Textes bibliques

Action d’amour – sans plus ?

La femme au parfum (Matthieu 26 : 6-13)

A l’approche de la Semaine Sainte, on lit souvent l’histoire de la femme qui verse du parfum sur la tête de Jésus. Comment comprendre cette histoire ? Mary Cotes aborde la question.

Il y a quelque temps, j’écrivais un petit article sur la femme qui verse du parfum sur la tête de Jésus (Mt 26 : 6-13). Je voulais présenter son action comme un geste symbolique-prophétique[1] qui annonce le sacrifice du Christ. Pourtant l’éditeur était profondément mal àl’aise. Pour lui, il s’agissait uniquement dans ce texte d’un grand geste d’amour et de louange de la part de la femme.

Cet éditeur est très loin d’être seul. Au cours des siècles, ce texte a souvent été interprété ainsi[2]. Quelle belle expression d’amour de la part de cette femme ! Quelle offrande magnifique ! Maints prédicateurs ont compris le passage à la lumière des versets tels que 2 Corinthiens 2 : 14-16 ou Ephésiens 5 : 2[3]. Ils ont exhorté leurs fidèles à offrir le « parfum » de leur amour à Dieu, soit au culte, soit au quotidien[4].

Certes, il est très important de nous offrir à Dieu « comme un sacrifice vivant » (Ro 12 : 1). Pourtant, une interprétation de ce texte de Matthieu, orientée uniquement vers le thème de l’offrande, ne prend pas les paroles de Jésus tout à fait au sérieux. En plus, une telle lecture assure soigneusement que la femme reste dans son contexte habituel. La femme pieuse qui se donne et se dévoue : rien de moins dérangeant pour l’église traditionnelle. A suivre cette interprétation, la femme appartient à l’assemblée des adorateurs de Dieu, là où sa place n’a quasiment jamais été remise en question. 

Mais si nous abordions ce passage autrement ? Que fait cette femme, et pourquoi les disciples réagissent-ils d’une manière si négative ? Comment comprendre la réponse de Jésus ? Il me semble que ce passage émouvant nous réserve des surprises.

Une femme d’action

Une femme anonyme arrive à la maison de Simon et s’approche de Jésus.

Elle ne semble pas demander de permission pour agir. Intentionnée, elle s’avance. Devant tout le monde, elle commence à verser son parfum sur la tête de Jésus. Elle ne s’en explique pas. Son action parle puissamment par elle-même

Un beau geste de dévouement ? Son action n’a rien à voir avec la manière dont Jésus décrit la vraie prière. « Mais quand tu pries, entre dans ta chambre, ferme ta porte, et prie ton Père qui est là dans le lieu secret. » (Mt 6 : 6). Dans ce passage de Matthieu 26, nous avons plutôt l’impression de voir la femme monter sur scène. L’Évangéliste nous décrit un moment de grand théâtre. L’action de la femme prend la place centrale et attire l’intérêt général. Ceux qui sont présents deviennent ses spectateurs.

L’Ancien Testament raconte souvent des moments où un geste symbolique communique une grande vérité de Dieu. Par exemple :

  • 1 Samuel 11 : 7 : Saul prend une paire de bœufs, et les coupe en morceaux.
  • 2 Rois 2 : 19-21 : Élisée prend du sel dans un plat neuf et en jette vers la source d’eau.
  • Ésaie 20 : 2 : Ésaie marche nu et déchaussé.
  • Jérémie 13 : 1-7 : Jérémie cache une ceinture de lin dans la fente d’un rocher.
  • Ézéchiel 3 : 1-3 :  Ézéchiel mange le rouleau.
  • I Rois 1 : 39 : le sacrificateur Tsadok prend la corne d’huile et oint Salamon.

L’action de la femme de notre texte semble bien faire partie d’une telle tradition de gestes symboliques : la femme agit, et puis, plus tard dans le passage, Jésus explique le sens divin du geste. Pourtant, dans les exemples cités de l’Ancien Testament, il s’agit d’une action accomplie par un prophète ou un prêtre masculin. En Matthieu 26 : 6-13, il s’agit d’une femme. 

…courageuse

Lorsque plus haut dans l’Évangile de Matthieu, la Cananéenne vient chercher de l’aide auprès de Jésus, les disciples demandent à Jésus de la renvoyer (Mt 15 : 21-28). Ici, dans la maison de Simon, les disciples ne se montrent pas plus accueillants. Ils regardent la femme un instant avant de l’accabler de leurs critiques. A quoi bon son action ? 

Les disciples entament une discussion éthique au sujet de l’action de la femme. Ils partagent leurs avis sur elle. Ils connaissent bien les Écritures et l’importance de donner aux pauvres (Dt 15 : 11 ; 26 : 12 ; Es 58 : 10 ; Ps 82 : 4 ; 112 : 9 ; 113 : 7 ; Prov 3 : 27, 14 : 31, etc.). Ils n’approuvent pas ce qu’elle fait. Elle n’aurait pas dû faire ceci, elle aurait dû faire cela…  

S’il s’agissait uniquement d’un joli acte de dévouement féminin, pourquoi se seraient-ils autant mis en colère ?

La réaction négative des disciples envers la femme nous laisse comprendre que le geste les perturbe bien profondément. S’agit-il uniquement d’un manque de compréhension ? Peut-être qu’ils comprennent bien la signification du geste sans vouloir accepter la mort de Jésus. Ou peut-être ne veulent-ils pas approuver une femme qui agit d’une telle façon ? 

Semblable à la Cananéenne, cette femme ne se laisse pas détourner de la tâche. Elle entend les critiques et les subit en silence. Elle ne s’en excuse pas et reste sur place. Elle n’offre aucune explication de son geste et semble bien savoir qu’elle n’a aucun besoin de se défendre. Quel courage. Quelle assurance.

…soutenue par Jésus

Suite aux critiques lancées par les disciples, Matthieu nous offre un petit détail très parlant : Jésus s’en aperçoit. Il entend leurs paroles et ne les approuve pas. Il se tourne vers les disciples et les accusent d’abord de tracasser la femme sans raison.  

Aucune des paroles de Jésus qui suivent ne suggère qu’il s’agit ici uniquement d’un geste de dévouement. Jésus ne parle ni de piété ni de prière. Pour lui, la femme a préparé son ensevelissement. Théologienne et femme de foi, elle a compris que le Messie doit se sacrifier. Elle a pleinement saisi ce que les disciples n’ont pas voulu accepter (Mt 16 : 22) et l’annonce puissamment. Matthieu ne nous explique pas comment cette femme est arrivée à ce moment de discernement. Pourtant Jésus l’affirme. 

…célébrée en public 

A l’époque de Jésus, quasiment seules les actions des hommes appartenaient au domaine public. Les grands historiens assurent le souvenir des rois et des armées, en racontant tout ce qu’ils ont fait dans le monde. Par contre, les actions des femmes étaient surtout associées au domaine privé. Leur signification ne touchait qu’à la vie quotidienne. Les grands écrivains ne risquaient pas d’en parler.  

Pourtant, Jésus affirme que le geste de la femme – comme ceux des prophètes – sera raconté dans le monde entier. Il fera partie de l’annonce de la vérité divine. L’action a une valeur éternelle. S’il s’agissait uniquement d’une belle offrande, pourquoi Jésus placerait-t-il l’action de cette femme dans le contexte du domaine public ? 

Interprétée de cette façon, cette histoire a tout pour déranger l’Église traditionnelle ! Au lieu de rester dans les coulisses, cette femme occupe une place centrale. Par son geste, elle annonce devant les autres la vérité de la mort de Jésus, et accède au domaine public de l’Évangile. Les disciples qui ne l’approuvent pas, se font gronder par leur maître. 

Il ne s’agit dans cet article que d’un seul texte et d’une seule femme. Pourtant, combien d’autres femmes de la Bible sont toujours encombrées d’interprétations qui privatisent leur signification ? Combien de fois avons-nous prêché à partir de lectures de la Bible qui banalisent le portrait de la femme ? Veillons ! Et prions afin de ne pas céder au pouvoir de cette tentation.  


Références

1.Ainsi, entre autres, Elisabeth Schussler Fiorenza, In Memory of Her, SCM 1983, pp xiii, 128 et 330.

2.p.e. biblehub.com/commentary/matthew/26-10.htm : Ellicott’s Commentary for English Readers ; Matthew Henry’s Concise Commentary ; Pulpit Commentary.

3. Parfois les versets de Matthieu 26.6-13 sont également lus à la lumière de Jean 12.3-8, où il s’agit de Marie la sœur de Marthe et Lazare, qui oint les pieds de Jésus. 

4.p.e. C.H. Spurgeon : Sermons on Women of the New Testament, Londres, p.125 ; A.G.Brown : The Saviour’s Defence of Sublime Devotion, biblehub.com/sermons ; A.Watson D.D., Spiritual Emotion not to be Suppressed, biblehub.com/sermons ; Ken Henson : Sacrificial Worship, sermoncentral.com ; Ray Fowler : Extravagant Love, rayfowler.org ; Calvary Independent Church : Mary’s Worship, idahobaptist.com

À propos revdmcotes

Mary Cotes est pasteure baptiste anglaise. Ayant fait ses études doctorales de théologie, elle a exercé un ministère dans de nombreux contextes, y compris l’aumônerie d’un hôpital psychiatrique. Autrice de Women Without Walls et Quand les femmes se mettent à l’œuvre, elle exerce un ministere itinérant. . Musicienne diplômée, elle donne également des cours de piano.

1 comment on “Action d’amour – sans plus ?

  1. Maud Solano

    Merci pour ce bel éclairage sur ce geste si symbolique.

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