Progresser en Église

L’Église face aux abus sexuels

Une version abrégée de cet article est publiée dans le numéro d’avril 2022 du journal Christ Seul, reproduit avec autorisation. Cet article s’inscrit dans le thème du mois de novembre, consacré à la sensibilisation face aux violences sexistes et sexuelles.

Les abus sexuels sont sous-documentés dans l’Église

Publié en octobre 2021, le rapport Sauvé a choqué en montrant l’étendue des situations d’abus sexuels dans l’Église catholique. Ces abus ne sont pas l’apanage de l’Église et reflètent un problème de société. Comme tous les problèmes de société, ils existent aussi dans l’Église, qu’elle soit catholique, protestante ou évangélique.

La parole s’est libérée ces dernières années concernant les abus sexuels dans la société et dans l’Église. Pourtant, ces abus restent sous-documentés et de nombreuses victimes gardent encore le silence1. On peut identifier deux raisons à ce silence. D’abord et contrairement aux idées reçues, nous avons encore beaucoup de mal à croire les victimes. Ensuite, les victimes ne reconnaissent pas toujours le mal qui leur a été fait sous l’emprise des abuseurs.

Depuis les temps bibliques, les abuseurs sont des gens normaux

Quand on pense au roi David, c’est l’image du « héros de la foi », le roi selon le coeur de Dieu, préfigurant le Christ, qui vient spontanément à l’esprit de beaucoup. On pense moins souvent à son histoire chronique d’abus et d’inconduite sexuelle. Pourtant, cet aspect est bien présent dans la Bible. On le retrouve avec Batchéba, bien sûr, qui n’a pas vraiment eu son mot à dire quand il a envoyé ses hommes la chercher pour qu’elle vienne dans son lit (2 Sam 11). Mais aussi avec sa fille Tamar, qu’il n’a pas protégée ni défendue contre son demi-frère incestueux (2 Sam 13). Ou encore avec Abichag, la jeune fille (forcément belle) qu’il a épousée dans ses vieux jours pour qu’elle le réchauffe la nuit (1 Rois 1 : 1-4).

David est présenté à la fois comme un abuseur et comme un homme selon le cœur de Dieu.

De même, bien des abuseurs sont des personnes charmantes, appréciées et respectées dans l’Église.

Nous aimerions croire que seuls des « monstres » pourraient se rendre coupables d’abus, mais les études sur le sujet nous montrent que ce n’est pas le cas2. Les abuseurs inspirent souvent du respect et les membres de l’Église ont souvent des difficultés à croire que ces personnes ont vraiment fait du mal à quelqu’un. Croire les accusations remettrait profondément leur jugement en question. C’est un processus désagréable que tous préfèrent éviter3. En hésitant à croire les victimes, la communauté choisit alors le silence et décourage explicitement ou tacitement les victimes de témoigner.

L’emprise

Il est difficile de s’exprimer quand notre interlocuteur ne souhaite pas nous entendre, et la sourde oreille de la communauté est un premier obstacle aux témoignages. Dans les cas d’abus s’ajoute un obstacle supplémentaire, l’emprise4. Il est souvent admis à tort que des victimes d’abus sexuels (surtout des enfants) en parleraient immédiatement à leurs parents. Les études montrent au contraire que les enfants ont de grandes difficultés pour révéler les abus5. En effet, ces derniers surviennent après l’établissement d’une relation de confiance avec la victime. La création de cette relation privilégiée est appelée grooming. La phase de grooming peut durer des mois, voire des années. Elle vise à mettre en place une emprise relationnelle et psychologique qui pose les bases de l’abus, ce qui s’exprime en une relation intime et de confiance. Ce n’est que dans un deuxième temps que la relation devient sexuelle. Dans le cadre de cette relation privilégiée, l’abuseur fait souvent porter la faute de l’abus à la victime. La honte et la culpabilité ressenties par la victime l’empêchent alors de parler.

L’enjeu pour l’Église : la restauration

Les abus sont donc entourés d’un silence qui est à la fois imposé par les abuseurs qui ne veulent pas que ça se sache, maintenu par les victimes enfermées dans la culpabilité, et privilégié par la communauté qui préfère ne pas se remettre en question. Ce silence dessert la communauté toute entière. Laisser le passé là où il est, ou taire les faits, ouvre la porte à de nouvelles situations similaires.

L’Église est une communauté de réconciliation.

En tant que telle, elle doit à la fois protéger les victimes et mettre les personnes qui commettent des abus face à leurs actes et à leurs responsabilités ;

pour le bien des victimes bien sûr, mais aussi celui des abuseurs. Garder le silence pour protéger la réputation des abuseurs ne rend service à personne. Les abuseurs ont besoin de pouvoir reconnaître le mal qu’ils ont fait, de se repentir et de changer. Ils ont pour cela besoin d’une communauté qui leur pose des limites claires et structurantes6. Ces limites prendront par exemple la forme d’une condamnation publique des actes d’abus, d’un recours à la police et la prison, d’une restriction quant aux œuvres dans lesquelles l’Église permet à l’abuseur de s’engager, ou encore d’une rencontre régulière avec un accompagnateur pour faire le point sur les tentations et les comportements de l’abuseur. Une Église devient un lieu de justice restaurative quand les victimes sont entendues et protégées, et les abuseurs transformés.


Références

1 Rapport de l’INSERM Sociologie des violences sexuelles au sein de l’Église catholique en France (1950-2020), qui a servi de ressource au Rapport Sauvé, https://presse.inserm.fr/sociologie-des-violences-sexuelles-au-sein-de-leglise-catholique-en-france-1950-2020-une-enquete-inserm-pour-eclairer-le-rapport-de-la-ciase/43884/

2 The Leadership Council on Child Abuse & Interpersonal Violence «  Eight common myths about child sexual abuse » http://www.leadershipcouncil.org/1/res/csa_myths.html

3 Cathleen Falsani, « Quand les Saints deviennent des prédateurs », article de Réformés.CH du 25 septembre 2018, https://www.reformes.ch/eglises/2018/09/quand-les-saints-deviennent-des-predateurs-sexualite-croyance

4 Judith Hermann, Trauma and Recovery

5 The Leadership Council, « Eight common myths »

6 Lisa Schirch, « Sexual abuse in Mennonite contexts, » publié le 7 septembre 2016 dans Anabaptist World, https://anabaptistworld.org/sexual-abuse-mennonite-contexts/

Salomé Haldemann contribue occasionnellement au blog Servir ensemble. Elle est pasteure d'une Eglise mennonite en France.

1 comment on “L’Église face aux abus sexuels

  1. Knuchel

    Merci pour cet article, c’est si important de mettre des mots autour de ce thème gardé trop silencieux dans la plupart des églises. Je rêve que mon église se positionne et soit audacieuse pour les victimes et structurante pour les abuseurs.

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