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Vu sur Netflix : Unorthodox

Une communauté religieuse enfermante

Une jeune femme ayant grandi dans une communauté juive ultra-orthodoxe, la communauté hassidique Satmar, à Williamsburg, Brooklyn, ose choisir une autre viesa vie, radicalement différente. Coûte que coûte. 

J’ai toute de suite été attirée par cette mini-série émouvante, prenante et profonde quand je l’ai découverte un peu par hasard. Sortie à la fin du mois de mars 2020 sur Netflix, c’était la série toute choisie pour le début du confinement (ce sera peut-être la vôtre pour ce début d’été). 

L’héroïne, Esty (Esther) Schwarz vit son confinement à elle, un enfermement beaucoup plus important que le nôtre : celui d’un milieu qui ne supporte pas la différence et où la personne ayant soif de liberté et d’individualité risque d’étouffer.  
Pourtant l’esprit éveillé de la jeune femme de dix-neuf ans n’est pas du tout confiné. Depuis toujours elle s’est sentie différente des autres et dans son for intérieur elle sait qu’elle ne pourra pas être heureuse dans cette communauté aux règles strictes et archaïques. 

De Williamsburg à Berlin

Esty croit que sa mère l’a abandonnée quand elle avait trois ans – beaucoup plus tard elle apprendra la véritable histoire de leur séparation. Elle vit donc avec ses grands-parents et son père alcoolique. Par l’intermédiaire de la marieuse, elle est présentée à Yanky (Jacob) Shapiro, un jeune homme timide et encore très attaché à sa mère.

Peu de temps avant son mariage sa mère, Leah, apparaît et lui remet une enveloppe qui contient des documents prouvant qu’Esty a droit à la nationalité allemande, ce qui pourrait lui servir au cas où elle aurait besoin de quitter la communauté. L’accueil que la jeune femme réserve à sa mère est tout sauf chaleureux : très en colère contre sa mère de l’avoir abandonnée Esty lui dit qu’elle n’est plus sa mère et que ce dont elle a envie ce n’est pas de s’en aller mais d’avoir beaucoup d’enfants, une vraie famille, contrairement à ce qu’elle a connu dans son enfance.

Et c’est aussi la seule chose qui est attendue d’Esty, la seule perspective que la communauté lui offre : rendre son mari heureux et avoir des enfants.

Mais pour le jeune couple cela s’avère plus complexe que prévu : ils ont beaucoup de mal à vivre leurs relations sexuelles et la « faute » est sans surprise imputée à Esty. Toujours pas enceinte après un an de mariage elle se sent isolée, avec peu de contacts dans la communauté en raison de sa différence : toutes les autres femmes mariées ont des enfants et semblent s’épanouir dans le rôle prédéfini qui leur est réservé. 

Son seul lien avec le monde extérieur est sa professeure de piano qui l’aidera à se procurer les documents nécessaires pour pouvoir faire le pas… de s’enfuir à Berlin où la jeune femme est confrontée à un monde complètement inconnu, choquant pour elle à certains égards, plein de défis inattendus, mais en fin de compte aussi libérateur.

Le contexte particulier de la vie d’Esty dans la communauté à Williamsburg, présenté en particulier sous-forme de flash-back, est une adaptation de l’autobiographie de Déborah Feldman, mais le « présent » de la série, la partie de l’action qui se déroule à Berlin est fictive. Tout au long des quatre épisodes l’actrice principale Shira Haas, juive elle-même comme les autres acteurs, incarne magnifiquement bien le personnage d’Esty, fragile et forte en même temps. Le spectateur est entraîné dans cet univers captivant et amené à réfléchir aux thématiques suivantes, pertinentes pour ce dont nous nous engageons sur ce blog

Cœurs et corps asservis

Par pudeur les femmes mariées de la communauté doivent se raser la tête et portent soit une perruque soit un foulard (dans d’autres milieux juifs orthodoxes les femmes ne se rasent pas la tête mais couvrent leurs cheveux en public). Ainsi elles ont toujours la tête couverte et, selon une interprétation possible, montrent à tout leur entourage qu’elles ne sont plus « candidates » au mariage et que leur beauté est réservée à leur mari. Le Talmud évoque la « nudité » des cheveux ce qui peut être évoqué comme autre raison de cette pratique. Le fait de ne pas devoir seulement se couvrir la tête, mais de devoir la raser est évidemment plus radicale : peut-être une manière (légaliste) d’être sûr de ne pas enfreindre la règle ; une manière qui risque d’inculquer à la femme un regard biaisé sur son corps.

Mais qu’en est-il des maris ? Ils n’ont évidemment pas à se raser la tête, même s’ils ont également des règles capillaires et vestimentaires à respecter.  Comme le souligne avec justesse la rabbine Floriane Chinsky : dans cette communauté spécifique les hommes ne sont pas davantage libres, car ils doivent faire ce que le rabbin leur demande comme on le verra avec l’exemple de Moishe[1].

La relation sexuelle du couple marié semble servir uniquement à satisfaire l’homme et à procréer. Cela a pour conséquence une violence sexuelle qui est bien décrite dans ce film : c’est à Esty seule de faire des efforts pour que cela « marche », c’est à elle d’endurer. L’éducation sexuelle très restreinte et dépassée est apportée par la marieuse qui explique à la jeune femme que l’union des époux est sacrée car elle sert à procréer. Mais qui apprendra à Yanky à aimer sa femme ? Qui apprendra aux couples ce que signifient le consentement, le plaisir et l’amour partagés[2] ?

En tant que chrétiens nous avons, toutes et tous, une responsabilité de prévenir et de prendre très au sérieux des violences conjugales qui peuvent être implicitement encouragées par un certain enseignement (ou absence d’enseignement) sur la sexualité. 

La limite du légalisme

Moishe, le cousin de Yanky, est un personnage dans la série qui interpelle particulièrement et avertit du danger du légalisme : un juif ultra-orthodoxe qui fume et est addict aux jeux auxquels il joue notamment sur son smartphone du travail – son téléphone privé est casher, et il a une dispense spéciale… Un homme qui est envoyé par le rabbin avec Yanky à Berlin à la recherche d’Esty et dont le rabbin sait très bien que les méthodes ne sont pas aussi casher que son téléphone. Un homme qui menacera sa cousine par alliance violemment pour essayer de la ramener dans la communauté, communauté qu’il a lui-même fui à une certaine époque. 

La mère d’Esty confiera à sa fille : « Il y a toujours un Moishe », il y a toujours quelqu’un qui est utilisé pour faire peur à la personne qui quitte la communauté et qui sait menacer efficacement – c’est clairement un aspect qui fait penser à une communauté à caractère sectaire. Quelqu’un que la communauté semble tolérer malgré sa différence, aussi pour pouvoir l’utiliser à ses fins. Pour faire respecter les règles, peu importent les méthodes. Quelqu’un qui en apparence a davantage de libertés que les autres, mais qui est peut-être encore davantage enchaîné qu’eux. 

Cela nous met en garde contre les « règles » (tacites et souvent incohérentes) que nous établissons dans nos communautés, particulièrement en ce qui concerne le rapport homme-femme et le comportement féminin et masculin qui est attendu. A qui et quoi servent ces règles ? Quelles sont leurs limites ? Quelles sont leurs conséquences (souvent désastreuses) ?

Traumatisme

Le film traite aussi de la problématique des traumatismes : les femmes sont censées porter beaucoup d’enfants pour « remplacer » les Juifs tués lors de la Shoah. La communauté Satmar s’est radicalisée après ce traumatisme indicible. Le spectateur a même l’impression qu’elle y trouve une partie de sa raison d’être. Aussi horrible et atroce qu’a été cette extermination cela fait mal au cœur de voir la pression qui est mise sur les femmes pour tomber enceinte…
Il nous semble qu’il y a ici une leçon à tirer par rapport à nos propres traumatises et blessures qu’ils soient individuels ou communautaires (évidemment souvent infiniment plus petits que celui de la Shoah) : qu’en faisons-nous ? à la lumière de quoi sont-ils « retravaillé » ? quelles en sont les conséquences pour notre rapport au féminin, au masculin ?

De femme à femme

On pourrait supposer que dans un tel contexte, les femmes aient appris à se soutenir et se valoriser mutuellement, mais ce n’est pas toujours le cas : l’exemple de la belle-mère d’Esty montre qu’une pression est exercée de la part des femmes sur les femmes. Cette femme a apparemment un grand pouvoir qu’elle n’utilise non pas pour faire du bien, mais pour intimider et dominer sa belle-fille. 

En tant que femmes qui avons, d’une manière ou d’une autre, vécu dans des circonstances où l’on a tenté (en paroles ou en actes) de nous placer dans une subordination à l’homme, comment interagissons-nous avec d’autres femmes ? Quelle est notre préoccupation : 

sauvegarder à tout prix notre place, notre position ou contribuer à ce que d’autres femmes puissent également s’épanouir, trouver leur place, leur vocation ? Nous sentons-nous menacées par leur « succès » ou sommes-nous prêtes à faciliter leur progression ? 


[1] Cf. Pascaline Potdevin, « On a vu la série ‘Unorthodox’ avec le rabbin Floriane Chinsky », 24/04/2020, https://madame.lefigaro.fr/celebrites/on-a-vu-la-serie-netflix-unorthodox-avec-le-rabbin-floriane-chinsky-feminisme-judaisme-liberte-240420-180834, consulté le 29/05/20.

[2] Cf. Ibid. 

Photo : capture d’écran Netflix, LyLeh

À propos Lydia Lehmann

Lydia Lehmann, titulaire d'un master en théologie de la FLTE, est actuellement co-pasteure dans une Eglise de l’AEEBLF au sud de Bruxelles. Elle est l'autrice de "Côte à côte. Quand femmes et hommes avancent ensemble", responsable de ce blog et amoureuse de poésie qu'elle pratique quotidiennement. Vous pouvez également retrouver sa plume sur quelques épisodes du podcast "Au commencement" de l'Alliance biblique française.

2 comments on “Vu sur Netflix : Unorthodox

  1. LEANDRI M.Rose

    Bonjour,
    merci pour cette réflexion riche et qui pose des problématiques intéressantes.

    On pleure, on gémit de voir de plus en plus de divorces chez les chrétiens !
    Est- ce – à dire qu’avant les couples s’entendaient mieux ?
    Sûrement pas ! Les femmes souvent ne pouvaient pas partir, et on souffrait
    en silence ou pas jusqu’à la mort……
    Le but aujourd’hui’ hui est plus juste : il s’agit de s’aimer et de continuer de s’aimer
    et non pas, de ne pas divorcer, ne pas divorcer…. tout accepter………
    Pour cela il est nécessaire de regarder en face les problèmes, les nommer,
    comprendre, (jusqu’à la sexualité si tabou !) pour trouver des solutions afin
    de mieux glorifier le Seigneur dans notre corps, âme et esprit – car c’est là
    qu’est la vraie liberté et le plus grand bonheur.
    Je trouve que l’ église avance (initiatives, égalité, parcours Alpha couples……..)

  2. Ping : En tenue d’Eve : « Féminin, pudeur et judaïsme » de Délphine Horvilleur #lupourvous – Servir Ensemble

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