Témoignages

Françoise Gadreau-Caron, la famille chevillée au cœur 

« La famille chevillée au cœur », écrit par Françoise Gadreau-Caron, sort le 28 avril prochain ; un livre retraçant sa vie passionnante. De famille d’accueil pour plus de 80 enfants à présidente de la fédération nationale des Associations Familiales protestantes, elle raconte son parcours de vie. Ce livre nous offre l’occasion de vous faire découvrir ou redécouvrir ce beau témoignage.

Servir Ensemble : Françoise Gadreau-Caron, qui es-tu ?

Je suis tout d’abord une femme, devenue épouse puis mère, et qui dans cette évolution a découvert une relation avec un Dieu Père. Cette évolution autant spirituelle qu’humaine a eu un impact considérable sur ce que je suis. Aujourd’hui je cherche à vivre en cohérence avec tout ce que je suis, consciente d’être tout à la fois. Consciente que toutes ces facettes se mélangent en moi pour faire de mon être une réalité complexe. Je suis devenue très attentive à ce que toutes ces facettes, être humain, femme, épouse, mère, chrétienne engagée, s’animent en permanence. Cependant, force est de constater que parfois l’un ou l’autre de mes attributs est nécessairement prépondérant selon les circonstances.

J’ai quatre enfants et huit petits-enfants et nous avons été famille d’accueil. Cette dernière particularité a fait de nous une famille recomposée en permanence. J’ai appris la nécessité de veiller à ne pas laisser l’un des aspects de ma personnalité se faire engloutir au profit d’une autre.

L’équilibre est difficile à trouver et j’insiste là-dessus. Je l’ai compris avec des larmes parce que tout déséquilibre engendre des dégâts importants. Je n’ai pas voulu perdre en route une partie de ce que je suis, ma féminité, ma relation avec mes enfants, avec mon mari ou mon ministère.

Plusieurs fois, j’ai été tentée de faire un choix, de mettre en avant une dimension au détriment des autres, en pensant que ce serait plus facile. Mais au fond de moi, je savais que j’allais me perdre. Cette recherche constante d’équilibre m’a aidée à accepter l’idée selon laquelle ma vie était comme un kaléidoscope qui perd sa vocation s’il renonce à l’une de ses couleurs.

S’il y a des choix à faire dans la vie, ce ne peut être aux dépens de qui on est, de l’une des missions qui s’attachent à ce à quoi nous sommes destinés. Cela aboutirait à un effondrement de la personnalité. J’ai donc appris à refréner mes élans, mes passions, à mesurer les priorités et organiser les choses pour veiller à l’équilibre.

J’ai accepté de moduler certains de mes engagements pour ne jamais abandonner.

Beaucoup trop de femmes renoncent à l’une de ces dimensions, ce qui aboutit immanquablement à la frustration, au sentiment de ne pas être comprises. Suite à ce long et douloureux travail de réflexion qui m’a appris à réguler ma vitesse, je ne vis aucune frustration.

SE : Existe-t-il un lien entre ta vie, ton être de femme et ta mission, ton ministère ?

Mon ministère découle directement de ma définition de moi-même, de comment je vis ma vie. La famille a toujours été un point de récurrence dans mon parcours. En prenant soin de ma famille, la question de savoir comment je peux être une source de bénédiction pour les autres familles, s’est inévitablement imposée à moi. Elle a tout d’abord trouvé un lieu d’accomplissement aux côtés de mon mari pasteur. Puis les choses ont évolué et en prenant conscience de la richesse de notre complémentarité, j’ai voulu faire valoir toutes ces facettes au-delà de l’Église, dans la ville, le département et puis la France.

Je suis engagée dans les Associations familiales Protestantes depuis 2002 et présidente depuis 2013. Il y a un lien étroit entre ce que je fais, ce que je vis à l’intérieur de ma famille et ce que je fais, ce que je vis à l’extérieur. Mon action est identique ! Je promeus un regard autre sur la famille. La société la voit comme un lieu d’enfermement, de dysfonctionnement ; moi je la vois comme une cellule vivante, ayant besoin de soins parfois, mais toujours source d’une grande bénédiction à cause de sa richesse.

SE : Ton handicap change-t-il quelque chose à ta façon de vivre le ministère ?

Tu as remarqué que je n’en ai pas parlé à ta première question. Mon handicap ne me définit pas. Je ne suis pas handicapée, mais j’ai un handicap. Je le vis comme une écharde dans mes pieds, ou dans mes mains et je choisis de parler des extrémités à dessein, et non pas de la chair comme l’a fait l’apôtre Paul. Grâce à lui, j’ai pris conscience de mes limites, ce qui m’a permis d’apprendre à m’entourer des bonnes personnes, à vivre la réalité du ‘cheminer ensemble’. J’ai toujours refusé de chercher un guide, ou un accompagnateur qui me faciliterait le quotidien. Je cherche des compagnons d’œuvre à qui je peux dire : « Tu me prêtes tes yeux, je t’ouvre mon cœur. »

Dès l’instant où l’on est dans le ministère, le cheminement solitaire devient humiliant et desséchant. Je parle d’humiliation parce que la dignité humaine passe par le regard de soi sur l’autre et le regard de l’autre sur soi. En tant que malvoyante profonde, j’ai appris à ouvrir les yeux de mon cœur au maximum pour compenser un outil défaillant. La conscience qu’on ne peut tout faire tout seul, que le cheminement solitaire exclut, est nécessaire pour arriver au vrai bonheur et il passe par le binôme, par l’équipe, que ce soit en famille ou dans l’Église.

La société veut nous faire croire que l’individu peut vivre seul en se suffisant à lui-même, ce qui a un impact indéniable sur nous, et ce jusque dans les questions éthiques. La tentation de faire seul ou avec le même, amène à une grave confusion qui va à l’encontre du plan de Dieu pour nous. Le handicap est pour moi un aiguillon constant qui me rappelle que j’ai besoin de l’autre et que l’autre a besoin de moi.

SE : Comment vois-tu la place et le rôle des femmes dans l’Église aujourd’hui ?

Pour moi, la place des femmes est naturelle, mais surtout… libre et trop souvent encore inoccupée ! Les femmes ont été trop longtemps stigmatisées et enfermées dans un seul de leurs statuts, considérées uniquement au prisme de leur conjugalité ou de leur maternité. Il faudrait voir d’abord la personne comme un être humain, avant de la considérer comme une femme ! Et puis ne pas la considérer forcément comme uniquement une épouse, non plus. Le mariage est une possibilité parmi d’autres. L’apôtre Paul exalte le célibat pour les hommes, mais la liberté que Dieu offre est la même pour les hommes et les femmes.

Les femmes dans l’Église aujourd’hui doivent prendre les places qui leur semblent relever de leurs missions, à elles ! On a donné trop d’attention au regard masculin à ce sujet et pas assez appuyé sur la vision que les femmes ont d’elles-mêmes au regard de ce que Dieu attend d’elles. Dans le monde professionnel, les femmes savent prendre leur place et parler pour leur défense ; il s’agit aussi d’être soi-même dans l’Église, de s’y sentir libre dans le respect de l’autre, qu’il soit homme ou qu’elle soit femme.

Pour vivre une réelle complémentarité dans l’Église, nous devons apprendre à ne pas « effrayer » les hommes, en reconnaissant leurs différences et en proposant un soutien dans la complétude parce qu’on est plus fort ensemble.

La place des femmes dans l’Église est différente pour moi parce que, c’est une évidence, les femmes ne sont pas des hommes et Dieu l’a voulu ainsi ! Cependant elles peuvent s’exprimer et faire valoir leurs talents et leurs dons dans de nombreux domaines sans qu’aucun d’entre eux ne soit réservé exclusivement aux hommes.

Dieu a fait l’humain ‘homme et femme’, il les a créés côte à côte, « aide mutuelle » et a qualifié son choix de très bon. Cela ne peut pas tout à coup être devenu mauvais lorsqu’ils œuvrent ensemble au sein de l’Église.

À propos Lula Derœux

Lula Derœux partage son temps entre animatrice biblique et pasteure stagiaire dans une église de la FEEBF. Elle est également en train de finir sa licence de théologie. Mariée avec un pasteur, cette native suisse a comme passion la musique, tout particulièrement le chant, le septième art et la cuisine.

2 comments on “Françoise Gadreau-Caron, la famille chevillée au cœur 

  1. Lamure marie

    merci beaucoup, c’est très clair …

  2. Marc Burnod

    Merci pour cet article, particulièrement stimulant, et qui fait exactement écho à une réflexion qui mûrit en moi depuis plusieurs années !
    Oui, j’adhère avec enthousiasme à cette vision tellement juste d’une véritable “complétude” homme-femme, à redécouvrir et à promouvoir sans retenue dans l’Eglise de notre temps, qui en a tellement besoin !
    J’étais récemment un peu surpris de la vision plutôt négative, parfois partagée ici, d’une complémentarité qui s’inscrirait dans une vision de dépendance de la femme à l’égard de l’homme. Pour ma part, ce n’est jamais ainsi que je considère la complémentarité entre enfants de Dieu, et quelle que soit leur identité sexuée, mais uniquement dans une perspective de ce “cheminer ensemble” évoqué par Françoise Gadreau-Caron avec tellement d’humanité et d’humilité. “Serviteurs les uns des autres”, “nous soumettre volontairement les uns aux autres”, “chercher d’abord ce qui est bon pour l’autre”, sont des marqueurs tellement clairs du Règne de notre Père aimant dans notre vie renouvelée, signes si pleinement vécus par Jésus notre Maître dans son humanité. Et c’est d’ailleurs la recommandation qu’il a souvent rappelée : “aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés” !
    Je suis très touché aussi par ces rappels salutaires à la préservation, personnelle tout autant que communautaire, des équilibres à instaurer et à affiner sans cesse dans notre vie de disciples et de témoins engagés. Le rappel du risque d’être tenté par l’autosuffisance me semble également essentiel, car nous faisons partie d’un Corps où chacun(e) a besoin des autres et de leurs propres ressources, dons, charismes et services. Toute velléité d’indépendance (un des facteurs essentiels de la rupture du Lien en Eden…) est incompatible avec la santé du Corps, où chaque membre, femme autant qu’homme, et quel que soit son statut social, est appelé à être pleinement “compagnon d’oeuvre”, participant actif à la vie de sa communauté, pour le bien de chacun(e) autant que de tous et toutes. En fait, on retrouve là cette définition de Françoise Gadreau-Caron en ce qui concerne la famille, l’Eglise étant effectivement souvent comparée à la “famille du Seigneur” !
    Pour ma part, je suis convaincu que les femmes ont un rôle absolument fondamental à jouer, justement à partir de cette période de crise si particulière. J’ose le dire, après y avoir très longuement réfléchi dans la prière et à l’écoute de la Parole : à mon avis, “Servir le Seigneur”, pour l’ensemble des chrétiennes, cela va en fait bien au-delà de l’accession à un service pastoral ou à la prise de responsabilités hiérarchiques dans l’Eglise – même s’il faut peut-être en passer par là temporairement, ce système ayant été produit depuis bien longtemps par des hommes, malgré les avertissements de Jésus et des apôtres au sujet de ce type de relations dans l’Eglise…. Le défi des femmes chrétiennes, c’est surtout de participer activement à la “re-féminisation” du monde, en y exprimant simplement (!) sous la conduite de l’Esprit du Seigneur, leurs richesses spécifiques, qui font tellement défaut à notre société contemporaine : sensibilité particulière pour des “relations d’horizontalité positive” chaleureuses, respectueuses, égalitaires, bienveillantes, ainsi que l’attention à autrui, la préoccupation du besoin de soin de l’autre, la recherche de proximité aimante… Toutes choses qui peuvent avantageusement corriger ces caractéristiques habituelles (qui dominent notre monde) plutôt masculines, de “verticalité” des relations, de performance, de compétition, de succès matériel, de réussite quantitative, toutes marquées par le type de relation “dominant/dominé”, “supérieur/inférieur”, avec tous les abus que les relations de cet ordre produisent dans toutes sortes de domaines… et jusque dans l’Eglise !
    Oui, “vivre une telle complémentarité dans l’Eglise”, comme le propose notre soeur Françoise, suppose sans aucun doute que les femmes soient fièrement “différentes”, et “occupent” maintenant sans complexe – et sans agressivité ! – les espaces laissés “libres” et vacants, dans l’expression spontanée et courageuse des spécificités tellement positives que le Créateur a placé en elles ! Et cela ira certainement bien au-delà de qu’on peut imaginer actuellement, limités que nous sommes par le contexte de nos “formatages ecclésiaux” traditionnels, tellement éloignés, dans beaucoup de domaines, des projets initiaux de notre Dieu, qui avaient pourtant commencé à se concrétiser aux débuts de l’Eglise, pendant quelques décennies… et avant que diverses dérives et retours en arrière se soient produits. Mais un puissant Réveil est à notre porte, avec l’achèvement de ce que la Réforme n’a pas pu restaurer en son temps ! A nous tous (et à vous particulièrement, mes chères soeurs) de nous y engager ensemble à l’écoute de l’Esprit de notre Dieu !

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