Textes bibliques

Joseph : quel modèle de masculinité ?

Quels modèles de masculinité faut-il encourager dans nos Églises ? En cette saison de l’Avent, Mary Cotes se penche sur le portrait de Joseph dans l’Évangile de Matthieu.

Pendant la période de l’Avent et les fêtes de Noël, on a tendance à regarder avant tout les portraits de Marie et de Jésus, ce qui est tout à fait compréhensible. Mais si nous passions quelques moments à considérer le portrait de Joseph, et la manière dont sa masculinité est présentée ? 

Si Joseph est nommé dans l’Évangile de Jean (Jean 1 : 46 et 6 : 42), il parait surtout dans les Évangiles de Matthieu et de Luc, les seuls à raconter la naissance de Jésus et son enfance. Luc, qui s’intéresse principalement à Marie, consacre relativement peu d’encre à Joseph (Luc 1 : 27 ; 2 : 4 ; 2 : 16). Par contre, dans l’Évangile de Matthieu, Joseph sort des coulisses pour jouer un rôle principal1

Dans le passé, les femmes biblistes ont eu tendance à dénoncer la perspective de Matthieu, qui place Marie dans l’ombre pour raconter la naissance de Jésus du point de vue de l’homme. Pourtant, en considérant le texte de Matthieu de plus près, on voit que Joseph est loin d’affirmer une masculinité patriarcale traditionnelle. Son portrait sert plutôt à la remettre profondément en question.  

L’histoire de Joseph en Matthieu (1 : 16-2 : 23) est dessinée sur le fond d’une masculinité toxique et impie, celle du roi Hérode. Lors des rares cultes de Noël où on ose jeter un coup d’œil à la violence de ce tyran – en général on l’évite complètement de peur de diminuer la joie de la fête – c’est pour comparer la royauté d’Hérode à celle de Jésus. Pourtant il est primordial de comprendre l’horreur du portrait d’Hérode pour mieux apprécier la masculinité bien différente de Joseph. Alors, avant d’aborder le portrait de Joseph en Matthieu, je passe par celui du tyran. 

Hérode

Les Écritures au service du pouvoir masculin

Soutenu par l’empire romain, le roi Hérode est présenté comme le tyran patriarcal par excellence. Brutalement motivé par la soif du pouvoir, il va jusqu’à se servir des Saintes Écritures pour mieux renforcer son pouvoir sur les autres. Au lieu de les lire pour s’approcher de Dieu, il consulte ses prêtres dans le seul but politique de découvrir le lieu de naissance de son rival potentiel (Matt 2 : 4). En quelques mots, Matthieu présente une masculinité qui est loin de Dieu.

De la rivalité à la violence 

Le sens de la rivalité, l’une des expressions typiques de ce que l’on appelle aujourd’hui couramment la masculinité toxique, pousse le roi au mensonge : il fait croire aux mages qu’il veut adorer le roi nouveau-né alors qu’il n’en a aucune intention (Matt 2 : 8). Plus tard, cette même peur d’être déposé par un rival le pousse vers le massacre odieux des plus vulnérables de son royaume. 

Dans le privé comme dans la sphère publique

L’hideuse réputation d’Hérode était bien connue à l’époque. Selon l’historien Flavius Josèphe, Hérode a fait tuer non seulement trois d’entre ses propres fils, mais une de ses femmes aussi2. La belle Mariamne I, la seconde des neuf femmes d’Hérode, venait de la famille rivale des Hasmonéens. Lorsqu’elle découvre que son mari veut sa mort, elle refuse de coucher avec lui. Passionnément jaloux, Hérode l’accuse d’adultère. Il fait venir de faux témoins, et Mariamne est condamnée et mise à mort en 29 avant J.-C. 

Archélaüs

Hérode n’est pas le seul exemple de ce type de masculinité dans le récit de Matthieu. Il y a aussi Archélaüs (Matt 2 : 22). En rentrant d’Egypte avec Marie et l’enfant, Joseph apprend qu’Archélaüs a succédé à son père et prend peur. Fugitif pour la seconde fois, il emmène la famille en Galilée. Le message de Matthieu est clair : la masculinité toxique passe facilement de père en fils.

Joseph

Masculinité dirigée par Dieu

La masculinité de Joseph est très loin de ressembler à celle d’Hérode. Tandis qu’Hérode, motivé par ses propres peurs, agit avec une force autoritaire, Joseph se laisse diriger par Dieu au moyen de songes. Matthieu laisse voir que Joseph ressemble à son homonyme du livre de Genèse : lui aussi a des songes et descend en Égypte. L’époux de Marie est donc présenté comme un homme dévoué, issu de l’histoire de son peuple et enraciné en elle.

De l’humiliation à l’humilité  

Certes, au début du récit, Joseph est bien l’homme qui agit selon les traditions patriarcales de son époque, même s’il est entièrement bien intentionné. En apprenant que Marie est enceinte, il pense qu’elle a été infidèle. Il décide, de sa propre initiative, de divorcer en secret. Il veut agir selon des principes conformes à la religion. Pourtant, son autorité masculine ainsi que son esprit d’indépendance sont remis en question par l’ange de Dieu.

Dans le livre de la Genèse, les premiers rêves de Joseph renversent l’ordre patriarcal de l’époque en suggérant que les frères ainés de la famille se prosterneront un jour devant un des plus jeunes (Gen 37 : 2-11). Dans le récit de Matthieu, le rêve de Joseph remet également en question l’ordre traditionnel de la société patriarcale. Par sa soumission à l’ange, Joseph risque le regard jugeant des autres.

Au lieu de renforcer sa position en se pliant aux normes religieuses et sociales, il refuse d’agir en homme dont la fierté masculine a été déshonorée. Il reconnait l’action du Saint-Esprit en Marie.

À la naissance du bébé, il devient le père adoptif de Jésus. Il renonce au droit patriarcal de choisir lui-même le prénom en donnant à l’enfant le prénom annoncé par l’ange. La famille qui se crée grâce à l’humilité de Joseph laisse entrevoir déjà la nouvelle communauté qui sera pleinement inaugurée par Jésus.

Masculinité soumise

À partir de ce moment, Joseph change. Dans le récit qui suit, Joseph ne prend jamais plus de décision de son propre chef. Il n’est jamais l’initiateur des évènements. À chaque fois, il est dirigé par l’ange de Dieu. Grâce à sa soumission humble, Joseph accueille l’enfant dans sa maison. Il remplit le rôle d’un père biologique en lui apprenant son métier (Matt 13 : 55-56). Matthieu laisse au lecteur le soin d’imaginer comment la masculinité de Joseph a pu servir de modèle à son fils adoptif.

Masculinité sans rivalité

Au cours des siècles, les théologiens ont voulu voir dans l’action de Joseph, qui protège sa femme vulnérable, la preuve d’une autorité patriarcale. Certes, à l’époque de Matthieu, l’homme à la tête de la maison devait jouer le rôle de protecteur de la famille. Cette perspective patriarcale se laisse voir dans la manière dont Joseph « prend avec lui » sa famille en Égypte. 

Pourtant, il faut interpréter l’action de Joseph à la lumière de celle d’Hérode. Tandis que le roi agit violemment pour renforcer son propre pouvoir et éliminer un rival, Joseph – autant victime de la masculinité toxique d’Hérode que sa femme – agit courageusement pour sauver Marie et Jésus. L’enfant adopté sera un jour infiniment plus important que Joseph, mais il l’accueille à bras ouverts, sans aucune rivalité.

Tandis que la masculinité d’Hérode détruit la communauté, celle de Joseph l’affirme et la protège.

Masculinité à l’écoute

Dans leur article magnifique Joseph, père de Jésus, Bourquin, Charras-Sancho et Tricou rappellent que dans les Évangiles, Joseph ne parle jamais au style direct3. Tout au long des récits de Luc et de Matthieu, il « est actif, mais muet »4. À cet égard, il ne ressemble pas à Marie qui, remplie d’une sagesse lumineuse et spirituelle, parle et chante librement. Il n’est pas autoritaire ; il n’offre point de discours théologiques ; il ne répond même pas à l’ange qui vient le diriger. Son écoute soumise le rend prêt à agir différemment par rapport aux autres. Dans un monde patriarcal qui affirmait que la prise de parole en public était réservée à l’homme, et que le silence « était la gloire de la femme »5, Matthieu nous propose un portrait de la masculinité selon la volonté de Dieu, qui, d’une manière flagrante, remet en question les stéréotypes traditionnels. 

***

En 2022 – une année de guerre et de rumeurs de guerre -, nous sommes encore davantage conscients de la manière dont la masculinité à la Hérode menace toujours notre monde et sa paix. Comment mieux encourager les Joseph de nos Églises et les affermir ? Comment offrir des modèles de masculinité qui remettent en question notre société où, tous les jours, à travers les médias, on consomme de manière consciente ou inconsciente de la violence et de la rivalité ? Peut-être Joseph devrait-il prendre une place plus importante dans nos réflexions.


Références

1. Pour un résumé de l’interprétation de Joseph en tant que père dans les Évangiles (y compris dans Luc 2.21-52) comme dans l’histoire, voir Bourquin, Charras-Sancho et Tricou : Joseph, père de Jésus, dans :  Fricker et Parmentier (dir) : La Bible. Des Hommes. Labor et Fides, pp 29-51. Ils trouvent en Joseph « un père radicalement divergent qui propose un contre-modèle à une masculinité toxique ambiante. »

2. Josèphe : Les Antiquités : 15.23–31, 61–85, 185, 202–246;  La Guerre des Juifs :  1.241, 262, 431–444.

3. Joseph, père de Jésus, p.43.

4. Ibid., p.39

5. Aristote : La Politique 1.1260a. L’auteur cite un poète.

À propos revdmcotes

Mary Cotes est pasteure baptiste anglaise. Ayant fait ses études doctorales de théologie, elle a exercé un ministère dans de nombreux contextes, y compris l’aumônerie d’un hôpital psychiatrique. Autrice de Women Without Walls et Quand les femmes se mettent à l’œuvre, elle exerce un ministere itinérant. . Musicienne diplômée, elle donne également des cours de piano.

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