Comment passer d’un fonctionnement complémentarien vers un fonctionnement égalitarien en Église ? Rob DIXON et April FIET nous présentent une feuille de route en cinq étapes : les deux premières étapes sont présentées dans l’article d’aujourd’hui, les trois suivantes dans celui de la semaine prochaine.
Le 17 avril 2016, le collège des anciens de la Bent Tree Bible Fellowship, une importante Église de la région de Dallas, est monté sur l’estrade lors du culte pour annoncer que l’Église changeait sa position théologique pour permettre aux femmes de servir en tant qu’anciennes. Pour être plus précis, ils ont annoncé :
Après avoir soigneusement étudié, réfléchi, discuté et prié, nous sommes unanimement arrivés à la conclusion que Dieu nous appelle à être une communauté de foi, attachée à une théologie conservatrice, et une communauté où les femmes remplies de l’Esprit ne connaissent aucune limite ou restriction à leur service. Nous acceptons avec joie d’inviter les femmes à partager la direction en tant qu’anciennes.
Cette annonce n’a pas été faite à la légère. Au contraire, elle est le fruit d’un processus réfléchi et approfondi, qui a comporté (entre autres) une année complète de réflexion et d’étude de la part de l’équipe des anciens. Comme l’a dit l’un des anciens de Bent Tree : « Certaines de nos décisions sont prises à la fin d’un très long et rigoureux parcours et nous demandent beaucoup de courage et de foi. Cette décision était certainement l’une de celles-là ».
De nombreuses Églises ont tenté d’opérer un changement théologique similaire, en passant d’une certaine forme de compréhension théologique complémentarienne à une compréhension égalitarienne. Mais l’un des défis pour ces Églises réside dans le fait qu’il n’existe pas de feuille de route pour effectuer un tel changement.
Nous voulons proposer une feuille de route que les Églises et les organisations peuvent utiliser lorsqu’elles envisagent un changement d’une théologique complémentarienne vers une théologie égalitarienne. Notre travail est basé sur des entretiens ciblés avec des responsables d’Églises ou d’organisations qui ont réussi à faire ce changement, et nous avons discerné cinq étapes que les communautés peuvent suivre lorsqu’elles cherchent à modifier leur position théologique et leur pratique concernant la place des femmes dans les fonctions de responsable. Ces étapes sont les suivantes : identifier un déclencheur, réunir les responsables, annoncer la décision, faire participer la communauté, mettre en œuvre le changement.
Dans la première partie de cet article, nous expliquerons les deux premières étapes de ce processus ; le reste sera traité dans un prochain article. Nous espérons que cette feuille de route dans son ensemble servira de ressource aux Églises et aux organisations qui aspirent à opérer ce changement.
Identifier un déclencheur
Le processus de changement commence par un déclencheur. Pour Bent Tree, le processus de réévaluation théologique a commencé avec deux déclencheurs différents : l’un s’est produit sous la surface, au fil du temps, et l’autre est né des valeurs fondamentales de l’Église. Tout d’abord, le pasteur principal de Bent Tree, Pete Briscoe, a orienté l’Église dans une direction égalitarienne pendant toute la durée de son mandat, soit pendant 25 ans. La direction et les encouragements de M. Briscoe sur de nombreuses années ont permis de produire un changement durable et évolutif. Deuxièmement, l’importance accordée par l’Église au partage des responsabilités de direction s’est heurtée à la théologie de l’Église selon laquelle les femmes ne pouvaient pas servir en tant qu’anciennes.
La friction entre la valeur énoncée par l’Église et sa théologie a nécessité un changement.
Ces deux déclencheurs ont convergé et ont suscité le processus de discernement théologique de Bent Tree, qui a abouti à une déclaration remarquable en avril 2016.
Dans les processus de changement, les déclencheurs sont cruciaux. Ronald Heifetz et Marty Linsky notent judicieusement que changer « la façon dont les gens voient et font les choses revient à remettre en question la façon dont ils se définissent ». En d’autres termes, le processus de changement bouleverse la façon dont une Église se voit et se comprend, et ce processus est souvent douloureux ou inconfortable. C’est pourquoi de nombreuses Églises et organisations résistent à ce type de processus jusqu’à ce qu’une force – ou un déclencheur – suscite le processus. Tout comme la première loi de Newton stipule qu’un objet en mouvement continuera sur la même voie jusqu’à ce qu’on agisse sur lui, de nombreuses Églises continueront dans une direction jusqu’à ce que quelque chose se produise pour changer le cours des choses.
Dans de nombreux cas, le déclencheur du changement est un dirigeant doté d’une forte conviction égalitarienne. D’autres fois, le changement survient lorsqu’on constate un décalage entre les valeurs et la pratique. D’autres fois encore, le processus de changement commence lorsqu’une Église ne peut nier le don et l’appel d’une personne en son sein. Dans le cas d’une Église, une femme a été élue et installée comme diacre en dépit du fait que le pasteur principal n’était pas favorable au ministère féminin. Les membres de l’Église se sont engagés dans un processus de changement parce que la présence de femmes douées parmi eux était en contradiction avec leur théologie excluant les femmes de la direction de l’Église. Le décleneur fournit l’énergie nécessaire au processus de changement, c’est pourquoi nous devons veiller à bien prendre soin des déclencheurs en leur apportant soutien et encouragement.
Les équipes de direction et les Églises qui s’orientent vers la pleine inclusion des femmes dans la direction peuvent prendre soin, nourrir et tenir compte de la voix du déclencheur en écoutant en vue de comprendre. Écouter en vue de comprendre est une posture d’écoute active qui pose des questions pour clarifier plutôt que de porter des jugements. Une autre façon d’écouter et de soutenir la voix du déclencheur consiste à faire de la place pour que sa ou ses voix soient entendues. Une troisième façon de soutenir le déclencheur est de lui offrir un soutien pastoral. En encourageant ces voix importantes, vous pouvez attiser la flamme allumée par le déclencheur pour qu’elle continue à brûler. Il est ensuite temps de réunir les responsables.
Réunir les responsables
Bent Tree a exploité l’énergie de ses deux déclencheurs jumeaux et s’est lancée dans la deuxième étape du processus qui consiste à réunir ses responsables. L’équipe d’anciens de l’Église, exclusivement masculine, a passé une année entière à étudier les textes en question et à se réunir régulièrement pour comparer leurs notes. Vers la fin de cette année, chaque ancien a préparé une évaluation écrite de ce qu’il pensait être le message de la Bible concernant la place des femmes dans le ministère. Lorsqu’ils se sont réunis pour partager leurs conclusions, le groupe a été unanime : aucun poste de l’Église ne serait interdit aux femmes.
Dans cette deuxième étape de la feuille de route, le processus prend une tournure plus formelle. En réponse à l’énergie du déclencheur, la direction de l’Église aborde intentionnellement la question de la position théologique de l’Église sur la place des femmes dans le ministère.
Pour la majorité des Églises interrogées, cette étape a eu lieu au tout début du processus de discernement de l’Église.
Dans plusieurs cas, c’est le collège des anciens de l’Église qui s’est chargé de cette partie du processus. Comme on l’a vu, les anciens de Bent Tree ont consacré une année entière à la réflexion théologique. Dans un autre cas, un pasteur a mis en place un groupe de travail à l’échelle de l’Église pour étudier les Écritures sur ce sujet. En repensant à son expérience au sein d’un tel groupe de réflexion, une responsable a noté l’importance d’avoir une liste de participants soigneusement sélectionnés, une vision/un objectif clair pour le groupe, des règles de base établies pour le fonctionnement du groupe et une animation efficace.
Pendant leurs périodes de discernement et de réflexion, les groupes de direction peuvent utiliser une variété de ressources dans leur exploration. Plusieurs personnes interrogées ont fait référence à des livres qu’elles avaient lus en tant que groupe de direction ; dans certains cas, les équipes ont fait appel à des experts extérieurs pour partager leurs interprétations, et toutes les personnes interrogées ont discuté de l’importance de disposer de suffisamment de temps pour explorer la Bible sur ce sujet.
À cette étape du processus, on peut se demander s’il faut informer l’ensemble de l’assemblée que ce groupe de direction étudie sciemment ce sujet. Le choix d’inclure l’assembéle entière peut être bénéfique, car les membres peuvent prier et soutenir le processus de l’équipe de direction. En même temps, ce choix d’inclusion pourrait créer une pression excessive, car des membres impatients ou ayant des opinions bien arrêtées pourraient mettre à mal le processus.
En outre, choisir de limiter le processus à l’équipe de direction peut donner plus de liberté à l’équipe pour vivre une expérience ouverte et sans précipitation. D’un autre côté, le fait de poursuivre ce processus en secret peut entraîner une dynamique gênante une fois que l’équipe de direction a pris sa décision. Avec le recul, plusieurs dirigeants ont déploré que la nature secrète du processus ait entraîné une perte de confiance de la part de l’assemblée lorsque la décision a été annoncée.
En essayant de déterminer s’il faut faire participer l’assemblée au processus à ce stade de la feuille de route, les dirigeants peuvent se poser les questions suivantes :
- Quels sont vos antécédents en ce qui concerne les processus de ce type ? Comment cet historique peut-il influencer votre décision ?
- L’ouverture et la transparence sont-elles des valeurs auxquelles vous adhérez ? Si oui, cela pourrait être un argument en faveur d’une transparence totale.
- Qui a un intérêt dans cette décision ? Par exemple, si une équipe de direction discerne une direction à prendre, les collaborateurs qui ne font pas partie de cette équipe seront-ils laissés dans l’ignorance ou inclus dans le processus ?
- Compte tenu de la taille de l’Église, serait-il judicieux d’aller plus vite ?
Que cette deuxième étape du processus soit publique ou non, l’élément clé est d’établir un espace sûr pour que l’équipe de direction de l’Église puisse entendre Dieu.
À un moment donné, elle sera prête à passer à la troisième étape de la feuille de route, qui consiste à annoncer la décision, ce que nous reprendrons dans la deuxième partie de cet article la semaine prochaine.
Rob DIXON et April FIET, le 29 septembre 2021
Traduction : Valentin DOS SANTOS
Note de l’éditeur de la version anglaise : En septembre dernier a eu lieu le lancement du livre de Rob Dixon, Together in Ministry (Ensemble dans le ministère), qui fait partie de la série de publications de Missio Alliance/InterVarsity Press (Missio Alliance/InterVarsity Press partnership line) et offre une feuille de route prophétique pour les individus et les communautés qui cherchent à développer des partenariats florissants pour le ministère entre femmes et hommes. Nous sommes honorés de présenter Rob et April Fiet aujourd’hui dans nos Écrits Collectifs puisqu’ils partagent un certain nombre d’idées et d’exemples repris dans le livre de Rob. La première partie de cet article original anglais se trouve ici ; la deuxième partie se trouve ici et sera publié la semaine prochaine en français.
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