« L’Église ne se résume pas à un sexe, une race, une ethnie, un âge, une nationalité, un type de corps ou une capacité. La richesse de l’Église de Dieu se déploie lorsque nous diversifions les personnes et les histoires auxquelles nous faisons de la place. » La vie de Florence Li en témoigne puissamment !
Précédemment dans « Florence Li : pionnière dans la prêtrise anglicane »…
La semaine dernière, nous avons fait la connaissance de Florence Tim Oi Li, une femme de Hong Kong, devenue la première femme ordonnée prêtre dans la Communion anglicane. Li a exercé son ministère à Hong Kong et Macao pendant le chaos de la deuxième guerre sino-japonaise et de la Seconde Guerre mondiale. Elle a d’abord été ordonnée diacre (1941), puis prêtre (1944), mais avait renoncé à son titre de prêtre en raison de la pression exercée par les dirigeants de l’Église en Angleterre.
Cette semaine, nous verrons comment se termine l’histoire de Li. Obtiendra-t-elle la reconnaissance qu’elle mérite de son vivant ? Pourra-t-elle exercer en tant que prêtre ordonnée ? C’est ce que nous allons découvrir !
Le long chemin vers la reconnaissance
Un an environ après la fin de la guerre et la perte de son titre, l’évêque Hall envoie Li reconstruire une paroisse dans la région chinoise de Hepu. Là, elle continue à exercer les fonctions de prêtre, mais sans le titre, et enseigne également dans deux écoles secondaires.
En 1948, l’évêque Hall envoie Li et quelques autres membres du clergé chinois visiter les États-Unis et se reposer de leurs ministères en temps de guerre. Comme la Conférence de Lambeth se réunissait à Londres cette année-là et que la nouvelle de l’ordination mystérieuse d’une femme prêtre chinoise se répandait rapidement, l’évêque adjoint Victor Halward demande à Li de garder son ordination secrète et lui interdit de prêcher ou de faire des déclarations publiques lors de ses déplacements aux États-Unis.
Cependant, on demandait souvent à Li de prêcher et de parler dans les Églises qu’elle visitait, même si la plupart n’étaient pas au courant de son ordination. Les gens ont commencé à lui demander : « Il y a une femme prêtre en Chine, elle est très célèbre. La connaissez-vous ? »[1].
Li n’a jamais révélé qu’elle était cette femme prêtre, mais les gens l’ont vite compris.
Li retourne à Hepu et y dirige une maternité, un jardin d’enfants et une école primaire en plus de son travail paroissial. Peu de temps après, en 1949, Mao Zedong et le Parti communiste chinois prennent le contrôle de la Chine, expulsent les étrangers et cherchent à débarrasser la Chine de la religion et des croyances traditionnelles.
La résurgence du sentiment anti-impérialiste, associée au nationalisme chinois qui cherchait à unifier une Chine divisée par les influences étrangères, entraînent la condamnation de tout ce qui était étranger. L’Église chinoise créé le Mouvement patriotique des trois autonomies – un mouvement chrétien non confessionnel dirigé par des Chinois et axé sur l’autogestion, l’autosuffisance et l’autopropagation – en prévision de ces changements sociopolitiques.
En 1951, Li s’installe à Pékin pour étudier le Mouvement patriotique des trois autonomies à l’université de Yenching et s’équiper pour le ministère sous le nouveau régime. Le mouvement communiste interdit périodiquement les services religieux et les prières communes, en particulier ceux établis sous influence étrangère. Les intellectuels des Églises étrangères, parmi d’autres, sont soumis à des critiques et à des interrogatoires publics dans le but de les rééduquer à l’idéologie maoïste.
Les pairs de Li l’ostracise et la ridiculise, mettant en doute son allégeance à la Chine et l’accusant d’être une espionne pour l’Église impérialiste anglaise. Elle devient dépressive et suicidaire, mais conserve sa foi et sa vocation. Avec le temps et les efforts de Li, ses pairs commencent à voir l’authenticité de ses intentions et les mauvais traitements finissent par cesser.
De 1953 à 1957, Li retourne à l’Union Theological College pour y enseigner l’anglais, l’histoire de l’Église et le Mouvement patriotique des trois autonomies. En 1958, le mouvement du Grand Bond en avant de Mao envoie des intellectuels comme Li dans des camps de travail de rééducation à la campagne et en usine. La Révolution culturelle (1966-1976) est marquée par une forte persécution et tous les livres et écrits de Li, ainsi que sa Bible, sont confisqués et brûlés. Dans ses mémoires, elle écrit :
« Je n’avais pas de Bible, mais je me souvenais de quelques passages. Je savais, bien sûr, que Dieu était toujours avec moi… Je n’avais pas de croix, aucun signe extérieur de quelque chose de religieux. Je n’osais pas faire un signe de croix dans ma chambre ; quelqu’un aurait pu me dénoncer. La croix était dans mon esprit. Jésus était dans mon esprit »[2].
Finalement, en 1974, alors âgée de 67 ans, Li est autorisée à prendre sa retraite du travail en usine.
En 1971, à l’insu de Li, le synode anglican de Hong Kong et Macao décide d’autoriser l’ordination des femmes comme prêtres. Li est alors officiellement reconnue comme prêtre dans sa région d’origine. Cette année-là, deux autres femmes, Jane Hwang et Joyce Bennett, sont ordonnées prêtres.
Li était cependant en Chine et avait peu de contacts avec l’extérieur. Peu de personnes à Hong Kong et Macao avaient eu de ses nouvelles depuis 1949.
En 1979, la liberté de croyance religieuse et de culte est à nouveau autorisée en Chine. Li et d’autres responsables d’Église reconstruisent les services religieux de mémoire, car la plupart des Bibles, des livres de prière et des recueils de cantiques avaient été brûlés. Plus de mille personnes assistent au premier service religieux, remplissant tous les espaces disponibles dans l’Église, même les rebords de fenêtres. Li dira de ce jour : « Lorsque le cantique a commencé, personne ne pouvait le chanter correctement. Nous pleurions de joie, si heureux d’avoir à nouveau un Église. Certains avaient souffert si longtemps »[3].
Li obtient la permission de quitter la Chine en 1981 et retrouve ses amis et sa famille pour la première fois en 32 ans, d’abord à Hong Kong, puis au Canada. En 1983, elle immigre à Toronto, au Canada, et occupe le poste de prêtre assistante dans l’Église anglicane de St Matthew et St John, une Église partagée par des congrégations anglophones et sinophones.
En 1984, l’Église d’Angleterre invite Li à l’abbaye de Westminster pour reconnaître et célébrer officiellement le 40ème anniversaire de son ordination.
Une source d’inspiration pour tous et toutes
Li a conclu ses mémoires en disant : « Je voudrais que l’histoire de ma vie encourage les femmes à servir Dieu avec patience et bonheur… Peut-être puis-je être une petite, toute petite force pour les aider. Je l’espère »[4].
La persévérance de la foi, de la vocation et du ministère de Li au cœur de la guerre, d’une politique confessionnelle patriarcale, de bouleversements politiques et de persécutions est une véritable source d’inspiration. Son engagement durable envers son appel à la prêtrise a ouvert la voie à l’ordination des femmes dans la Communion anglicane, laissant un héritage durable que l’on peut voir dans le monde entier aujourd’hui.
Outre le fait que Li soit la première femme prêtre anglicane et un exemple de foi audacieuse et inébranlable, son histoire est importante car elle brise le moule de ce que nous attendons d’un prêtre.
Combien d’entre nous ont été conditionnés à s’attendre à un homme, surtout un homme blanc, lorsque nous entendons le mot « prêtre » ? Quant à la première femme prêtre anglicane, avez-vous été choqué d’apprendre qu’il s’agissait d’une Chinoise ? Moi, je l’ai été !
Son histoire compte parce que la représentation compte. À l’âge de 75 ans, Li a continué à exercer dans sa paroisse de Toronto. Dans la biographie de Li, la révérende Alison Kemper a dit des femmes âgées de la congrégation :
« Lorsque Florence [administre la communion], elles voient quelqu’un qui leur ressemble beaucoup, quelqu’un qui a connu l’abondance et la pauvreté, qui a fait l’expérience de la guerre, qui a des petits-enfants et des neveux – et des infirmités… Elle rend la liturgie encore plus proche d’eux[5] ».
L’Église ne se résume pas à un sexe, une race, une ethnie, un âge, une nationalité, un type de corps ou une capacité. La richesse de l’Église de Dieu se déploie lorsque nous diversifions les personnes et les histoires auxquelles nous faisons de la place.
De cette manière, davantage de personnes, jeunes et moins jeunes, hommes et femmes, avec ou sans infirmités, sont vues avec la plénitude de l’imago Dei en elles.
Se retrouver dans l’histoire de Li
Faisons un essai ensemble. Je vais résumer la vie de Li et je vous invite à essayer de trouver un point de résonance entre vous et Li, comme par exemple la façon dont les femmes âgées de sa congrégation se sont vues à travers son leadership. Peut-être vous reconnaîtrez-vous dans son histoire, ou peut-être son histoire vous donnera-t-elle de l’espoir pour votre propre parcours.
Li était une pionnière, une prédicatrice, une pasteure, une enseignante, une survivante, une responsable jeunesse, une leader laïque, une travailleuse manuelle et une écrivaine. Elle s’est sacrifiée, a été fidèle et humble, a servi les réfugiés et soigné les blessés. Li a reçu son appel au ministère vers l’âge de 24 ans. À la fin de la vingtaine, elle a fréquenté le séminaire et a courageusement dirigé des équipes de secouristes étudiants au milieu de la guerre. Elle a été ordonnée diacre vers 34 ans et prêtre à 37 ans, ordination qu’elle a perdue à 39 ans. Du début de la quarantaine jusqu’au début de la septantaine, Li a vécu sous une forte persécution. À 75 ans elle a immigré à Toronto, au Canada, et a continué à servir dans sa paroisse locale. À l’âge de 77 ans, le sacerdoce de Li a finalement été reconnu par l’ensemble de la Communion anglicane.
Je me reconnais dans l’histoire de Li. À 24 ans, Li a été appelée au ministère et est rapidement entrée au séminaire, ce qui résonne en moi parce que je suis une Américaine d’origine chinoise de Hong Kong de 24 ans qui étudie au séminaire. À l’instar du leadership de Li pendant ses années de séminaire, je suis également en train de servir et de diriger le corps étudiant. J’aspire à diriger aussi courageusement que Li l’a fait, surtout dans le chaos actuel de la société américaine.
L’histoire de Li m’inspire, car elle me donne l’espoir que quelqu’un comme moi et qui me ressemble puisse être aussi fidèle et avoir un impact aussi déterminant qu’elle dans un monde qui a cherché à la réduire au silence et à la supprimer. Je ne sais pas quelle sera la suite de mon histoire ni combien de temps il me faudra pour y arriver, mais si son histoire est un indice, j’y arriverai.
Comment vous voyez-vous en Li ?
Le 27 mars 2021, nous avons été témoins d’une autre première dans la Communion anglicane. La Révérende Dr. Emily Onyango est devenue la première femme évêque de l’Église anglicane du Kenya.
Christy CHIA
Traduction : Valentin DOS SANTOS
Cet article a été premièrement publié le 10 mars 2021 en anglais sur le blog Mutuality de CBE International (www.cbeinternational.org) que nous remercions chaleureusement pour la permission de le traduire et republier.
Références
[1] Florence Tim Oi Li and Ted Harrison, Much Beloved Daughter (London: Darton, Longman & Todd Ltd., 1985), p. 63.
[2] Ibid., p. 98.
[3] Ibid., p. 103.
[4] Ibid., p. 112.
[5] Ibid., p. 109.
Note de l’éditeur de la version anglaise : cet article est le cinquième de notre série 2021 sur le « Mois de l’histoire des Noirs » et le « Mois de l’histoire des femmes ». Pendant les mois de février et mars 2021, le Blog Mutuality a publié des articles sur les femmes noires et les femmes de couleur à travers l’histoire chrétienne, afin de raconter et de redire les histoires de nos ancêtres de la foi qui sont souvent négligées ou mal représentées par les livres d’histoire. Nous espérons que cette série d’articles vous donnera envie de continuer à en apprendre davantage sur les femmes égalitariennes qui ont lutté pour l’égalité ordonnée par Dieu et sur les façons dont nous pouvons poursuivre l’œuvre qu’elles ont commencée.
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