Une première mondiale: la rencontre de 80 femmes rabbins, élèves et professeures, venues de France (il y en a trois actuellement, une quatrième sera prochainement ordonnée !) venues d’Israël, d’Angleterre et des États-Unis et issues des trois courants du judaïsme : libéral, massorti et orthodoxe (oui, il y a des femmes rabbins orthodoxes !)
Le 1er congrès mondial ‘Les filles de Rachi‘ (le programme en PDF ici) a eu lieu du 16 au 18 juin 2019 à Troyes.
Parmi les participant.es à ce congrès sur le leadership féminin dans le judaïsme, étaient également présent.es quelques curieux et curieuses de toutes confessions. Les journées se sont déroulées au rythme des offices, des repas casher et des ateliers. La synagogue était devenue le lieu d’enseignements profonds à partir de textes bibliques, Talmud, Mischna, et autres écrits juifs, immédiatement suivis du brouhaha Yeshiva, discussions à voix haute avec son ou sa voisine sur les questions d’autorité, de légitimité du rabbinat féminin et du leadership féminin.
Myriam, Débora et Huldah en fil rouge
Les prophétesses Myriam, Débora, Huldah et Esther ont servi de fil rouge. Rosine Cohen, professeure d’hébreu et d’histoire juive à Paris, souligne qu’ « elles ont toutes les quatre en commun la connaissance, l’intelligence, la sagesse et le savoir. Le savoir équivaut au pouvoir. C’est le savoir qui permet l’engagement et le leadership ».
Tamara Cohen-Eskenazi, rabbin et professeure, s’intéresse à Huldah dans 2 Rois 22, 13-14 : « Malheureusement, Huldah a été considérée par certains commentateurs comme étant un homme ! »
Un atelier Talmud
Lors de l’atelier Talmud qui a suivi, Ann-Gaël Attias, élève rabbin à Londres, nous plonge dans une lecture passionnante de textes où il est question du leadership des femmes avec la reine Hélène, Yalta, ‘Em, et la « femme déviante ».
Un atelier Midrash
Lors de l’atelier Midrash, Pauline Bebe, rabbin libérale à Paris, dit que « la punition d’Eve fut d’être dominée par l’homme. Beaucoup disent que c’est Dieu qui l’a voulu, donc on ne peut rien y changer. Et que s’il n’y a pas de femmes leaders, c’est que Dieu l’a voulu. Or le Midrash dit que ce n’est pas la volonté divine qu’il y ait cette société-là, patriarcale. Le regard de Dieu est d’une égale dignité vis-à-vis de toutes ses créatures.
Le problème est que l’homme ne prend pas exemple sur Dieu. Imitez Dieu ! »
La conférence: faut-il que les femmes désobéissent pour être leaders?
Le soir, une conférence est proposée à la Mairie sur le thème « Faut-il que les femmes désobéissent pour être leader ? » La soirée commence par une interview filmée de Maggie Anton, américaine, auteure de Rachi’s Daughter (trilogie de romans, 200 000 exemplaires vendus dans le monde).
Elle rappelle que Rachi avait trois filles, connues pour être éduquées et porter les tefillins. Des femmes étudiaient dans la Maison de Rachi au Moyen-Age ! A Troyes, les femmes avaient même le droit de monter à la Torah dans la synagogue pour réciter les bénédictions et lire la parasha en hébreux.
Delphine Horvilleur, rabbin du mouvement juif libéral à Paris, commence par une boutade sur « le cheval de Troie », une conquête par ruse, pour mieux démontrer les stratagèmes que les femmes doivent souvent mettre en place pour devenir leaders, et être reconnues ainsi.
L’atelier Halakha
Le lendemain matin, lors de l’atelier Halakha, Bitya Rozen-Goldberg (rabbin orthodoxe à Jérusalem) étudie l’histoire du combat des femmes pionnières pour devenir rabbins.
L’atelier spiritualité
Le dernier atelier fut celui sur la spiritualité où Valérie Stessin, rabbin Massorti à Jérusalem lance cet envoi final :
« Les hommes qui refusent que les femmes soient rabbins ont peur du changement que cela pourrait produire, et peur pour leur honneur. Qu’est-ce que les femmes rabbins vont changer dans le judaïsme ? Quand ils me posent cette question, je leur réponds : je ne suis pas prophète ! Attendez, et on verra ! »
Je terminerai cette chronique avec quelques extraits de mon discours lors de la cérémonie d’ouverture :
« Quelle joie quand j’ai appris la tenue de ce congrès ! Quelles richesses quand on n’a pas peur et qu’on n’efface pas la pluralité, la diversité des courants de pensées ! Et que d’espérances dans les fruits que ce rassemblement pourra donner, à tous niveaux !
Il était temps!
Je dirais : il était temps ! Depuis un nombre incalculable d’années, nous, les femmes, nous avons attendu le bon moment pour parler du leadership des femmes ! […]
Quelle valeur attribuons-nous à la parole d’une femme ? Voyons-nous ses capacités à mener une communauté vers le bien, vers le bon, dans la foi ? […] Nous avons fait preuve de beaucoup (trop) de patience. Nous avons attendu. Maintenant, il est temps. […]
Il est temps de discerner les capacités de leadership d’une personne, sans avoir à considérer auparavant si elle porte une jupe ou pas. Il est temps de prendre en compte l’autre moitié de l’humanité, celle qui est exclue de la plupart des lieux de décisions. […]
Ce congrès tombe à pic. Je remercie M. Pitoun, ainsi que les organisateurs et organisatrices d’avoir compris l’air du temps, et de nous permettre de penser, puis de travailler à un autre avenir, ensemble, et en totale égalité. »
Ce congrès fut une bouffée d’oxygène, un apprentissage intense de haut niveau, et un encouragement puissant pour toutes les femmes qui souhaitent se lancer ou persévérer dans le leadership, quel que soit leur domaine : religieux, politique, etc. Il a montré que, malgré les oppositions nombreuses et souvent infondées, les femmes n’ont pas à rougir, à se taire, à se retenir, à se cacher derrière une opinion généralement admise, ni à obéir à des préceptes injustes.
Elles n’ont pas non plus à se justifier, ni à s’excuser d’être là. Elles ne prennent la place de personne : c’est la leur.
En tant que leaders compétentes, elles ont un rôle important à jouer, elles peuvent changer l’histoire. Elles doivent s’engager, malgré tout, car Dieu les appelle, elles-aussi, à son service et au service des humains ! Il n’est pas question de prendre le pouvoir, de dominer qui que ce soit. Elles demandent simplement l’égalité des droits, la possibilité de servir en commun.
Un livre post édition sera publié dans un an, incluant toutes les interventions et une suite de ce congrès extrêmement riche est prévue pour dans deux ans : Alléluia !”
Joëlle Wetzstein, pasteure de l’Église Protestante Unie de Troyes et Aube
Bonjour
Il est paradoxal que la majorité des chrétiens dans les églises continuent de discriminer les femmes
alors que nos amies juives qui n’ont ni l’exemple du Christ, ni des textes clairs comme (“en Christ il n’y a plus ni homme ni femme.”….etc…) ont pu par l’étude de l’AT trouver des arguments décisifs pour établir l’égalité homme-femme et le partage de l’autorité !
Ce n’est pas un hasard il me semble, si cela se passe dans les sociétés occidentales où la tradition
juive a pu être enrichie par le contact avec ds sociétés où l’influence du christianisme a quand même permis une avancée pour la dignité des femmes :fin de la polygamie, consentement dans le mariage,
instruction, liberté de conscience…..
A notre tour d’être fécondés en revenant à nos racines juives, à l’hébreu avec la richesse de ses
nuances (surtout la Genèse ) .Cette relecture des textes doit nous bousculer et renouveler notre vision
et notre compréhension de la volonté de Dieu.
L’émancipation des femmes est en marche, et rien ni personne ne pourra l’arrêter.