Progresser en Église

Pasteure avec des enfants en bas âge

Entre deux cultes. Juste le temps d’allaiter mon enfant avant de redescendre pour prêcher une deuxième fois. Lors de la période du covid, au moment où les mesures sanitaires nous offraient cette possibilité, notre communauté a décidé de vivre deux cultes le dimanche matin pour permettre à un maximum de personnes d’être présentes. C’est un soulagement de constater que les horaires de ces deux facettes de ma vie se concilient bien ce jour-là.

C’est ma matinée pour garder mon fils, mais il faut aussi que je prenne le temps d’appeler la personne que je voudrais visiter cet après-midi pour fixer un rendez-vous. Selon la phase du développement que l’enfant est en train de traverser et l’humeur du jour cela peut ressembler à un véritable exploit. Et comment puis-je pleinement être présente aux membres de l’Église pour les discussions après le culte quand je dois en même-temps surveiller mon fils qui lui aussi a besoin d’attention ?

Quand on est pasteure avec des enfants en bas âge ou encore relativement jeunes, les défis particuliers liés au ministère pastoral peuvent être amplifiés. Il y a par exemple la nécessité d’être disponible en soirée et le week-end ce qui a pour conséquence que l’on est en décalage avec le conjoint et les enfants. La famille est en congé le week-end, mais nous ne le sommes pas forcément. Comment faire pour rappeler les personnes après 18h quand elles ont terminé leur travail, mais que c’est aussi l’heure la plus intense pour s’occuper des enfants, surtout si le conjoint n’est pas encore rentré du travail ?

Par moment, il peut y avoir un tiraillement entre les différentes attentions que nous accordons aux uns et aux autres, aux enfants et aux membres de l’Église. Nous aimerions que l’Église comprenne que nous devons et voulons aussi consacrer du temps à la famille. En même temps notre cœur bat pour la vie d’Église et la théologie et nous voudrions avoir plus de temps à disposition pour ces domaines qui nous passionnent. Comment s’y retrouver sans culpabiliser ?

Mon enfant, un paroissien ?

Une règle d’or aide à vivre ces moments avec plus de sérénité : si notre conjoint est notre premier paroissien, nos enfants le sont aussi. Leur accorder le temps nécessaire, mais aussi du temps gratuit (!), avec cette pensée en tête me semble libérateur : mon enfant est un membre de l’Église qui mérite toute mon attention et mes soins pastoraux. Il est même un premier paroissien, celui dont je suis appelée à prendre soin prioritairement, avant tous les autres.  

Ensuite il est bienfaisant de prendre conscience qu’il y a interaction et enrichissement entre les différentes réalités de ma vie. Jouer avec mon enfant peut être récréatif pour moi et me faire renouer avec des joies simples trop vite oubliées dans le train-train quotidien, pourtant porteuses de leçons spirituelles et donc bénéfiques aussi pour mon ministère. Le psalmiste ne dit-il pas : « De la bouche des enfants et des cris des nouveau-nés, tu fais jaillir la louange qui confond tes adversaires. » (Ps 8 : 3) En revanche prendre soin de l’Église tout en négligeant mon enfant n’est pas véritablement prendre soin de l’Église. L’attention accordée à l’Église perdrait même en crédibilité : quel sens cela a-t-il de prendre soin de quelqu’un d’autre, si je néglige les personnes que Dieu m’a confiées en premier (cf. 1 Tim 3 : 5) ? 

Inversement ce que je vis et apprends dans l’exercice du ministère me forme et transforme, influence et enrichit aussi ma manière d’être parent. 

Penser les choses de cette manière peut aider à gérer les attentes parfois trop élevées envers les pasteurs et pasteures et à gagner en liberté intérieure.

Une disponibilité différente pour chaque saison

Être parent d’enfants en bas âge et pasteure, cela implique aussi d’accepter, comme le souligne si bien Richard Gelin, que « […] la disponibilité d’un pasteur varie constamment. Autre est-il quand il est jeune papa ou jeune maman ; autre est-il, quand il ou elle a plusieurs enfants ; autre est-il encore quand les enfants sont adolescents, et autre encore quand ils ne sont plus à la maison ; autre encore quand l’âge venant l’énergie doucement s’étiole… »[1]

Une pasteure avec des enfants en bas âge ne peut pas avoir la même disponibilité qu’une pasteure avec des enfants adolescents ou adultes. Pas la même disponibilité donc, mais d’autres richesses à explorer : des parents qui vivent également cette saison particulière de leur vie, peuvent se sentir davantage compris par la pasteure avec des enfants en bas âge.

Accepter soi-même cette tension de la disponibilité multiple, vivre cet état de fait comme une saison particulière, comme une grâce, est une chose : c’est un chemin que chacune peut choisir de parcourir pour soi. L’acceptation consciente et joyeuse de la part de l’Église en est encore une autre. Nous y reviendrons. Mais d’abord encore quelques pistes pour mieux vivre soi-même ce fameux tiraillement. 

Un équilibre personnel et imparfait

Chacune devra trouver son propre équilibre, avec ses forces et ses faiblesses, ses frustrations et ses joies. L’équilibre qu’elle trouvera ne sera pas le même pour tous. De plus, cet équilibre se déplacera au gré des besoins. Il y aura des moments où la balance penchera du côté des enfants et puis il y en aura d’autres où elle penchera du côté de l’Église. Nous ne nous trouverons pas tout le temps dans un équilibre parfait.

L’essentiel me semble que les engagements familiaux d’un côté et ecclésiaux de l’autre s’équilibrent à court et moyen terme : dans la semaine, dans le mois. 

Souplesse et anticipation

La souplesse et la capacité d’adaptation seront parmi nos meilleurs alliés : quand le petit fait sa troisième bronchite en l’espace d’un mois et demi – avec cinq rendez-vous médicaux dans la semaine, sans parler des nuits plutôt chaotiques en cette période –  et ne peut donc pas être gardé en crèche ses trois jours hebdomadaires, en l’absence de la possibilité d’un « SOS grands-parents », on n’a guère d’autre choix que d’adapter son emploi du temps. Et mieux vaut le faire avec grâce et détente qu’en râlant 😉. Un emploi du temps souple, étant déjà de base un des ingrédients du ministère pastoral, s’avère d’autant plus « utile » avec un enfant en bas âge et est clairement un sujet de reconnaissance au milieu des défis que ces imprévus impliquent. 

À la souplesse ajoutons une autre valeur sûre, l’anticipation. Essayer d’anticiper au moins un minimum (si possible je préfère anticiper un maximum) pour pouvoir faire face, le mieux possible, aux imprévus. Faire les choses quand ma main les trouve à faire (Eccl 9 : 10), quand j’en ai l’occasion… car je ne sais jamais pour quand sera le prochain épisode « maladie » de mon enfant. Cela m’évitera un stress supplémentaire dans le cas où ma prédication tombe la semaine où il est malade.

La place du conjoint 

Avoir un conjoint compréhensif et disponible est également une aide précieuse. Selon les engagements du moment, l’un ou l’autre conjoint pourra être davantage présent auprès des enfants. Si l’enfant a cette habitude depuis tout petit il sera moins rapidement déstabilisé par un parent ponctuellement moins présent. Là aussi chaque situation est différente et il arrive que le conjoint n’a pas la possibilité d’être aussi présent qu’il le souhaiterait peut-être, car ses réalités professionnelles du moment ne le lui permettent pas. À chaque couple de trouver un fonctionnement vivable pour lui. 

Travailler en binôme

Avec un enfant en bas âge j’ai aussi vu tout l’avantage qu’il y a à travailler en binôme avec un autre pasteur ou une autre pasteure dans la même communauté. Je ne dis pas que c’est le seul modèle possible. Tout dépend évidemment aussi du choix de garde pour lequel on a opté. En tout cas si l’option retenue est une garde « mixte » (parents / lieu d’accueil / grands-parents) et si la pasteure a fait le choix de ne pas exercer un ministère à plein temps pour être davantage disponible pour sa famille, le fait de ne pas être la seule pasteure de la communauté enlève quelque peu la pression et la charge de responsabilité qui sont déjà élevées dans cette saison de vie particulière. 

Une Église compréhensive 

Du côté de l’Église quelles sont les pistes pour soutenir une pasteure avec des enfants en bas âge ?

Les responsables de l’Église peuvent clairement et publiquement exprimer leur accord en ce qui concerne l’emploi du temps souple, adaptable à l’âge et aux besoins des enfants.

S’il y a des périodes où le ministère demande un plus grand investissement en temps et en énergie que prévu initialement, des compensations sont envisageables, comme la récupération pendant les vacances scolaires pour permettre à la pasteure d’être davantage présente auprès des enfants. L’Église a tout à y gagner à être avant-gardiste en la matière (je suis reconnaissante aux Églises qui ont conscience des enjeux et qui sont déjà très compréhensives et bienveillantes, j’en suis clairement au bénéfice 😊).

Des membres de l’Église avec une plus grande disponibilité peuvent proposer de faire du babysitting lors de certaines réunions (j’ai à plusieurs reprises eu la grâce de goûter à cette générosité !). Évidemment, d’autres familles de l’Église et notamment des parents célibataires pourraient également bénéficier d’une telle disponibilité.

Tout un chacun peut faire attention aux projections faites sur la pasteure maman, ou sur le pasteur papa, même si les projections sur les pasteures sont souvent plus nombreuses. Car nous avons tous et toutes des idées de comment devrait se comporter une maman (chrétienne), n’est-ce pas ? Une pasteure peut-elle allaiter son bébé après le culte sans être l’objet de commentaires ? Peut-elle choisir de ne pas allaiter sans recevoir des regards désapprobateurs quand elle sort le biberon ? Cela vaut bien sûr pour chaque maman de la communauté, mais la pasteure est plus « visible » et risque donc d’attirer davantage les regards et remarques. Soyons sensibles et attentifs à ne pas blesser l’autre et laissons chacune libre de ses choix parentaux et éducatifs. 

Chaque saison de notre vie comporte des trésors et des défis. Usons de patience les uns envers les autres et apprenons à partager généreusement et humblement les richesses de notre saison avec ceux et celles qui vivent une autre étape.


Cet article a été écrit au féminin, car il s’agit de l’expérience de l’auteure, mais beaucoup de facettes décrites peuvent s’appliquer aux pasteurs papa. Cependant, dans beaucoup de familles on constate encore une prise en charge plus importante de la part de la mère de tout ce qui concerne les enfants et la maison…

Je remercie chaleureusement Magali Soo, pasteure-enseignante de l’Église Protestante Baptiste de Pontault-Combault Pré-Fusé et maman de trois enfants, pour sa relecture et ses idées qui ont enrichies cet article. 


Références

[1] Richard Gelin, « Le pasteur, un salarié comme les autres ? », Les Cahiers de l’École Pastorale n° 88, 2e trimestre 2013.


À lire également sur notre blog : “Qui gardera les enfants?” de Jean-René Moret

À propos Lydia Lehmann

Lydia Lehmann, titulaire d'un master en théologie de la FLTE, est actuellement co-pasteure dans une Eglise de l’AEEBLF au sud de Bruxelles. Elle est l'autrice de "Côte à côte. Quand femmes et hommes avancent ensemble", responsable de ce blog et amoureuse de poésie qu'elle pratique quotidiennement. Elle vit avec son mari et leur fils dans la région namuroise.

2 comments on “Pasteure avec des enfants en bas âge

  1. Marie-Noëlle Yoder

    Merci beaucoup pour cet article Lydia! J’ai aussi été touchée quand quelqu’un m’a ramené une pile de crêpe un samedi soir alors que je terminais de préparer la prédication du lendemain. Des petits gestes et des grands effets!

  2. M.Rose

    Bonjour,
    merci pour votre article qui était nécessaire car toutes les contraintes que vous mentionnez peuvent décourager beaucoup de foyers et faire désirer un retour en arrière : “que c’était chouette quand les femmes restaient au foyer !” “Qu’ ils étaient bons les concombres en Égypte disaient les Israélites !” (on a vite fait de gommer tous les effets néfastes que cela a engendrés.)
    Le défit est dans un nouveau mode d’organisation du travail extérieur,
    qui a été pensé que pour les hommes et n’ayant pas d’enfant à élever.
    Une solution est dans la diminution du temps de travail pour les parents
    (père et mère) d’ enfants en bas âge, sans perte de salaire minimum. Bien sûr la contribution de la société est nécessaire au don qu’ apporte ceux qui ont des enfants pour le renouvellement des générations et autres bienfaits. (là il faut être imaginatif pour soutenir les familles ,
    par toutes sortes de solutions qui libèrent du temps…….)
    Bravo et bon courage à vous qui persistez malgré les difficultés, et qui essayez de trouver des arrangements en attendant l’évolution des mentalités,(chrétiens en premier) pour avoir une vision juste de la place
    de chacun. Merci à ce site d’ y contribuer, et il y contribue efficacement par
    une réflexion profonde, documentée et diversifiée !

    PS : nous avons fait notre part en gardant notre petite fille les mercredi ou pendant les vacances scolaires. Et cela nous a donné beaucoup de bonheur et crée des liens très forts, tout en soulageant les parents !

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