Qu’est-ce qui manque à l’Église quand il n’y a aucune femme pasteure ? On aborde souvent la question des femmes dans le ministère sous l’angle doctrinal – « une femme peut-elle enseigner et être pasteure ? » – ou sous l’angle du témoignage – « voici une femme que Dieu appelle au ministère pastoral ». Une conversation récente avec un groupe de jeunes m’a ouvert d’autres angles : celui des modèles et de la transmission, et celui de l’apport des femmes au ministère.
Un groupe de jeunes d’une Église en Suisse a contacté Servir Ensemble pour discuter du rôle des femmes dans le ministère. La plupart des jeunes étaient convaincus que les femmes avaient leur place dans des rôles pastoraux, mais ils avaient besoin d’aide pour comprendre cela d’un point de vue biblique. L’équipe de Servir Ensemble a accepté leur invitation, et c’est ainsi que je me suis retrouvée à échanger avec eux. Ils étaient une dizaine, en majorité des jeunes femmes, qui avaient entre 19 et 25 ans. Après ma présentation, je me suis adressée aux jeunes femmes du groupe et je leur ai demandé si elles connaissaient des femmes dont le ministère les inspire. Qui sont leurs modèles ?
Les jeunes sont vites tombés d’accord : il y a encore très peu de modèles de femmes engagées dans le ministère.
Mais ce manque les affecte différemment.
Modèles et transmission
Pour certaines, il n’y a pas de problème. Anaïs1 pourrait envisager de s’engager dans un ministère pastoral. Elle voit surtout des modèles masculins autour d’elle, mais cela ne la dérange pas. Elle voit ces hommes servir et ils l’inspirent.
Morgane quant à elle regrette que, dans la Bible comme autour d’elle, les personnes qui semblent les plus proches de Dieu sont des hommes. On encourage les garçons autour d’elle en les comparant à David, à Josué, à Barnabas… Mais elle ? On la compare à Ruth – ce qui ne l’enchante pas, elle qui se sent plus entreprenante. Ne pourrait-on pas voir en elle quelque chose de Gédéon ? De David ?
On dirait qu’il vaut mieux être un homme si l’on veut être proche de Dieu.
Il lui semble presque que Dieu préfère les hommes, et cette hypothèse est décourageante. Morgane se sent condamnée à avoir un second rôle, même au royaume de Dieu.
Si l’Eglise ne propose qu’un seul type de modèle pastoral – par exemple, des hommes d’un certain âge – elle met probablement en sourdine de nombreuses vocations potentielles. Dans un cours récent au Collège de France2, Esther Duflo présente des études réalisées sur les conséquences de l’ouverture d’un rôle politique local aux femmes. Ces études montrent qu’à la fin d’un mandat tenu par une femme, les candidats qui se présentent (hommes et femmes) sont beaucoup plus variés qu’auparavant.
Je suis convaincue que de même, offrir plus de modèles pastoraux différents aux jeunes dans l’Eglise pourrait susciter des vocations inattendues, chez les femmes comme chez les hommes.
Apport des femmes dans le ministère
Les échanges sur les modèles ont ouvert une réflexion chez les jeunes quant à l’importance d’avoir des femmes occupant des rôles de responsabilité pastorale. Parmi ces échanges, Maeva a partagé une expérience personnelle douloureuse qui l’a profondément marquée. Pendant longtemps, elle a dû porter seule le fardeau de cette expérience, incapable de se confier à un homme. Elle raconte qu’elle a cherché pendant longtemps quelqu’un à qui elle pouvait parler en toute confiance. C’est alors qu’elle a réalisé à quel point il lui manquait d’avoir des femmes dans les ministères qui l’entouraient.
La présence de femmes dans les ministères pastoraux revêt alors une importance capitale.
Les femmes ont des expériences et des perspectives uniques qui peuvent enrichir et compléter le travail pastoral.
Leur présence offre également un espace sécurisant pour les femmes qui ont vécu des situations traumatisantes ou difficiles. Elles peuvent se sentir écoutées, comprises et soutenues par des femmes qui partagent leurs réalités et qui ont vécu des expériences similaires.
Ces échanges me font réfléchir sur ma propre façon d’être pasteure. Qu’est-ce que le fait d’être femme apporte à ma façon d’être pasteure ? Qu’est-ce que cela change pour le pastorat que je sois une femme ? Après mes études de théologie, j’ai découvert le “terrain” en étant stagiaire d’un pasteur homme. J’ai beaucoup appris de lui, mais maintenant que je suis pasteure, je remarque que je fais certaines choses différemment. Je fonctionne de façon plus collaborative par exemple, et je suis sensible à l’atmosphère du groupe. Il m’arrive régulièrement d’arriver en avance pour préparer le café, pour créer une ambiance chaleureuse même pour les réunions administratives ordinaires. Bien sûr, il est délicat de discerner ce qui relève de ma personnalité et ce qui relève de mon genre. En faisant l’hypothèse que j’apporte plus de collaboration et de sensibilité, je m’appuie aussi sur des stéréotypes de genre – auxquels il s’avère que je correspond !
Et la suite ?
J’aimerais continuer cette conversation. Si vous aussi vous êtes pasteur·e, qu’est-ce que le fait d’être homme ou femme apporte à votre façon d’exercer le ministère pastoral ? Parlez-en dans les commentaires !
La discussion passionnante avec ces jeunes m’a sensibilisée à d’autres aspects du ministère pastoral. Au-delà de la légitimité biblique et des conséquences personnelles de la place des femmes dans le ministère, partager le ministère pastoral avec des femmes et des hommes a des conséquences cruciales pour l’Eglise toute entière. Je rêve à présent de recherches académiques sur le sujet. Si vous êtes étudiant·e et que la question des femmes dans le ministère vous intéresse, l’équipe de Servir Ensemble a de nombreuses idées de sujets de recherche – contactez-nous !
Merci encore aux jeunes qui se reconnaitront pour ces super échanges !
Références
- Tous les prénoms ont été changés ↩︎
- Esther Duflo, « Lutter contre la pauvreté : Place aux femmes ! », Pauvreté et politiques publiques, Collège de France, 25 janvier 2023, https://podcasts.apple.com/fr/podcast/04-lutter-contre-la-pauvret%C3%A9-place-aux-femmes/id1655863391?i=1000596692106 ↩︎
Photo de Duy Pham sur Unsplash
Venant d’écrire un livre : Envoyés ensemble, le rôle des femmes dans la mission de l’Eglise (Catholique); je serais heureuse de prendre contact avec vous ? comment faire ? merci
Merci beaucoup pour votre prise de contact, cela nous encourage 🙂
Nous pourrions peut-être faire une recension de votre livre. Est-ce qu’il serait possible de recevoir un exemplaire presse ?
C’est via cette adresse mail que vous pourriez entrer davantage en contact avec l’équipe autour du blog et l’association Servir Ensemble : servirensemble.blog@gmail.com
Au plaisir de vous lire !
Bonjour et bonne rentrée à tous et à toutes
A mon avis, les femmes apportent beaucoup à l’église et à la société,
pas en qualité de femmes mais en raison de leur personnalité et dons personnels. L’ église double ainsi ses capacités à tous les niveaux.
Elle permet l’expression des expériences et problèmes de cette moitié de l’assemblée
pour apporter une aide plus efficace dans tous les domaines de la vie.
Mais surtout en prenant leur place légitime cela change NOS IMAGES MENTALES
conscientes et inconscientes. L’espace n’est plus séparé, l’intérieur pour la femme,
l’extérieur domaine réservé aux hommes, le rationnel et maîtrise du masculin, l’irrationnel et sentimental féminin, l ‘autorité masculine, la soumission féminine…..etc. Il faut inventer une nouvelle relation, réfléchir aux limites. Elle donne des modèles et des exemples à suivre pour les jeunes.
Mais surtout ELLE LIBÈRE BEAUCOUP DE JOIE et D’ INVENTIVITÉ, pour servir le maître et réaliser son plan, hâter son retour ! C’est un combat car l’opposition et les régressions seront toujours là, pas d’illusions à se faire ! Bon courage !
Si vous aussi vous êtes pasteur·e, qu’est-ce que le fait d’être homme ou femme apporte à votre façon d’exercer le ministère pastoral ?
J’ai commencé mon ministère pastoral à 26 ans. J’avais 67 ans au départ à la retraite. Je peux dire que le fait d’être jeune ou avancé en âge a apporté une différence à ma façon d’exercer le ministère pastoral. Mais je n’ai aucune idée si le fait d’être homme a contribué à ma façon de l’exercer.
Ou peut-être quand-même. A voir ce que bien des femmes font, je dois reconnaître que le fait d’être homme a contribué à ce que je sois moins perfectionniste dans mon ministère, moins exigeant avec moi-même, moins persévérant, moins idéaliste, moins bon dans les relations humaines, moins empathique…
Je m’arrête là. Alors pourquoi est-ce que je ne me suis pas franchement amélioré en 40 ans de ministère ? Peut-être parce que je suis un homme et pas une femme?