Témoignages

Femme évêque, femme médiévale: les secrets spirituels d’une grande femme de Dieu

Femme puissante et dynamique, ancienne réfugiée, Hilde de Whitby était à la tête d’une communauté mixte d’hommes et femmes. Des rois venaient la consulter. D’où venait son autorité exceptionnelle ? Mary Cotes approfondit la question.

Comment? Une femme du septième siècle à la tête d’une communauté chrétienne d’hommes et de femmes? Est-ce vrai ?

Ma première réaction lorsque j’ai entendu parler pour la première fois de la Sainte Hilde, fondatrice d’un double monastère au nord de l’Angleterre, à Whitby dans le Yorkshire. Même si les détails de la vie de Hilde sont cachés dans les brouillards du passé, j’ai eu très envie d’en savoir plus. L’été dernier je suis donc partie quelques jours à la découverte de cette femme de Dieu extraordinaire.

ruines

Une femme d’autorité

J’apprends d’abord que l’abbaye qu’elle a fondée n’existe plus !  Les ruines qui se trouvent actuellement sur la côte sont celles d’un monastère qui a été construit beaucoup plus tard sur le même site.

Pourtant le souvenir de Hilde est bien présent dans les Églises de la région. Elle est souvent représentée, dans les vitraux par exemple, tenant une Bible ou bien une abbaye d’une main et une crosse de l’autre. Symbole de l’autorité pastorale, la crosse est plus souvent tenue par un évêque. Et pourtant, l’autorité pastorale de cette femme médiévale ne semble pas être remise en question.

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Hilde est née en 614, à une période de l’histoire assez compliquée. Au septième siècle le pays « anglais » ressemblait à un puzzle de royaumes différents dont les terres étaient constamment disputées par des rois. Princesse d’une famille royale, Hilde avait connu enfant les excès corrompus de l’autorité humaine. Elle était témoin de la violence. Fille d’un père empoisonné par un voisin, elle avait grandi en tant que réfugiée dans le sud de l’Angleterre où un cousin était en mesure de la protéger.

L’autorité de Hilde ne ressemblait pas du tout à celle des rois humains ! Il s’agissait d’une autorité fondée sur l’Évangile qu’Hilde a probablement entendu pour la première fois de la bouche de l’évêque Aidan. La Bonne Nouvelle  était en train d’être annoncée dans le pays par des missionnaires celtes, arrivés d’Irlande. Hilde s’est convertie dans cette tradition celte, et est restée toute sa vie fidèle au Prince de la Paix.

J’ai eu très envie  d’en savoir plus. Comment cette femme exerçait-elle cette autorité spirituelle ?

Une femme fragile et courageuse

Il parait qu’Hilde a peut-être été tentée d’aller vivre en France ! Au temps de Hilde, des doubles monastères français attiraient un grand nombre de femmes anglo-saxonnes. Pourtant l’évêque Aidan, soutenu par le roi de la région, a fortement encouragé Hilde à fonder un double monastère sur la côte du Northumberland. De naissance royale et douée pour l’administration et l’enseignement, cette chrétienne dévouée avait probablement le profil nécessaire.

J’ai été impressionnée par la situation rude du monastère qui m’a puissamment parlé de la fragilité humaine. Construite sur la falaise, l’abbaye était vulnérable surtout en hiver aux grands froids et aux tempêtes maritimes, sans parler des invasions éventuelles des armées venues des pays étrangers.

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Cette femme a pourtant accepté de créer une communauté en ce lieu. Elle ne croyait pas en un Dieu qui l’invitait à vivre protégée et isolée des dangers. Elle était certainement soutenue par une foi solide et un courage exceptionnel.

C’était sûr que je n’allais pas faire l’expérience d’un climat rude et hivernal au mois d’août ! Au contraire : j’ai profité d’un temps ensoleillé. Pourtant à la fin d’un après-midi j’ai eu la joie de voir paraitre un arc-en-ciel magnifique au-dessus de la mer ! Quatorze siècles avant moi, Hilde a dû, elle aussi, être bénie par ces signes majestueux des promesses de Dieu.

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Une femme de prière

En peu de temps la communauté du monastère a beaucoup grandi. Un grand nombre d’hommes et de femmes ont été accueillis et ont vécu sous l’autorité de Hilde. L’abbaye ressemblait à un village. Les hommes et les femmes vivaient séparément en petits groupes mais se réunissaient cinq fois par jour pour prier. Formée dans la tradition celte, Hilde a établi un rythme discipliné de prière. Au cœur de la communauté, des moines et des religieuses passaient leur temps à prier et à étudier.

En même temps, un grand nombre de personnes qui vivaient autour de l’abbaye cultivaient les terres et gardaient le bétail. Ils dépendaient de l’abbaye pour vivre. De nos jours on parlerait d’une vie équilibrée ou les membres de la communauté exprimaient leur foi en vivant en harmonie avec la création de Dieu.

Une femme d’érudition

Femme d’une brillance intellectuelle, Hilde était connue pour la profondeur de sa vie spirituelle et sa sagesse. Des rois venaient la consulter, et sous sa direction, la communauté est devenue un centre culturel et spirituel fondé sur une érudition sans pareil.

En 664 l’abbaye a accueilli le Synode de Whitby. Hilde a reçu les plus grands hommes de l’Église de l’époque. Au cours de la rencontre, la date de Pâques a été établie pour le pays, suivant le calendrier de l’église catholique. Convertie dans la tradition celte, Hilde a dû garder sa déception pour elle et a continué à œuvrer pour l’unité de l’Église.

Une femme de discernement

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Hilde est surtout connue pour avoir encouragé les dons spirituels de Caedmon. Il s’agit du premier poète chrétien en langue anglaise. C’était un homme simple et analphabète qui s’occupait du bétail de l’abbaye. Un soir de fête il a eu trop peur pour chanter devant les autres, et il est allé se coucher. Pendant la nuit il a eu une vision de Dieu et il a commencé à chanter. Des membres de la communauté l’ont ramené à Hilde le lendemain.

Discernant chez lui un don spirituel important, Hilde lui a proposé de se joindre à la communauté. Quelques années plus tard il a prononcé ses vœux. Pourtant Hilde avait compris les limites de cet homme et lui a épargné des études de latin. Elle était souple. Elle comprenait que l’essentiel était de libérer le chant qui se trouvait au cœur de Caedmon, sans l’encombrer d’activités qui pourraient freiner le mouvement du Saint Esprit en lui.

Un témoignage pour aujourd’hui ?

Je suis rentrée du nord fortement encouragée. En même temps une question me travaillait.  Pourquoi n’avais-je pas découvert cette histoire plus tôt ? Quand j’étais enfant il y avait à la maison une petite cuillère, souvenir de Whitby, que mes parents avaient ramenée de leurs vacances avant ma naissance. Le prénom de Hilde n’y paraissait pas.

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Il me semble que si mes parents ne m’avaient jamais raconté l’histoire de Hilde, c’était tout simplement parce qu’ils ne la connaissaient pas. Lorsque mes parents étaient jeunes, les grandes femmes de Dieu étaient absentes de l’histoire de l’Église.

Pourtant nous avons besoin de ces témoignages féminins d’autrefois. Les femmes d’autorité comme Hilde nous offrent des modèles, et il faut bien nous demander pourquoi leurs histoires ont été pratiquement perdues de vue à travers les siècles.  A nous de redécouvrir ces femmes exceptionnelles et de les mettre en valeur dans nos Églises, afin de créer un milieu spirituel où l’autorité de la femme est acceptée et célébrée.


Cet article est maintenant également disponible en anglais 🙂

À propos revdmcotes

Mary Cotes est pasteure baptiste anglaise. Ayant fait ses études doctorales de théologie, elle a exercé un ministère dans de nombreux contextes, y compris l’aumônerie d’un hôpital psychiatrique. Autrice de Women Without Walls et Quand les femmes se mettent à l’œuvre, elle exerce un ministere itinérant. . Musicienne diplômée, elle donne également des cours de piano.

7 comments on “Femme évêque, femme médiévale: les secrets spirituels d’une grande femme de Dieu

  1. Claire Poujol

    Mary bonjour et merci c’est vraiment une histoire passionnante. Au début j’ai cru qu’il s’agissait de Hildegarde de Bingen mais apparemment c’est une autre dame ?

    • revdmcotes

      Claire bonjour, et merci de nous faire penser aussi a Hildegarde de Bingen (1098 – 1179), théologienne brillante et abbesse allemande du douzieme siecle. Il s’agit d’une visionnaire exceptionnelle et une grande musicienne. On devrait peut-etre écrire a son sujet sur le blog…

  2. Manuel Schwach-Fernandez

    Merci pour cette article et la découverte de cette femme ! Je me permets de faire une précision : la crosse est un symbole que toute abbesse recevait lors de sa consécration. Le cas de Hilde n’est pas exceptionnel. Je me permets aussi de vous conseiller de regarder un peu l’histoire de l’abbesse des Huelgas (Burgos, Espagne ).
    Il y a eu d’autres femmes -grâce à Dieu ! – : Brigitte de Suède, qui a fondé un ordre monastique mixte, Radegonde de Poitiers, et la déjà mentionnée Hildegarde de Bingen. Et sous d’habillage d’obéissance aux hommes, il y a eu aussi Catherine de Sienne et Thérèse de Jésus, toutes deux femmes d’autorité reconnue.
    Merci encore !

    • revdmcotes

      Merci beaucoup pour votre commentaire riche qui nous donne envie de savoir plus au sujet de ces grandes femmes de Dieu.

  3. Soeur Catherine Grasswill

    Bonjour et Merci de compléter la découverte que je venais juste de faire sur Hilda. Il semble qu’elle ait repris aussi des intuitions de Ste Brigitte de Kildare qui aurait fondé le premier monastère double vers le début du VIè siècle.
    Les traditions e communautés chrétiennes celtes étaient différentes des communautés romaines.

    • revdmcotes

      Bonsoir et merci beaucoup de nous faire penser a cette grande femme de Dieu irlandaise.
      On discute des liens qui auraient pu éventuellement exister entre le double monastere de Whitby et l’Abbaye Notre-Dame-des-Chelles, fondée par Balthilde. Il parait que la soeur de Hilde (Hereswith) se serait jointe a cette communauté.

  4. Ce n’était pas seulement la date de Pâques qui était décidée à ce synode. Le nord de la région (on ne peut pas parler du pays à l’époque) suivait la pratique celte tandis que le sud suivait la romaine, établi par Augustin de Cantorbéry. Il y avait donc des différences entre le nord et le sud qui touchaient des principes aussi importants que l’autorité accordée aux femmes, et des détails comme la forme de la tonsure. Le système celte a cédé, entièrement, au romain. Hild a gardé sa position; on a implanté les changements au fur et à mesure, mais ce synode a sonné le glas pour l’égalité des femmes dans l’église établie anglaise jusqu’à nos jours. Hélas.

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