Textes bibliques

Hommes et femmes de l’Ancien Testament : quelles relations ?

La Bible enseigne-t-elle la domination masculine ? Y a-t-il dans la Bible, une tension entre l’égalité des genres et l’inégalité des rôles ? Dans la première partie de son article, Philip Payne répond à ces questions essentielles en parlant de la relation des hommes et femmes dans l’Ancien Testament.

Dans la Bible l’homme et la femme ont le même statut

La Bible a-t-elle une double lecture des genres ? Bien des auteurs évangéliques reconnus croient voir dans la Bible, une tension entre l’affirmation de l’égalité des genres et la distribution des rôles entre l’homme et la femme.

  • Peut-on dégager une position biblique raisonnable sans faire violence au texte ?
  • Doit-on sacrifier une bonne exégèse sur l’autel de la théologie systématique ?

A l’évidence, une bonne exégèse va de pair avec une théologie systématique. Pendant 41 ans, je me suis débattu, dans la prière, avec les apparentes contradictions relatives aux genres, et je peux dire que les textes bibliques eux-mêmes m’ont amené à les comprendre différemment. Dès la création, et jusqu’à la nouvelle création, le message biblique sur les genres, dans l’église et dans le couple ne varie pas : il affirme le statut égal de l’homme et de la femme.

Les femmes dans l’Ancien Testament

La création

L’humanité, telle que nous la présente la Genèse au moment de sa création, souligne l’égalité des genres plutôt qu’une domination masculine (1).

La Bible enseigne que l’homme et la femme sont créés à l’image de Dieu et qu’ensemble, ils dominent sur la terre (Gn 1 : 26-27). Leur égalité ne se limite pas à leur position devant Dieu, mais s’applique à leur domination sur la terre. Dieu bénit l’homme et la femme et à tous deux, leur commande au v. 28, « Soyez féconds, devenez nombreux, remplissez la terre et soumettez-la ! Dominez… sur tout animal qui se déplace sur la terre.» 

Le récit de la création atteint son apogée avec la création de la femme, répondant au besoin qu’a l’homme d’une partenaire qui lui corresponde (Gn 2 : 18, 20). Le texte décrit la création de la femme en la désignant l’ezer kenegedô de l’homme, littéralement, « une force qui lui corresponde. »

Malheureusement, le mot « ezer » ici est souvent traduit par « aide », ce qui implique l’idée de subordonné ou de serviteur. Cependant, jamais dans la Bible, le mot «ezer» ne suggère un tel sens, mais décrit, presque toujours, Dieu comme le secours, la force ou la puissance de son peuple (2).

  • Le mot « ezer » a les mêmes sens dans tous les dictionnaires d’hébreu biblique faisant autorité : « aide, assistance, puissance et force », jamais aide dans le sens de « serviteur » (3).
  • A trois reprises, « ezer » décrit une protection militaire (4)

Rien dans le contexte de ces passages ne permet de conclure que « ezer », qu’il soit Dieu ou femme, n’est subordonné à l’homme (5).

Le second mot, kenegedô se décompose ainsi : ke (comme) + neged (en face de) + ô (lui), signifiant ainsi « comme en face de lui ». Nâgîd, nom dérivé de neged, désigne la personne en face et signifie « celui chargé (par Yahweh) de diriger » (6). Par conséquent, comme ezer, kenegedô  fait davantage référence à un supérieur ou à un égal qu’à un subordonné. Rien dans l’expression « ezer kenegedô » de Gn 2 ne suggère que Dieu a créé la femme pour être une subordonnée au service de l’homme.

Au contraire, Genèse 2 souligne la force d’une partenaire égale à l’homme, le sauvant de sa solitude. Elle est sa contrepartie : une compagne et une amie qui le complète dans l’exercice de domination sur la terre. Elle l’accomplit et ainsi tous deux peuvent être féconds et prendre soin de la terre.  

De même, rien dans le récit de la création n’accorde à l’homme une quelconque supériorité de statut ou une autorité sur la femme (7), mais au contraire, du début à la fin, le récit met l’accent sur leur égalité :

  • Dieu forme la femme à partir de la côte de l’homme, et l’homme reconnaît, «Voici, cette fois celle qui est faite des mêmes os et de la même chair que moi » (Gn 2.23), parce qu’ils partagent la même nature (Gn 2 : 21-23).
  • Les « Père et mère » ne s’inscrivent dans aucune hiérarchie (Gn 2 : 24). Dans le mariage, ils sont « un » et « une chair » (Gn 2 : 24).
  • Tous deux sont nus et n’en ont point honte ; ils partagent la même innocence morale (Gn 2 : 25).
  • Ils sont tentés ensemble, et ensemble ils enfreignent le commandement de Dieu (Gn 3 : 6).
  • Ils réalisent alors ensemble qu’ils sont nus et se confectionnent un vêtement (Gn 3 : 7).
  • Tous deux se cachent de Dieu (Gn 3 : 8), montrant ainsi qu’ils ont honte d’avoir désobéi à Dieu.
  • Tous deux tendent de se dédouaner (Gn 3 : 12-13).
  • Dieu s’adresse aux deux directement, et il annonce précisément à chacun les conséquences de ses actes.

Ainsi, l’égalité des genres parcourt tout le récit de Genèse 2 – 3, sans la moindre allusion à un  « ordre de la création » (8) qui légitimerait une autorité de l’homme sur la femme.  La hiérarchie masculine sur les femmes n’est pas dans le dessein originel de Dieu.

La chute

La  domination de l’homme apparaît pour la première fois en Genèse 3 : 16. Cette domination est la conséquence directe de la chute : « Il dominera sur toi. » Même d’éminents défenseurs de la hiérarchie masculine admettent qu’« elle ne devrait pas être. » (9) Comme toutes les autres conséquences de la chute, cette hiérarchie est un changement négatif.

Pour le rendre compatible avec la théorie de l’homme-chef dans l’ordre de la création, les tenants de cette hiérarchie disent que Genèse 3 : 16 introduit une domination autoritariste, mais pas une domination de l’homme sur la femme en général. (10) Le texte ne dit cependant pas que seule une domination autoritariste de l’homme est une conséquence de la chute ; il dit que la domination masculine elle-même est une conséquence de la chute.

Genèse 3 : 16 utilise le plus commun des mots pour exprimer cette domination, et pas un mot qui évoquerait naturellement une domination négative. Le mot désigne même la domination de Dieu, ce qui n’est certainement pas une mauvaise domination ! Les deux meilleurs dictionnaires d’hébreu biblique analysent chaque occurrence de ce mot dans l’Ancien Testament et on ne trouve aucun sens négatif de ce mot. (11) Ce mot n’implique pas une mauvaise domination, mais désigne la simple « domination ».   

Puisque la domination de l’homme sur la femme est en elle-même une conséquence de la chute, l’homme ne devait pas dominer la femme avant la chute. Il s’ensuit que, pratiquement, la domination de l’homme sur la femme, même dans les meilleures circonstances, fait que les femmes sont privées de l’autorité conjointe que Dieu leur avait donnée en partage lors de la création.

De plus, en raison de leur nature déchue, beaucoup d’hommes usent de leur position pour exercer un véritable pouvoir sur les femmes. Christ, la postérité de la femme qui, selon la promesse de Dieu, écraserait la tête du serpent (Gn 3 : 15), a vaincu la chute. Dès lors, nous devrions résister aux conséquences tragiques que la chute a introduites, y compris la domination de l’homme sur la femme, non les encourager.

Les femmes dans le reste de l’Ancien Testament

Les femmes investies d’une autorité religieuse ou politique

L’Ancien Testament loue bien des femmes exerçant une autorité sur les hommes, y compris des épouses et des mères. Il décrit des femmes exerçant une autorité avec la bénédiction de Dieu sans qu’une allusion à leur genre les disqualifie.

  • Dieu envoie la prophétesse Miriam « devant » Israël (Mi 6 : 4 ; cf. Ex 15 : 20-21).
  • Déborah est l’un des Juges que « l’Éternel fit surgir » « afin qu’ils les délivrent de ceux qui les dépouillaient » (Jg 2 : 16, 18 ; 4 : 10, 24 ; 5 : 1-31), prophétesse exerçant les fonctions suprêmes sur tout Israël (Jg 4 : 4-5). Épouse et mère (Juges 5 : 7), elle avait la légitimité de commander Barak, chef militaire : « lève-toi ! » (Juges 4 : 6, 14), et il s’est levé. Ils ont travaillé ensemble, sans problème, partageant une même autorité : lui en tant que chef militaire, elle comme chef suprême.
  • La reine Esther a eu suffisamment d’influence pour faire renverser la maison d’Haman et 75000 ennemis des Juifs (Est 7 : 1-10 ; 9 : 1-32). Elle et Mardochée « écrivirent une seconde fois, avec toute 13 l’autorité qui était la leur… Ainsi l’ordre d’Esther confirma ces instructions » (Es 9 : 29-32).
  • La Bible met en lumière la reine de Séba (1 R 10 : 1-13. 2 Ch 9 : 1-12) et la reine de Chaldée (Dn 5 : 5-12).

En hébreu, « reine » se dit « roi », mot auquel on ajoute une terminaison féminine. Dans la Bible, seules trois personnes sont gratifiées de ce titre dérivé de la racine « roi », et sans faire l’objet d’aucune critique : ce sont ces trois femmes : Esther, et les reines de Séba et Chaldée.

Les listes des rois de Judah mentionnent toujours ou appellent par leur nom les reines-mères (cf. Jér 13.18 ; 29.2 ; 2 R. 24.15). Dans ces listes figurent :

  • Bath-Shéba, élevée à la dignité royale (1 R 2 : 17-19),
  • Maaca (1 R 15 : 2, 10, 13),
  • Nehushtha (2 R 24 : 8). 
  • Les prêtres allèrent consulter Hulda lorsqu’ils retrouvèrent le livre de la loi et ils se soumirent à sa direction spirituelle. Les chefs d’Israël, y compris le roi, les anciens, les prophètes et le peuple tinrent sa parole pour divinement inspirée (2 R 22 : 14-23.3 ; 2 Ch 34 : 22-32). L’obéissance des dirigeants masculins d’Israël à la parole de Dieu délivrée par une femme suscita ce qui est probablement le plus grand réveil dans l’histoire d’Israël (2 R 22 : 14-23.25 ; 2 Ch 34 : 29-35.19). 

Aucun texte de l’Ancien Testament ne dit que Dieu a permis à des femmes d’exercer une telle autorité politique ou religieuse sur les hommes en raison de circonstances particulières, et il n’est pas davantage dit que ces cas étaient des exceptions qui confirmaient la règle scripturaire.

Bien que deux reines d’Israël, Athalie (2 R 11 : 1-3 ; 2 Ch 22 : 10-12) et Jézabel (1 R 18 : 4) aient été monstrueuses, la plupart des rois d’Israël le furent aussi. L’Écriture ne les juge pas, elles, ou toute autre femme chef en Israël au prétexte que leur autorité sur les hommes était contraire au rôle dévolu à une femme. Au contraire, l’Ancien Testament ne trouve rien à redire aux femmes investies d’une autorité religieuse et politique.  

La prêtrise

La seule fonction notable au plan social ou religieux que les femmes n’exercent pas dans l’Ancien Testament est celle de prêtre. La raison évidente de cette absence est que dans certains cultes païens, les prêtresses étaient aussi des prostituées, et elles participaient à des rites sexuels occultes, ce que Deutéronome 23 : 18 interdit. Dieu n’a eu de cesse de mettre en garde son peuple contre tout ce qui pourrait donner à penser qu’il adopte les pratiques immorales des nations environnantes, (12) et le fait d’avoir des femmes prêtres aurait donné cette impression.

Cela dit, dans l’Ancien Testament, l’idéal du peuple d’Israël était d’être « un royaume de prêtres et une nation sainte » (Ex 19 : 6). Ésaïe 61 : 6 prédit un avenir où tout le peuple de Dieu sera appelé « prêtres de l’Éternel », on vous dira : « serviteurs de notre Dieu ». Dieu établit la prêtrise de tout son peuple dans l’Église du Nouveau Testament (1 Pi 2 : 9). 

La prophétie

Les prophètes de l’Ancien Testament ont révélé que Dieu réservait aux femmes un rôle prophétique plus important. Moïse écrit, « Si seulement tout le peuple de l’Éternel était composé de prophètes ! Si seulement l’Éternel mettait son Esprit sur eux ! » (Nb 11 : 29). Joël annonce le désir de Dieu : « Je déverserai mon Esprit sur tout être humain ; vos fils et vos filles prophétiseront,… Même sur les serviteurs et sur les servantes, dans ces jours-là, je déverserai mon Esprit. » (Jl 3 : 1-2), promesse qui s’est réalisée à la Pentecôte (Ac 2.14-21). 

Dieu a même utilisé des femmes pour tenir le plus important des rôles prophétiques : leurs paroles sont  des passages-clé de l’Écriture inspirée. Notons :

  • les cantiques de Miriam (Ex 15 : 21),
  • les cantiques de Deborah (Jg 5 : 2-31)  
  • la prière d’Anne (I S 2 : 1-10).

Dieu a continué à parler par les femmes dans le Nouveau Testament, dans le cantique d’Élisabeth (Lc 1 : 25, 42-45) et le Magnificat de Marie, qui est la première proclamation chrétienne de l’Écriture (Lc 1 : 46-55).

En ce qui concerne l’Ancien Testament, on est loin de l’exclusion des femmes de toute fonction de leadership sur les hommes. Dieu a établi des femmes comme leaders dans les sphères séculière et sacrée.

L’auteur de ce texte, Philip B. Payne est l’auteur de Man and Woman, One in Christ, Zondervan, 2009.


Références

1. Philip B. Payne, Man and Woman, One in Christ, (Grand Rapids : Zondervan, 2009), p. 41-54, montre la fragilité des efforts à voir une autorité masculine en Genèse 1-3.

2. Seize fois : Ex. 18:4 ; Dt 33:7, 26, 29 ; Ps 20 :3 (ou 2 selon versions) ; 33 :20 ; 70 :6 (ou 5 selon versions) ; 89 :20 (ou 19) ; 115 :9, 10, 11 ; 121 :1,2 ; 124 :8 ; 146 :5 ; Os. 13 :9. Pour plus de détails sur l’arrière-plan de cette expression, voir Aïda B. Spencer, Beyond the Curse : Women Called to Ministry (Grand Rapids : Baker, 1985), p.23-29.

3. Ludwig Koehler, Walter Baumgartner, et Johann Jakob Stamm, Hebrew and Aramaic Lexicon of the Old Testament (HALOT) 5 vol. (Leiden : Brill, 1994-2000), 2 (1995): 811-12.

4. Es. 30:5; Ez. 12:14; Dan, 11:34. Spencer, Beyond the Curse, 23-29, donne plus de details.

5. Contra Raymond C. Ortland Jr., “Male-Female Equality and Male Headship : Genesis 1-3”, dans Recovering Biblical Manhood and Womanhood (Wheaton: Crossway, 1991), 95-112, 104.

6. Ou “chef, leader, prince… officier… gouverneur d’une ville…fonctionnaire de la cour… chef de famille… personne éminente… ministre du culte… le grand-prêtre… le prophète… le responsable… le chef d’Israël, désigné par Yahveh » selon HALOT 2 :667-68. Il est employé pour désigner les règnes de David et de Salomon sur Israël dans 1 Sam. 9 :16 ; 13 :14, et 1 Rois 1 :35.

7. Payne, Man and Woman, p.41-54, dénonce la suppose autorité masculine dans la creation.

8. Rien dans la Genèse ne laisse supposer « un ordre hiérarchique dans la création », laissant entendre l’autorité de l’homme sur la femme. Dieu donna à l’humanité de dominer sur la nature nouvellement créée et sur les animaux. Dieu donnant le leadership au fils né après le premier-né est un thème récurrent contraire à l’usage de la primogéniture dans le Proche-Orient ancien : Isaac avant Ismaël, Jacob avant Esaü, Joseph avant ses frères aînés, Moïse avant Aaron, David avant ses frères aînés, et ainsi de suite. Lorsque Paul écrit que la femme vient de l’homme (1 Cor. 11 :8, 12 et implicitement 1Tim 2 :13), il le fait pour souligner le respect que l’on doit à sa source, qu’elle soit femme ou homme (1Cor 11 :3, 12) ; cf. Payne, Man and Woman, 113-39, 402-50.

9. John Piper et Wayne Grudem, « Charity, Clarity, and Hope : The Controversy and the Cause of Christ », in Biblical Manhood, 403-22, 409.

10. George W. Knight III affirme que c’est une “’règle’ dans un système autocratique et sans affect » ( « The Family and the Church : Comment la virilité et la f éminité devraient s’exprimer dans la pratique ? » in Biblical Manhood, 345-57, 346) ; Piper et Grudem pensent qu’il s’agit d’une « domination déchue » et non « une autorité ordonnée par Dieu » (« Charity », 409), et Wayne Grudem, Evangelical Feminism and Biblical Truth (Sisters : Multnomah, 2004), 123 n. 45, 40, 43, « cette sorte de règle implacable qu’on devine en Genèse 3 :16. » Grudem devrait savoir qu’affirmer que cette « règle » est « implacable » est douteux sans appui lexical, car deux pages auparavant (38 n. 27), il admet s’être trompé, lorsqu’il a soutenu, sans appui lexical, qu’un autre mot dans le même verset, signifiait un « désir hostile ou agressif ».

11. HALOT 2 :647-48 et Francis Brown, S.R. Driver, et Charles A. Briggs, A Hebrew and English Lexicon of the Old Testament ; (Oxford : Clarendon, 1906), 605.

12. E.g., Lev 18:3. 20:23; Ps 106:35.

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