Spiritualité

Barbie, le paradoxe d’une femme-poupée (sans oublier Ken !) #vupourvous

Je suis allée voir un film qui avait pour titre… Barbie. La poupée-mannequin « vit une vie parfaite » dans un monde pastel aux dominantes de rose, éclairé d’un soleil éclatant, dans une atmosphère de gaieté sans fin. 

Qu’est-ce que nous faisions-là, mon mari et moi, un couple de pasteurs You’ll love it, Mum and Dad! Nos filles sont intelligentes… alors on leur a fait confiance.

Barbie, de Greta Gerwig, est dans la lignée de Stepford Wives (Et l’homme créa la femme, film satirique de 1972). Le film rend compte de l’engouement des petites filles pour la poupée lancée en 1953 par Mattel, et de l’affection nostalgique que lui portent certaines femmes adultes. Mais pas seulement…

S’il vous plaît – Ne lisez pas ce qui suit si vous souhaitez d’abord voir le film ! Vous pouvez sauter à la conclusion pour voir si je recommande ce film ou pas…

Barbie, le paradoxe d’une femme-poupée

Première image : l’arrivée sur scène de l’icône blonde aux jambes interminables qui domine tout, sur la fameuse musique de Stanley Kubrick.

Cette nouvelle représentation de la femme, incarnée par Barbie, brisait le stéréotype de la femme au foyer véhiculé par les jouets typiques proposés à l’époque. Barbie va libérer les petites filles de la future monotonie des tâches ménagères à laquelle la socialisation des années 50 les destinait. 

C’est une séquence d’ouverture saisissante et drôle qui résume magistralement « la libération de la femme » à cet égard. Il est aisé de voir pourquoi plusieurs pays où les femmes ont peu de droits ont censuré ce film.

Malgré tout, il n’est pas si facile de regarder la scène d’ouverture ! Car l’actrice Margot Robbie est une vraie femme parfaite. « Margot-en-Barbie » est une déesse (américaine) qui met toutes les autres à terre. C’est justement là où le bât blesse : l’image stéréotypée de Barbie ne blesse-t-elle pas l’estime de soi des jeunes filles ? n’est-elle pas trop imposante ? n’a-t-elle pas été générée par les critères de beauté écrasants qui régissent notre monde (occidental) ? 

Désormais, la poupée favorite n’est plus le petit bébé dont la fillette s’occupe en préparation à son « rôle » de mère au foyer, mais une poupée avec un corps de femme à qui elle va s’identifier. Voilà le « paradoxe Barbie » que le film relève et analyse joyeusement :

Barbie féministe conquiert le monde, en choisissant le métier qu’elle désire, libre et autonome – tout en étant une créature de rêve avec des mensurations inatteignables pour quiconque.

Une idéalisation ou sexualisation irréaliste potentiellement dommageable.

L’innocence de l’enfance protège jusqu’à un certain point… et c’est sans doute pour cela que des femmes adultes intelligentes se souviennent avec affection de leur Barbie. Car par elle, elles se projetaient dans un avenir coloré et joyeux, avec plein de voyages passionnants, en voiture, bateau, avion.

« Barbie Stéréotypée » versus « Barbie-toute-femme »

Très rapidement dans le film, comme pour ne pas s’aliéner les spectatrices occidentales d’aujourd’hui, Barbie apparaît sous ses autres formes : Barbie ceci Barbie cela. Barbie a de multiples professions et choix de vie. Il y a même « Barbie femme-enceinte ». Comme le film en rend compte, les féministes avaient commencé à critiquer le jouet pour son esthétique impossible et uniforme. Sous cette pression, Mattel en a modifié le corps en introduisant des variantes aux cheveux bruns, aux traits de femmes noires ou asiatiques, des variantes avec plus de rondeurs aussi. De plus, aujourd’hui, la maison de Barbie est équipée d’un ascenseur pour fauteuil roulant pour inclure des réalités plus douloureuses que l’on peut vivre dans son corps.

Le film dit clairement que Margot Robbie incarne « Barbie Stéréotypée », celle qui vient d’abord à l’esprit, définie d’abord par son apparence physique. À Barbieland, où tout va bien, mais où on fait seulement semblant d’avaler son café, Barbie ne pourra jamais évoluer. Elle est coincée dans cet univers figé.

Mais peu importe ! Sa seule raison d’être est de rendre les petites filles heureuses et rêveuses, spécialement celle qui la possède. C’est la prémisse du film qui va déclencher le déroulement : derrière le phénomène Barbie, il existe des vraies femmes-en-devenir.

Ken, le compagnon idéal

De même, la « relation » de Barbie avec Ken, la poupée masculine créée par Mattel dix ans plus tard pour être son amoureux (utilisons le langage enfantin), ne peut qu’être superficielle. Les bisous ne sont pas réels. Après tout, les enfants ne connaissent pas grand-chose des relations entre adultes. L’anatomie des jouets en plastique n’étant pas explicite, les relations amoureuses ne peuvent aboutir. 

Mais Barbie s’en moque ! 

Ken n’existe pas en lui-même, mais par elle et pour elle ! 

À Barbieland, où la présidente est « Barbie noire », et où tous les métiers sont exercés par Barbie (l’une d’entre elles), où toutes les maisons, voitures, avions sont la propriété de Barbie, et toutes les initiatives émanent de Barbie… Ken n’existe qu’à cause d’elle, en complément.

Ken n’est qu’un accessoire et, en effet, qui offre un Ken comme cadeau à un petit garçon ?

Barbieland inverse le monde réel patriarcal.

Relevant cela avec humour, Greta Gerwig se lance dans une analyse de l’identité masculine face au « féminisme ».

On ne peut se cantonner dans un monde imaginaire

Chaque poupée Barbie appartient à une propriétaire et devient objet-sujet de ses rêves. La « Barbie Stéréotypée » incarnée par Margot Robbie appartient à une vraie jeune fille, devenue adolescente, qui vit dans le monde réel en Californie. Mais elle va mal et abandonne ses rêves… et sa poupée. 

Cela influe sur Barbieland. Le film joue avec la ligne de démarcation entre fantaisie et réalité pour construire son scénario : les souvenirs tristes de la vraie jeune fille sont perçus par la poupée comme ses propres souvenirs. Ainsi, l’identification de l’enfant avec sa poupée s’inverse.

L’imperfection et la question de la mortalité font irruption dans le monde de « Barbie Stéréotypée ». Et la voilà subitement avec… un défaut ! Une expérience douloureuse imposée à beaucoup de jeunes femmes par les critères de beauté et le « photoshopping ». 

« Barbie Stéréotypée » rencontre « Barbie Bizarre », celle qui, défigurée, tordue, les cheveux massacrés par des ciseaux émoussés, reflet du mal-être des jeunes propriétaires, gît au fond des placards. Et l’aventure commence ! Barbie devra voyager vers le vrai monde, trouver sa propriétaire, restaurer son bien-être afin de réparer son défaut.

Ken l’accompagne, et leur découverte du monde réel où les hommes ont les privilèges ravit Ken et choque Barbie.

Le tour de force de Greta Gerwig est donc d’aller au-delà d’une première analyse de l’impact de la poupée mannequin sur l’image de soi des jeunes filles, sur leur représentation de leur corps, de leur rôle dans la société. Le film se lance dans une analyse drôle de l’identité masculine.

Le vrai monde est compliqué… et authentique

Barbie découvre la réalité du sexisme tandis que Ken s’approprie certains symboles de l’hypermasculinité. Il rentre sans Barbie et fait basculer Barbieland dans le patriarcat à l’honneur de Ken : une évocation satirique et très drôle de la survirilisation.

Pendant ce temps, Barbie, avec le concours de la mère, tente de ranimer chez sa propriétaire adolescente ses espoirs pour l’avenir.

Barbie n’avait qu’une envie, redevenir parfaite et retourner dans son monde imaginaire parfait. Pour cela, il lui suffirait de « retourner dans sa boîte » rose grandeur nature, fournie par les directeurs affolés de Mattel.

Seulement… Barbie a fait des expériences dans le vrai monde qui lui donne envie de quitter l’imaginaire.

Il y a ce moment touchant lorsqu’elle rencontre pour la première fois une femme âgée, belle de ses rides et satisfaite d’avoir vécu une vraie vie. Ainsi que la rencontre avec Ruth Handler[1], la créatrice de Barbie, vieille dame elle aussi, qui avait voulu aider les jeunes filles à « rêver leur propre avenir » au-delà des confins des rôles stéréotypés. 

Le film met en scène plusieurs générations de femmes (et ne renie pas la maternité). C’est solidaires que Barbie, sa propriétaire et la mère de celle-ci iront libérer les poupées Barbies de leur subjugation dans le Monde patriarcal crée par Ken, en les réveillant à la « réalité ».

Manipulation… ou intelligence émotionnelle ?

Cela passe par une manipulation : elles montent une moitié des Kens contre l’autre moitié des Kens, comme une guerre des gangs. C’est peut-être une des faiblesses du film, à mon sens, trop proche des clichés de la femme manipulatrice. Mais il fallait faire avancer le scénario.

Si les Kens, à ce moment-là, sont plutôt idiots, c’est vite pardonné : ce n’est pas la masculinité en soi qui est satirisée, mais la masculinité toxique.

Il est difficile de nier le réalisme sous-jacent. Dans notre monde, qui sont, avant tout, membres de gangs, combattent dans les guerres, fondent des associations terroristes, produisent des films remplis de violence, sont représentés par des poupées type Action Man (avec son gorille) en passant par les GI Joe (poupées militaires) et aujourd’hui des poupées Avengers, Hulk, Iron Man… ? (Même s’il existe une poupée GI Jane.)

Avec ces poupées d’action, « l’action » se passe hors du foyer et loin du foyer, dans des univers imaginaires violents. La vie de Barbie, malgré ses moyens de transport fabuleux, s’ancre dans sa maison toute rose, où il y a canapé, un four etc.

Frustration sexuelle

En fait, Gerwig met Ken à la place trop souvent imposée aux femmes. Et Ken s’en plaint : il ne vit que lorsque Barbie le regarde. Il n’a pas d’existence en dehors d’elle. Et il ne peut l’embrasser à son gré.

C’est le contraire du comportement récent de l’entraineur espagnol Luis Rubiales, dans sa façon d’agripper spontanément la tête de la footballeuse Jennifer Ramosi de ses deux mains afin de lui imposer un baiser non désiré. 

La réconciliation entre les sexes

Mais Gerwig ne met en scène aucune violence physique de la part des Barbies contre les Ken. Son message n’est pas que les femmes devraient dominer les hommes, les opprimer ou prendre leur revanche sur eux. Quoique d’une manière satirique, Barbie libère les Kens du poids de leur machisme exagéré, afin qu’ils puissent devenir eux-mêmes, des individus uniques et dignes, et elle les invite à s’engager dans des relations authentiques. 

Ainsi le film prône la réconciliation et l’égalité des sexes.

Gerwig ne dit pas que les femmes sont des hommes. « Barbie Stéréotypée » va décider, certes, de fuir les stéréotypes, mais c’est pour intégrer le vrai monde. 

Que va-t-elle faire en premier ?

Aller chez le gynéco

Parce qu’elle est fière d’avoir un vrai corps de femme, avec tous les aléas que cela implique.

Elle est ravie d’être une femme ! Réelle. 

Ainsi, le film Barbie valide l’expérience d’être femme.

Conclusion : un moment de bonheur et de détente réfléchie

Nous sommes sortis du cinéma en riant. Mon mari ne s’est pas senti dévalorisé ou offensé par la dénonciation du patriarcat, ni lésé dans son identité masculine.

Voulant vérifier mon intuition, j’ai appris qu’effectivement Gerwig, à la fois autrice et réalisatrice, évoque l’influence de son éducation catholique sur la manière dont elle a réalisé le film, citant ce qu’elle appelle le « mythe de la création » dans Genèse, et une scène en écho au célèbre tableau de la chapelle Sixtine, où Dieu tend sa main créatrice et touche la main tendue de l’homme ainsi crée[2]. Dans Barbie, dans un moment tendre, Ruth Handler tend une tasse de thé à sa création, sur le même axe de bras tendus. 

Et la dernière scène est particulièrement poignante (je vous laisse découvrir !)

Ces scènes m’inspirent la pensée qu’une femme se construit elle-même. Et que, dans Genèse 2, Dieu l’a bâtie, construite pendant que l’homme dormait. L’homme n’y était pour rien. Il n’a contribué d’aucune pensée, ni donné aucun avis sur ce qu’une femme « devrait » être ou faire, ni eu aucun geste de « façonnage. » Le tableau moins connu de la chapelle Sixtine mettant en scène la création d’Eve montre justement Adam endormi, les deux corps humains partageant les mêmes volumes et teintes de chair, tandis que la femme est en communion avec son Créateur qui la bénit.

Les hommes ne définissent pas « la femme », mais c’est aux femmes de rendre compte de leur expérience d’humanité vécue dans un corps féminin, et à la société d’écouter ce témoignage.

Ce film enjoué me semble assez en adéquation avec les valeurs de l’égalité biblique. Sous les apparences d’un manque de subtilité, la scénario « ridicule » de Greta Gerwig touche finalement à la question théologique fondamentale qui fait débattre les complémentariens et les égalitariens : qu’est-ce que signifie, en Genèse 2, que la femme fut tirée de l’homme ? 

Qu’elle n’est que secondaire et accessoire, juste bonne pour faire des enfants, et qu’elle ferait bien de se taire ? 

Ou qu’elle est cette personne de la même nature humaine, avec les qualités et défauts propres à celle-ci, placée intentionnellement en vis-à-vis, pour être en relation, comme un secours, comme un cadeau de Dieu ?

Pas emballée dans une boîte rose – mais enrobée de la même chair, partageant la même expérience humaine fondamentale.

Alors, plutôt que de se ranger dans les stéréotypes hyperpolarisés de l’hyperféminité ou l’hypermasculinité, dans des univers irréels, cruels et exigeants…

… en toute bonne humeur et avec humour 

édifions-nous mutuellement !


Références

[1] Ruth Handler avait créé la poupée pour sa propre fille, Barbara, qui jouait avec des poupées en carton à habiller en vêtements à découper dans du papier.

[2] https://www.insider.com/greta-gerwig-says-her-catholic-upbringing-influenced-barbie-scenes-2023-7

Victoria Declaudure a été membre de l'équipe pastorale de l'Eglise Vie Nouvelle (Saumur) pendant 17 ans avant de rejoindre celle de l'Eglise Evangélique d'Angers. Titulaire d'un master en théologie, elle est l'auteur de plusieurs articles ainsi que du mook 'Pionnières du XXième siècle, le ministère oublié des femmes pentecôtistes françaises 1932-48'

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