Textes bibliques

Marie dans l’art ou dans les évangiles : quelle différence ?

La femme agenouillée à l’écoute des autres, ou la pèlerine dynamique qui renverse les stéréotypes traditionnels ? Mary Cotes aborde la question.

Au fil des siècles, une série de dualités, exposée par de nombreux philosophes grecs, a influencé la manière dont les hommes et les femmes ont été présentés. Ces dualités attribuent des qualités différentes aux hommes et aux femmes, associant l’homme vertueux à la sphère publique et la femme vertueuse à la sphère privée et à la vie familiale. Dans ce système, les hommes sont associés à la force et à l’activité, les femmes à la faiblesse et à la passivité.  

Les statues grecques, datant de l’époque du Nouveau Testament, sont souvent le reflet de ces dualités. 

Photo de British Library sur Unsplash 

Elles représentent des hommes dans une pose active, la tête haute, avançant à grands pas, les pieds bien visibles. La femme, par contre, est représentée dans une pose plutôt figée, vêtue d’une longue robe qui souvent lui couvre les pieds. Elle se tient immobile, le regard baissé. 

Cette même conception dualiste se reflète dans la manière dont, au fil des siècles, les femmes de la Bible ont souvent été représentées par les peintres. Ces images datant d’époques passées influencent encore notre pensée par leur présence continue sur les vitraux des Églises, sur le devant des cartes de Noël, sans parler des murs des musées d’art les plus prestigieux. Dans les Évangiles, cependant, nous trouvons des femmes qui sont très loin de se conformer tout le temps à ces stéréotypes.

Elles sont présentées comme des êtres libres de leurs mouvements, dotés d’une intelligence et d’un esprit qui leur sont propres.  

Marie selon les peintres

L’exemple le plus classique de cette dichotomie est peut-être celui de la Vierge Marie. Dans l’art religieux traditionnel, elle est le plus souvent représentée comme la mère parfaite, tenant son enfant dans ses bras.

À d’autres moments, elle est très fréquemment présentée de manière tout aussi stéréotypée, modestement assise ou agenouillée à l’intérieur, le regard baissé.  

Photo de  British Library sur Unsplash

Dans les peintures de l’Annonciation, par exemple, Marie est souvent représentée assise ou à genoux devant l’ange Gabriel.

Lorsqu’elle est enceinte, elle est représentée faisant le long trajet jusqu’à Bethléem, portée par l’âne tandis que Joseph avance à grands pas. Dans les scènes traditionnelles de la nativité, Marie est assise à côté de la crèche et regarde l’enfant, Joseph se tenant au-dessus d’elle.

Plus tard, lors de la fuite en Égypte, les images traditionnelles montrent Marie tenant l’enfant, portée par un animal, et incapable de marcher par elle-même.  Dans les tableaux de la crucifixion, on voit Marie debout ou agenouillée devant son fils, dans une dévotion immobile. Dans les scènes de mise au tombeau, elle est représentée assise, tenant le corps de son fils crucifié.    

Par certains aspects, de telles images aident les fidèles à comprendre que, comme Marie, ils doivent garder le Christ dans leur cœur, se tenant en adoration immobile devant Dieu. Les hommes et les femmes doivent être prêts à offrir leur “oui” aux desseins de Dieu, ou à s’agenouiller devant la croix du Christ.

Il n’en reste pas moins qu’en présentant cette femme comme le modèle de l’immobilité et de la soumission, ces images servent aussi à renforcer les idées stéréotypées dont les femmes qui cherchent à être considérées comme vertueuses sont victimes depuis des siècles.

Marie selon les Évangiles

Il existe cependant au moins deux autres histoires concernant Marie qui la montrent sous un jour moins stéréotypé. Dans les deux cas, elle ne tient pas son enfant dans ses bras. Dans aucun des deux cas, elle n’est à l’intérieur. Ces deux histoires reçoivent peu d’attention de la part des peintres par rapport aux scènes de l’annonciation, de la nativité et de la crucifixion

Marie prend la route 

Considérons d’abord la scène qui suit celle de l’annonciation (Luc 1 : 39-40). Ce passage dépeint un aspect différent de Marie et la présente comme une personne active, physiquement forte et vigoureuse. Luc nous dit qu’après l’annonciation, Marie se met en route : Marie partit en hâte. Elle veut rendre visite à Elisabeth. Luc ne nous dit pas qu’on lui a dit de le faire, ou qu’elle a demandé la permission à sa famille de partir chez sa cousine. Il ne dit pas non plus qu’elle était accompagnée. Aux yeux de Luc, Marie agit de manière indépendante, de sa propre initiative. Compte tenu de la distance entre Nazareth et les hautes terres de Judée, cette initiative exige une énergie physique considérable. 

Le voyage qu’elle entreprend a des connotations de pèlerinage. Le cheminement physique reflète un cheminement spirituel intérieur. Souvent, nous avons l’impression que le chant de Marie – le Magnificat – se produit immédiatement après la visite de l’ange, mais ce n’est pas le cas. Marie n’exalte le Seigneur qu’après avoir fait du chemin. Marie a beaucoup de choses à intégrer, tant sur le plan émotionnel que spirituel. Sa mise en route ne correspond pas uniquement à un déplacement géographique, mais aussi à une évolution théologique et spirituelle, et l’amène à réfléchir sur ce qu’elle est à la lumière de Dieu. Le Magnificat ne mentionne jamais Joseph. Marie a compris qu’elle était une actrice dynamique à part entière dans le projet de Dieu. 

Bien sûr, comme les histoires de l’annonciation, de la nativité et de la crucifixion, celle de la mise en route de Marie, a aussi des implications plus larges pour toute l’Église.

Tous ceux qui disent « oui » à Dieu, hommes et femmes, doivent se mettre en route dans une nouvelle direction spirituelle.

En même temps, cette histoire a des implications pour les femmes. Luc propose l’image d’une femme en mouvement qui vient équilibrer les autres scènes. Marie va de l’avant. Elle arrive à sa destination changée et fortifiée.

Marie de nouveau sur la route 

À la fin de son Évangile, Jean place Marie, la mère de Jésus, au pied de la croix. Même si les évangélistes ne le disent jamais explicitement, nous pouvons supposer que Marie s’est jointe aux nombreuses autres femmes qui ont suivi Jésus de la Galilée à Jérusalem. Il s’agit d’un deuxième récit de trajet actif dans lequel Marie joue un rôle, également à un moment de sa vie où elle ne porte plus le bébé dans ses bras.

Les peintures religieuses traditionnelles présentent souvent les pêcheurs qui courent pour suivre Jésus sur les rives de la Galilée, ou Lévi qui se lève d’un bond laissant derrière lui le bureau des impôts. Elles ne représentent que très rarement, voire jamais, des femmes telles que celles mentionnées en Luc 8 : 1-3 au moment de prendre la décision de suivre Jésus. De même, si les peintres renforcent souvent les stéréotypes en présentant des femmes figées et agenouillées au pied de la croix, ils les montrent rarement sur la route avec Jésus.

Pourtant, ces femmes étaient là, à jouer leur rôle dans la communauté des disciples, et à accompagner Jésus de la même manière que ses disciples masculins. Si le fait de suivre Jésus a changé la vie d’hommes comme Jacques et Jean, qui ont quitté leur père et leur métier, cela a sans doute encore plus changé la vie des femmes. Traditionnellement associées à la sphère privée, elles devaient d’autant plus rompre avec les normes attendues pour s’aventurer dans le monde public avec Jésus. 

La mise en route vers Jérusalem à la suite de Jésus a également, comme le départ de Marie en Luc 1 : 39, une dimension spirituelle. Nous le remarquons particulièrement, par exemple, dans le cas de la mère de Jacques et de Jean. À un moment donné sur le chemin, elle demande à Jésus d’accorder à ses fils des positions glorieuses (Matthieu 20 : 21). À ce stade, elle n’a pas compris grand-chose, ni à la nature du règne de Dieu ni à l’appel du disciple. Jésus la réprimande. Plus tard, Matthieu raconte comment cette même femme est présente à la croix (Matthieu 27 : 55-56). En accompagnant Jésus jusqu’à Jérusalem, elle a grandi spirituellement. Devant la croix, elle est capable de saisir le sacrifice au cœur du ministère de Jésus.

Les femmes qui courent

Les évangiles se terminent tous par des femmes en mouvement, la tête haute. Marie, la mère de Jésus n’est pas mentionnée en personne, mais Luc parle de la présence au tombeau vide des femmes qui ont accompagné Jésus (Luc 23 : 55 et 24 : 2). 

Marc décrit comment trois femmes sortirent et s’enfuirent du tombeau (Marc 16.8). Matthieu a un sens encore plus aigu du mouvement, racontant comment deux femmes ont vite quitté le tombeau et ont couru porter la nouvelle aux disciples. (Matthieu 28 : 8). Dans le récit de la résurrection dans l’évangile de Jean, Marie de Magdala court pour annoncer à Pierre et au disciple bien-aimé que la pierre a été roulée (Jean 20 : 2). Dans tous ces récits, le caractère physique du mouvement représente l’urgence spirituelle et la joie de la nouvelle de la résurrection. 

En général, les peintres représentent les femmes immobiles devant le tombeau vide. Aux rares occasions où ils les représentent en train de courir, c’est comme s’ils imaginaient qu’un changement soudain s’est opéré en elles. Pourtant, il n’y a rien de neuf dans le mouvement des femmes qui partent du tombeau vide en courant. Les femmes sont en marche tout au long des récits des évangiles. Les récits des femmes au tombeau vide ne nous offrent que le portrait culminant de ce qu’elles ont toujours été

Nous nous trouvons dans la saison qui nous mène de Noël à Pâques. Nous aurons certainement l’occasion de revoir à un moment ou à un autre des récits des évangiles qui parlent des femmes. Ces occasions nous offrent la possibilité de chercher, au-delà des stéréotypes que nous avons tous absorbés, des portraits de femmes plus équilibrés. Pour que les femmes, comme les hommes, se considèrent comme des acteurs dynamiques dans le projet de Dieu, elles doivent voir leur reflet dans les pages de la Bible. Nos prédicateurs et prédicatrices ont un rôle important à jouer en offrant des images équilibrées des hommes et des femmes, également soumis aux desseins de Dieu, également capables de se développer spirituellement et théologiquement, et également prêts à prendre des initiatives.

À propos revdmcotes

Mary Cotes est pasteure baptiste anglaise. Ayant fait ses études doctorales de théologie, elle a exercé un ministère dans de nombreux contextes, y compris l’aumônerie d’un hôpital psychiatrique. Autrice de Women Without Walls et Quand les femmes se mettent à l’œuvre, elle exerce un ministere itinérant. . Musicienne diplômée, elle donne également des cours de piano.

2 comments on “Marie dans l’art ou dans les évangiles : quelle différence ?

  1. David Richir

    Merci pour cet excellent contre-pied à l’iconographie classique ! L’Evangile n’a pas fini de nous mettre en route, femmes et hommes…

    • revdmcotes

      Bonjour David, et merci pour votre mot encourageant. Cette route est belle et nous mene vers des découvertes de plus en plus profondes…

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