans l’évangile de Matthieu, la vérité est un thème important. Jésus prononce la phrase « En vérité, je vous le déclare » plus d’une trentaine de fois, et à chaque fois, le lecteur est invité à s’éloigner des ennemis de Jésus et à prendre position pour celui qui annonce la vérité de Dieu.
A. La toile de mensonges
La vérité déclarée par Jésus tranche avec les mensonges qui sont crus et répandus par la plupart des personnages masculins. La liste de ceux qui participent à cette toile de mensonges est bien longue :
1) Les autorités religieuses tendent des pièges et tombent d’accord pour arrêter Jésus par ruse (Mt 22 : 35 ; 26 : 3-5).
2) Lors d’un procès nocturne illégal, les grands-prêtres et les membres du Sanhédrin cherchent un faux témoignage contre Jésus (Mt 26 : 59). Beaucoup de faux témoins sont présentés (Mt 26 : 60).
3) Le baiser offert par Judas est à la fois mensonger et traitre.
4) En reniant Jésus, Pierre ment (Mt 26 : 74). Son reniement fait aussi comprendre la nature mensongère de sa promesse de fidélité, offerte plus tôt à Jésus (Mt 26 : 33).
5) Pilate sait que les autorités religieuses (Mt 27 : 18) sont motivées par la jalousie. Il croit que Jésus est innocent. Cependant, pour éviter une émeute, il laisse triompher les mensonges propagés par les grands-prêtres (Mt 27 : 26).
6) À la suite de l’ensevelissement, les Pharisiens rencontrent Pilate et insistent pour que le tombeau soit gardé. Ils qualifient Jésus d’imposteur et accusent ses disciples d’être aussi des menteurs, susceptibles de voler le corps de Jésus pour prétendre que la résurrection a eu lieu (Mt 27 : 63).
7) Après la résurrection, dans un retournement ironique du récit, les soldats qui gardent le tombeau reçoivent de l’argent pour propager le mensonge que les disciples ont volé le corps de Jésus pendant la nuit (Matthieu 28 : 15).
B.Le contre-récit et les porteuses de la vérité
La femme qui oint la tête de Jésus (Mt 26 : 6-13)

Au sein du contre-récit, un certain nombre de personnages témoignent de la vérité par la parole et l’action. L’histoire de la femme qui oint la tête de Jésus en fait partie. Tandis que les douze ne veulent pas croire en la véracité des prédictions de Jésus (Mt 16 : 22 ; 17 : 22), cette femme l’annonce puissamment en préparant le corps de Jésus pour son ensevelissement. Elle ne dit rien, mais communique la vérité à travers ce qu’elle fait.
Son action prophétique a une double signification. Elle démontre que Jésus va donner sa vie. En plus, en accomplissant une action qui ressemble à l’onction d’un nouveau roi, la femme affirme l’identité légitime de Jésus en tant que Messie. Jésus soutient cette action en s’opposant à la critique des douze. Il souligne la véracité et la valeur de ce qu’elle a fait avec la phrase « En vérité, je vous le déclare ».
Les servantes du grand-prêtre (Mt 26 : 69-72).

L’histoire des deux servantes qui reconnaissent l’identité de Pierre, est si courte qu’elle est facilement négligée. Pourtant, ces femmes jouent un rôle important en osant parler. Alors que Jésus est jugé devant le Sanhédrin, un « procès » parallèle a lieu dans les coulisses du palais. Ici, les servantes du grand-prêtre interrogent le disciple de Jésus. Cependant, comme dans un miroir, la vérité et le mensonge changent de camp. Alors que dans le Sanhédrin, les autorités religieuses veulent entendre des mensonges, dans la cour, les servantes de ces mêmes autorités cherchent la vérité. Tandis que Jésus affirme devant ses accusateurs la véracité de son identité en tant que Fils de l’Homme (Mt 26 : 64), Pierre n’a pas le courage d’affirmer qu’il fait partie des disciples de Jésus. Il ment. Les paroles véridiques de ces jeunes femmes, reprises ensuite par un groupe d’hommes, tranchent avec le mensonge de Pierre.
La femme de Pilate (Mt 27 : 19)
La femme de Pilate n’est pas présente dans la scène mais envoie un message à son mari. Son évaluation de la situation est exacte ! Tout comme le centurion païen qui confesse que « celui-ci était le Fils de Dieu », cette femme païenne est lucide. Elle sait que Jésus est innocent. Elle défend la vérité dont elle est convaincue en osant courageusement conseiller son mari sur une question politique. Elle lui recommande de procéder avec honnêteté.

Son message, bien que court, a une signification profonde. Cette femme a « beaucoup souffert » pendant la nuit. Si ce terme semble assez étrange pour parler d’un rêve, il a une résonance puissante dans le contexte de l’Évangile. Ces mots (πολλά …έπάθον) font écho aux paroles de Jésus (πολλά πάθέίν) lorsqu’il prédit sa mort (Mt 16 : 21). La souffrance de la femme de Pilate la situe du côté de Jésus, dont la souffrance a déjà commencé.
En parlant du rêve de cette femme, Matthieu la place aussi aux côtés de Joseph et des Mages, qui reçoivent tous des rêves inspirés. Pilate, cependant, est piégé dans un nœud de tromperie et d’agitation, et il est loin de vouloir poursuivre la vérité. Afin d’éviter une émeute, il préfère accepter les souhaits de la foule. Il fait libérer Barabbas pour faire arrêter Jésus.
Les femmes au tombeau vide (Matthieu 28 : 1-9

La présence des deux Marie au tombeau vide fait d’elles les témoins principaux des évènements proclamés dans les confessions de foi historiques de l’Église. Ayant témoigné de la mort et de l’ensevelissement de Jésus, ces deux femmes se voient confier la nouvelle de la résurrection et un message pour les douze. Elles rencontrent Jésus ressuscité. Contrairement aux gardes qui répandent des fausses nouvelles (Mt 28 : 13-15), ces femmes annoncent fidèlement la résurrection de Jésus.
La présence de ces femmes porte à son apogée le contre-récit féminin qui est présent depuis le début du récit de la passion – et, selon certains, depuis la généalogie du premier chapitre de Matthieu[1].
En dessinant ce portrait de femmes qui saisissent les vérités divines et les communiquent, Matthieu reflète certainement la participation active et valorisée des femmes dans l’Église de son époque. Aujourd’hui, les femmes du récit de la Passion selon Matthieu nous mettent en garde contre les fausses nouvelles dont nous sommes toujours envahis. De plus, elles nous encouragent et nous poussent tous et toutes à écouter plus attentivement la voix des femmes – non seulement au sein de l’Église mais aussi dans la société en général. Ces voix peuvent bien être porteuses de vérité et nous leur fermons les oreilles à nos risques et périls.
Références
[1] Voir E. Anne Clements, Mothers on the Margin? The Significance of the Women in Matthew’s Genealogy.
Merci beaucoup pour cet éclairage des textes bibliques où j’ai tendance – comme sans doute l’écrasante majorité des lecteurs et lectrices – à ne pas remarquer l’engagement de ces femmes en faveur de la vérité.
Ces femmes ne s’attendaient très probablement pas que l’on se souviennent de leur engagement et pourtant, on en garde encore les récits des millénaires plus tard. Dans un monde de fake-news et de mensonge, que ces femmes nous encouragent à nous lever nous aussi et à lutter pour la vérité, malgré les situations dans lesquelles nous nous trouvons. Etre porteuse de vérité, ce n’est jamais anodin.