Progresser en Église

Le mariage n’est pas une monarchie

La prise de décision en temps de crise

Mon mari et moi arrivons à la gare de Bordeaux au milieu de la pire vague de chaleur de l’histoire de la France. Couverts de sueur et de poussière, nous roulons sur des vélos de location bien trop lourds et tirons une remorque contenant une tente en mauvais état et notre bébé de quatre mois.

Notre voyage à vélo de Toulouse à Bordeaux avait connu ses moments de satisfaction, mais ce n’étaient certainement pas les vacances les plus relaxantes que nous ayons prises.

Nous nous frayons un chemin à travers la foule estivale jusqu’au tableau affichant les départs pour constater avec consternation que 1.) notre quai se trouve de l’autre côté de la gare, et 2.) qu’il nous reste exactement deux minutes pour nous y installer avec nos vélos et notre remorque/bébé. Oh ! et 3.) qu’il y a une longue file d’attente devant l’ascenseur.

À ce moment-là, j’aurais pu abandonner, mais mon mari soulève les lourds vélos dans les escaliers et donne des ordres. « Prends le bébé ! Va par-là ! Tiens ça ! Tiens-toi là ! Maintenant, cours ! » Nul ne sait comment, mais nous réussissons à avoir notre train.

Il y a longtemps, lorsque je me suis renseignée sur ce que Dieu attendait vraiment de moi dans le mariage, les complémentariens m’ont dit : « il ne peut y avoir qu’un seul roi dans un château ». Ce n’est pas pour rien qu’ils choisissent cette métaphore particulière. Même s’il s’agit d’un souverain bienveillant, tôt ou tard, il y aura une crise. Le château sera attaqué, et alors il faudra que tout fonctionne avec une rapidité et une efficacité militaire. Cela signifie qu’il ne peut y avoir qu’une seule personne pour mener la barque, ou la bataille. Tout autre arrangement met en jeu la survie du château.

À l’époque, je ne savais pas trop comment répondre à cet argument, si ce n’est en disant : « mais je ne veux pas vivre dans une monarchie ». Maintenant que je suis mariée, j’ai une idée bien plus claire de la façon dont on peut gérer une crise dans le cadre d’une relation non hiérarchique et empreinte de respect mutuel. Je ne vois pas d’inconvénient à ce que mon mari prenne les choses en main et donne des ordres, comme ce jour-là à la gare. Si je m’étais arrêtée pour dire « Attends une minute ! Qui t’a mis aux commandes ? Et si ce n’est pas la meilleure façon de faire les choses ? Ne devrions-nous pas en discuter ? », alors nous aurions raté notre train.

Au lieu de cela, je me suis volontiers soumise à son leadership. Mais voilà : je ne me suis pas soumise parce que dans notre relation, c’est lui l’homme. J’ai suivi avec plaisir ce qu’il avait décidé parce que dans notre relation, c’est lui l’Européen. Mon mari est français, il est né et a grandi en France, alors que je suis américaine. Cela signifie qu’il connaît beaucoup mieux que moi les trains français et les gares françaises. Dans cette situation critique, je sais qu’il a l’expérience et la capacité de nous faire monter dans notre train, et je lui fais confiance pour prendre les décisions qui s’imposent.

La veille, il y avait eu une crise d’une autre nature. Lorsque nous avons planifié notre voyage à vélo pour la fin du printemps, c’était dans l’espoir d’avoir une météo typique d’une fin de printemps : un peu de chaleur, du soleil, une brise fraîche caressant nos visages pendant que nous pédalions le long du célèbre canal des Deux-Mers. Des pique-niques sous les arbres, notre bébé gazouillant dans l’herbe… un dîner préparé au feu de camp sous les premières étoiles clignotant sur la voûte céleste. Puis de nous coucher de bonne heure.

Au lieu de cela, le mercure de cette semaine de juin 2022 grimpe à plus de quarante degrés. Nous nous levons très tôt pour aller le plus loin possible avant le pic de chaleur de la journée, trouvons un endroit ombragé pour une petite sieste dans l’après-midi. Et reprenons le vélo une fois le soleil couché, pédalant souvent longtemps la nuit. Nous installons le campement et préparons le dîner à la lampe frontale avant de nous effondrer sur nos sacs de couchage vers minuit, pour une poignée d’heures de vrai sommeil avant de recommencer le lendemain. Si nous n’étions que les deux, nous pourrions continuer l’après-midi, mais sachant qu’un nouveau-né n’a pas la capacité d’un adulte à réguler sa température corporelle, nous faisons donc un effort pour éviter de prendre des risques. Bien qu’épuisés, nous y parvenons assez bien, tant que notre piste cyclable suit le canal.

Cependant, l’avant-dernier jour, voilà qu’elle nous éloigne des eaux du canal. Alors que le soleil atteint son zénith, nous nous retrouvons en pleine campagne, avec peu d’arbres et peu de signes d’habitations humaines. Aucun endroit où se reposer en vue, et le mercure qui continue de grimper.

Heureusement que je suis née et que j’ai grandi en Arizona. Je sais comment gérer la chaleur – et mon mari sait que je le sais. Il choisit donc de se soumettre avec plaisir à mon autorité. Sur le GPS, je repère une ville toute proche, avec son Église.

Les Églises des villes françaises sont généralement des constructions médiévales en pierres épaisses, à la lumière tamisée et aux plafonds hauts. Ce sont d’excellents endroits pour s’abriter de la chaleur, même dans les pires conditions estivales. Je lui dis que nous devons quitter la piste cyclable et nous diriger immédiatement vers cette ville, ce qu’il accepte sans discuter.

Mais une fois arrivés, nous constatons avec consternation que l’Église est tombée en ruine. Il manque un mur et une grande partie du toit, et elle n’offre que peu d’ombre. Mon mari veut donner de l’eau au bébé qui est bien trop somnolent pour boire. Toujours sans chercher l’avis de qui que ce soit, je dévisse une gourde et en verse tout le contenu sur la tête de notre bébé, mouillant sa grenouillère et sa couche. Dans un sursaut, ses yeux s’ouvrent ainsi que sa bouche qui accepte le biberon. C’est alors que je donne à mon mari l’ordre de suivre la rue principale et de s’arrêter dans chaque bar et restaurant, jusqu’à ce qu’il en trouve un qui soit climatisé. « Ensuite, tu m’appelles et tu me dis où tu te trouves. » Il part, sans discuter.

Il déniche un petit restaurant assez prévoyant pour avoir investi dans une climatisation, et nous passons l’après-midi avec de l’air frais sur nos visages, à siroter des boissons glacées et à nous régaler de salade et quelques plats froids, un bébé gazouillant joyeusement à nos côtés.

Nos vacances sont sauvées, mais nous sommes tous deux conscients que les choses auraient pu se passer bien différemment. Si mon mari n’avait pas été prêt à reconnaître mon expérience et à se soumettre à mon autorité, nous aurions pu finir cette journée aux urgences, notre petit garçon pris en charge pour déshydratation et épuisement.

Mon mari et moi avons des formations très différentes, ce qui signifie que nos domaines d’expertise sont très différents. Parfois, c’est l’un de nous qui est le mieux placé pour prendre des décisions, parfois c’est l’autre.

Dans un vrai château, le personnel et les soldats représentent des centaines d’individus qui ne se connaissent peut-être même pas. En temps de crise, une population nombreuse et diversifiée peut en effet avoir besoin d’une personne désignée à l’avance pour prendre les choses en main (avec un peu de chance, elle le fera en vertu de sa formation et de son expérience et non d’un accident génétique). Mais lorsque mon mari et moi nous nous sommes mariés, nous avons choisi de devenir une seule chair. Nous nous connaissons. Nous nous faisons confiance. Ainsi, lorsque l’un d’entre nous sait ce qu’il doit faire, il prend ses responsabilités et l’autre le laisse faire. Et nous n’avons encore jamais rencontré de crise où nous n’avons pas immédiatement su qui devait prendre les choses en main et qui devait suivre. Aucun de nous n’en veut à l’autre d’avoir pris l’initiative. Nous sommes simplement heureux que notre château familial soit encore intact.


Auteure : Mikaela BELL. Mikaela est une Américaine qui s’est installée en France en 2017 pour rejoindre son mari français, David. Elle a d’abord travaillé comme professeur d’anglais et elle est maintenant correctrice de textes rédigés en anglais. Mikaela et David ont accueilli le petit Cédric dans leur vie en 2022 et depuis, les aventures se multiplient ! Lorsqu’elle n’est pas en train de corriger ou d’écrire, Mikaela aime les livres, les films, la danse et les longues promenades à vélo à travers la campagne. Son site web est https://mmbellediting.com/.

Traduction : Dominique Montefia

Photo de Marc Zimmer sur Unsplash

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3 comments on “Le mariage n’est pas une monarchie

  1. Jean-Marc BELLEFLEUR

    Bonjour,
    J’ignorais jusqu’où les complémentariens pouvaient aller, à comparer la vie de couple à la vie de château… avec un seul roi. Merci pour ces exemples vécus de reconnaissance des compétences du roi… et de la reine !

  2. Jean-Daniel DAUTRY

    Bonjour,

    Très intéressante, cette historiette, ce moment de vie, et c’est très vivant ! (sans doute aussi : très bonne traduction : bravo !)

    Je retiens quelques phrases de la narratrice : “lorsque mon mari et moi nous nous sommes mariés, nous avons choisi de devenir une seule chair… Nous nous faisons confiance. Ainsi, lorsque l’un d’entre nous sait ce qu’il doit faire, il prend ses responsabilités et l’autre le laisse faire… Aucun de nous n’en veut à l’autre d’avoir pris l’initiative.”

    J’y vois 2 éléments ESSENTIELS à relever :

    1°) Ces 2 personnes sont mariées. Elles ont fait alliance, elles se sont alliées, c’est donc qu’elles ont décidé de vivre pour une même cause, d’avancer dans une même direction : c’est un excellent point de départ ! Elles ne se sont pas “simplement” mises ensemble, comme on fait généralement aujourd’hui, même par amour, même avec la meilleure volonté du monde, en espérant que l’on n’ait pas de crise, ou que l’on sache négocier en temps de crise… et tant pis si ça casse. Non, le mariage est un engagement, engagement de confiance et générant de la confiance.

    2°) Ces 2 personnes se font mutuellement confiance, la confiance étant un fondement essentiel du mariage (pas l’amour, qui va et vient au gré des sentiments…). Dans ces conditions, on peut même imaginer qu’ayant loupé le fameux train, aucune des 2 n’en aurait voulu à l’autre, même si c’est difficile, l’essentiel étant d’avoir fait tout son possible ensemble, et d’être toujours ensemble pour continuer à faire face, dans la confiance mutuelle…

    J’ose prédire une longue vie de bonheur à ce couple, tant qu’il honorera son alliance de départ : son mariage !

  3. Claire Poujol

    Merci Mikaela ! j’ai aimé vos témoignages, on sent que c’est du vécu. c’est un des secrets de la vie en couple de savoir laisser l’autre diriger quand il est dans son domaine de compétence.

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