Textes bibliques

Lydie : femme de courage, femme d’action

Les biblistes traditionnels ont l’air de vouloir emprisonner Lydie dans la voix passive en réduisant la signification de la marchande de pourpre à sa conversion et à son baptême. Mais Lydie est beaucoup plus qu’une femme d’affaires baptisée ! Mary Cotes s’approche de Actes 16 : 11-15 en cherchant le côté actif de Lydie.

En interprétant Actes 16 : 11-15, les biblistes présentent traditionnellement Lydie comme étant la première convertie d’Europe. Ils n’ont pas tort : la conversion de cette marchande de pourpre est la première à avoir lieu en Grèce. Il s’agit donc d’un moment très important dans la progression de l’Évangile vers les extrémités de la terre (Actes 1 : 8).

Pourtant, ce récit parle non seulement de la conversion d’une femme, mais aussi de la création d’une Église chez elle. Lydie est beaucoup plus qu’une femme d’affaires baptisée ! En réduisant la signification de la marchande de pourpre à sa conversion et à son baptême, les biblistes traditionnels ont l’air de vouloir emprisonner Lydie dans la voix passive. Car toute l’activité essentielle se situe du côté des missionnaires (des hommes) qui annoncent l’Évangile. La femme reste passive, car elle ne fait qu’écouter le message puis recevoir le baptême[1].

Mais si on s’approchait du texte en cherchant le côté actif de Lydie ? Que dit-elle ? Que fait-t-elle ? Qu’est-ce que ce texte nous apprend d’elle ?

Une femme de parole

Avant de raconter le baptême de Lydie, Luc – l’auteur des Actes – ne parle de cette adoratrice de Dieu qu’à la troisième personne : il s’agit toujours d’elle.

Mais à peine baptisée, Lydie sort des coulisses. Au lieu de devenir une femme chrétienne soumise et silencieuse, elle fait entendre sa voix.

Elle s’exprime avec puissance, à la première personne. Rarement dans les récits des Actes la parole est-elle placée dans la bouche d’une femme. Pourtant Luc cite Lydie directement :  

Puisque vous estimez que je crois au Seigneur, venez loger dans ma maison (Actes 16 : 15).

L’auteur des Actes veut donc traiter de la signification de cette femme, et non seulement de celle de Paul et Silas.

Une femme qui protège

En décrivant l’arrivée des missionnaires à Philippe, Luc nous rappelle qu’il s’agit d’une colonie romaine (Actes 16 : 12). Cette ville vit sous l’autorité de Rome. Ce contexte est rempli de danger pour les missionnaires. Paul et Silas seront arrêtés et emprisonnés (Actes 16 : 16-39). L’annonce de Jésus-Christ comme Seigneur menace profondément l’autorité de Rome et son influence.

Lydie – habitante de Philippes – montre un grand courage lorsqu’elle propose aux missionnaires de venir loger chez elle. Car en osant se mettre du côté de ceux qui annoncent une autorité plus haute que celle de l’empereur romain, elle aussi se met en danger.

Lydie rejoint ainsi d’autres femmes du Nouveau Testament qui, comme Phoebé et Prisca (Rm 16 : 2-3), offrent la protection aux hommes ou risquent leur vie pour eux[2].

Lorsqu’elle invite les missionnaires chez elle, elle emploie un mot qui sous-entend la protection.

Une femme écoutée

Parfois on entend dire que, parmi les hommes du Nouveau Testament, seul Jésus respectait et écoutait les femmes. Ce n’est pas tout à fait le cas. Ce récit nous présente l’équilibre qui existe entre Lydie et les missionnaires. Tout au début du récit, la femme écoute l’homme : Lydie, complètement passionnée, est tout ouïe. Attentive aux paroles de Paul, elle saisit vite la force du message (Ac 16 : 14). Ensuite, à peine un verset plus tard, c’est l’inverse : l’homme écoute la femme.

Selon un grand nombre des philosophes de l’époque, la femme idéale était celle qui gardait la bouche fermée[3]. Loin de correspondre à cette image, Lydie prend l’initiative. Elle parle à l’impératif. Luc emploie des mots de force pour décrire la façon déterminée dont Lydie s’adresse aux missionnaires. Le vocabulaire qu’il choisit veut dire que Lydie a « exhorté » les missionnaires, ou les a « pressés. » Finalement elle est arrivée à « les contraindre. » Elle insiste ! Les missionnaires ne la traitent pas en « femme difficile » et ne l’accusent pas de les harceler (voir la réaction négative des disciples envers la femme cananéenne dans Matthieu 15 : 23). Ils écoutent la baptisée et la respectent. Ils se laissent convaincre par elle.

Une esclave affranchie qui ouvre sa porte ?

Lydie ne reçoit pas le baptême toute seule : elle est accompagnée de tous les membres de sa maison (Ac 16 : 15). Il est rare dans le Nouveau Testament d’entendre parler d’elle et sa maison. Lydie ne vit pas au sein d’une famille traditionnelle. Luc ne veut pas que cette circonstance inhabituelle nous échappe : il la met en valeur lorsqu’il parle une première fois de Lydie et sa maison et une deuxième fois, en citant Lydie qui dit : « entrez dans ma maison ». 

Au premier siècle, la structure principale de la société romaine était celle de la maison patriarcale. Celle-ci fonctionnait selon une hiérarchie immuable. L’autorité appartenait strictement à l’homme qui se trouvait à la tête de la maison. La vie quotidienne de la famille tournait autour de lui. L’épouse était soumise au mari, les enfants et petits-enfants (même adultes) au père et grand-père. Les ouvriers (souvent logés dans la maison) et les esclaves, à leur tour, devaient obéir au maître. 

Alors, lorsque Luc parle de Lydie et de « sa maison », il relève que le fonctionnement de cette maison se détache nettement de celui d’une maison patriarcale habituelle.

Quelques biblistes suggèrent que seule une veuve héritière eût été en mesure de tenir un commerce de pourpre. Suite à deux lois passées par l’Empereur Auguste, certaines veuves étaient libres de gérer leurs maisonnées et leurs finances[4]. Ces biblistes soutiennent que Lydie, veuve héritière, devait avoir des moyens considérables.

Ou bien, sa situation était-elle plus modeste ? Des documents de l’époque ainsi que des inscriptions nous donnent à comprendre que la production de la teinture était souvent considérée comme un travail ignoble, indigne des riches. Par conséquent, ce travail était souvent fait soit par des esclaves qui vivaient sous l’autorité d’un maître, soit par des esclaves affranchis[5]. Ces derniers vivaient souvent ensemble et travaillaient en partenariat. Liés économiquement à leur ancien maître s’ils restaient sur place, ils étaient obligés de partir ailleurs s’ils voulaient créer une entreprise indépendante. Cette possibilité leur fournissait des moyens modestes, suffisants pour subsister.

Certaines biblistes[6] soutiennent que Lydie, originaire de Thyatire et étrangère à Philippes, aurait bien pu être une esclave affranchie qui avait créé, près du fleuve, une entreprise de production de pourpre. Elles pensent que Lydie aurait pu accueillir d’autres esclaves affranchies dans sa maison qui travaillaient avec elle en tant que ses associées. Une seconde considération nous pousse vers cette possibilité : le prénom de cette femme veut dire « celle qui vient de Lydie ». Ce prénom semble confirmer l’origine humble de cette marchande qui ne serait pas, semble-t-il, associée à une famille bien établie à Philippes.

Co-fondatrice de la première Église de maison en Europe

Il est possible alors que Lydie se trouve du « mauvais » côté des trois grandes divisions de la société de l’époque. C’est déjà la païenne qui accueille le Juif, et la femme qui protège l’homme. Puis, peut-être bien, l’ancienne esclave qui accueille l’homme libre. Lydie devient alors la co-fondatrice avec Paul de la première Église d’Europe[7]. Celle-ci exprimait la nature révolutionnaire de la communauté en Christ, en qui « il n’y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme » (Ga 3 : 28).

Un parallèle intéressant existe entre l’histoire de Lydie et celle de la rencontre de Jésus à Emmaüs. Le mot qui décrit la manière dont Lydie exhorte les missionnaires à loger chez elle (Ac 16 : 15) est le même que celui utilisé en Luc 24 : 29, lorsque le couple d’Emmaüs propose à leur compagnon inconnu de rester chez eux. Luc nous fait comprendre que, comme à Emmaüs, la maison de Lydie devient un lieu où le Christ est glorifié, envahi par la présence du ressuscité. La Sainte Cène sera célébrée chez Lydie, tout comme le pain avait été rompu à Emmaüs.  

Si Paul avait voulu que le premier centre de vie chrétienne à Philippes soit conforme à une structure patriarcale, il aurait pu refuser l’invitation offerte par Lydie. Il aurait pu établir un premier centre chez le geôlier romain ou un autre nouveau converti.

Par contre, la première communauté chrétienne en Europe n’a pas été créée chez un père de famille, mais au sein de la maison d’une femme (Actes 16 : 40). En nous présentant Lydie, Luc nous offre le portrait d’une chrétienne dynamique et courageuse qui joue un rôle inoubliable dans l’histoire de l’Église primitive.


Pour approfondir le côté actif d’autres femmes du Nouveau Testament nous vous recommandons le livre de Mary Cotes : Quand les femmes se mettent à l’œuvre, paru aux Éditions Farel, maintenant aussi disponible en anglais sous le titre Women Without Walls dont vous pouvez lire une recension ici.


Référence

1. Par exemple TOB, sous-titre de Actes 16.11-15 : La conversion de Lydie. Williams C.S.C., The Acts of the Apostles Londres 1957 :  Paul in Philippi ; Neil William, The Acts of the Apostles, Londres 1973 : The second missionary journey, at Philippi ; Spurgeon, C.H. Sermons on Women of the New Testament, Londres 1959 p. 227 : Lydia’s conversion and its lessons.

2. Voir : Mary Cotes, “L’homme et la femme : du pareil au même ?  Réponse à Charles Nicolas”, sur notre blog.

3. Aristote, par exemple, cite un poète qui affirme que « Le silence est la gloire de la femme ». Aristote, La Politique, 1.1260a

4. Valérie Duval-Poujol : La Bible est-elle sexiste ?, Éditions Empreinte Temps Présent, 2021, p. 201

5. Ivoni Richter Reimer : Women in the Acts of the Apostles, Minneapolis, 1995 pp. 98-112.

6. dont Fiorenza Elisabeth Schussler, In Memory of Her, London, 1983, p. 178. Ivoni Richter Reimer, Women in the Acts of the Apostles, Minneapolis, 1995, pp. 71-149. Brigitte Kahl, The Acts of the Apostles, dans Horsley Richard ed. In the Shadow of Empire, Minneapolis, 2008, p. 153. Certaines d’autres soutiennent que la phrase « lieu de prière » fait allusion à une synagogue et que Lydie en fût une des responsables.

7. Pour savoir plus sur les collaboratrices de Paul dans les premières Églises, voir Valérie Duval-Poujol : La Bible est-elle sexiste ?, Éditions Empreinte Temps Présent, 2021, pp. 173-202.

À propos revdmcotes

Mary Cotes est pasteure baptiste anglaise. Ayant fait ses études doctorales de théologie, elle a exercé un ministère dans de nombreux contextes, y compris l’aumônerie d’un hôpital psychiatrique. Autrice de Women Without Walls et Quand les femmes se mettent à l’œuvre, elle exerce un ministere itinérant. . Musicienne diplômée, elle donne également des cours de piano.

4 comments on “Lydie : femme de courage, femme d’action

  1. Jean-Marc BELLEFLEUR

    Un grand merci à l’autrice de cet article, dont je partage l’analyse.

  2. Ping : « L’autorité masculine » #bingodesclichés – Servir Ensemble

  3. Claire Poujol

    merci pour cette belle reflexion sur une femme formidable.

  4. Ping : Comme j’aimerais que le monde soit un monde pour les hommes et les femmes – Servir Ensemble

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