Spiritualité

La femme des Proverbes, puissante et sexy

La femme décrite dans Proverbes 31 nourrit les fantasmes de nombreux hommes chrétiens et le sentiment d’insuffisance de nombreuses femmes chrétiennes. J’ai déjà vu des hommes des étoiles plein les yeux lorsqu’ils l’évoquaient elle, la femme parfaite.

« Grâce aux textes inspirés par Dieu, nous avons une grille selon laquelle évaluer chaque femme pour (faire notre marché et) vérifier qu’elle corresponde bien aux critères voulus de Dieu. »

Pour que les attentes des hommes soient comblées, il est dit aux femmes :

« Vous mesdemoiselles, mesdames, évertuez-vous à devenir des femmes conformes à la description de Proverbes 31, c’est sur cette base que votre valeur sera jugée. »

L’interprétation de ce texte produit un coup de pression unilatéral. Comme le confirme Rachel Held Evans:

La femme des Proverbes « est la Marie des évangéliques : vénérée, idéalisée, élevée au rang de demi-déesse et dont on attend pourtant qu’elle se pointe dans la cuisine de tout homme à l’heure du souper. » (A Year of Biblical Womanhood, p.74)

La femme des Proverbes n’existe pas

Pourtant, contrairement à Marie, il est hautement probable que la femme décrite dans Proverbe 31 n’ait jamais existé. Elle est une figure de sagesse dans un texte qui l’oppose à une figure de destruction.

Rachel Held Evans (1981-2019) raconte dans son livre qu’elle a tout tenté pour s’en rapprocher. Comme le font une grande partie des femmes évangéliques, elle a décliné la description de Proverbes 31 en une liste de choses à accomplir pour lui ressembler, tout en ne manquant pas de l’actualiser pour aujourd’hui. Pendant un mois, elle a tenté de respecter quotidiennement les règles suivantes :

  • Faire du bien à son mari (v. 11, 12)
  • Éviter la télé, Facebook et Twitter (v. 27)
  • Se lever tous les jours avant le lever du soleil (v. 15)
  • Travailler jusqu’à 21 heures (v. 18)
  • Cuisiner tous les repas et garder la maison propre (v. 15)
  • Suivre les affaires courantes de la maison (v. 25)
  • Faire des exercices de musculation des bras (v. 17)
  • Pratiquer la prière contemplative (v. 30).

En plus de cette liste de tâches quotidiennes, de grands projets de travaux manuels (v.13, 19) l’ont occupée durant ce mois :

  • Coudre une robe écarlate (v. 22)
  • Tricoter une écharpe et/ou un bonnet écarlate pour son mari (v. 21)
  • Coudre des taies d’oreiller pour leur lit (v. 22)
  • Coudre une écharpe de reine de beauté et la vendre aux enchères sur Ebay (v. 20,24)
  • Cuisiner un poulet au curry (v. 14)
  • Louer son mari aux portes de la ville (v. 23)
  • Proposer son aide bénévole une fois par mois dans une clinique (v. 20).

Le récit de Rachel Held Evans et le dévouement qu’elle consacre à ressembler à la femme des Proverbes est drôle et satirique à la fois. Malgré tous ses efforts, elle a fini son mois dans un mauvais état d’esprit. Son mari Dan l’a même taquiné alors qu’elle râlait sur son incapacité : « râler à ce point n’est pas digne de la femme des Proverbes ! »

Rachel réalise qu’elle n’a rien en commun avec la femme des Proverbes :

  • La femme des Proverbes a des enfants, Rachel n’en a pas.
  • La femme des Proverbes est riche, Rachel roule dans une vieille voiture.
  • La femme des Proverbes aime travailler de ses mains, Rachel ne peut pas tricoter une rangée sans laisser tomber une maille.
  • Et le pire de tout – la femme des Proverbes est une matinale, et Rachel peine lourdement au réveil.

Alors que Rachel voulait tester une vie de « femme de valeur », elle dit s’être sentie coupable, inadaptée et pauvre en moins de 14 jours (p. 85). Comme la plupart des femmes qui souffrent d’un sentiment d’infériorité face à l’ampleur de la tâche d’être femme, elle conclut :

« Bien que Proverbes 31 représente un idéal poétique, je ne pouvais pas me défaire de l’idée que si cela était réellement l’accomplissement d’une épouse valeureuse (Seg21, NFC, NBS), vertueuse (Seg, NEG) et vaillante (Sem), cela signifiait que je n’étais rien de tout cela. » (p. 86)

Femme de valeur, femme qui a des valeurs

Mettre l’accent sur la « valeur » de la femme des Proverbes laisse sous-entendre, comme l’a illustré Rachel, que la valeur d’une femme se joue sur la ressemblance avec la description énoncée. Pourtant, le reste de la Bible est clair : la valeur d’une femme ne se juge pas à ses accomplissements, mais à sa qualité d’être créée par Dieu. Quoi qu’elle fasse ou ne fasse pas ne peut lui conférer davantage de valeur, ou lui en ôter. C’est au contraire cette conscience de sa valeur qui lui permet de mettre sa vaillance en œuvre.

La version du Semeur traduit Eshet Chayil en « femme vaillante » ce qui permet de lever toute ambiguïté. La vaillance de la femme reflète le vocabulaire militaire utilisé dans la description littérale de cette femme et son attitude au travail : elle pourvoit la « proie » pour sa famille (v. 15) ; son mari ne manque pas de « butin » (v. 11) ; elle « espionne » les affaires du foyer (v. 27) ; elle « ceinture ses reins » (v. 17) et elle a un « rire victorieux » face à l’avenir (v. 15). La femme des Proverbes ne joue pas sa valeur dans l’imitation d’une description idéalisée, elle manifeste des valeurs et de la puissance, de la vaillance dans le quotidien.

La gloire du quotidien

Dans le judaïsme, la description de l’« Eshet Chayil – la femme de valeur » n’est pas considérée comme étant une liste de lois à respecter point par point mais un écrit de sagesse. D’ailleurs le livre des Proverbes fait partie des livres de sagesse et non des livres de loi.

Ce texte a donné lieu à une pratique remarquable dans le judaïsme jusqu’à aujourd’hui: lors de chaque Sabbat le mari chante à sa femme qu’elle est une Eshet Chayil une femme vaillante. Il le fait indépendamment de ses accomplissements de la semaine. Alors que les femmes s’évertuent (sic) au quotidien dans de nombreuses tâches peu valorisantes, le mari reconnaît la valeur du travail du quotidien. Eshet Chayil est une reconnaissance de la valeur d’une femme qui s’accomplit au quotidien.

À l’heure des discussions sur la charge mentale, il est temps de considérer la description de la femme de Proverbes 31 pour ce qu’elle est, un chant en l’honneur d’une femme vaillante face à la multiplicité des tâches qui lui incombent, quelles qu’elles soient ; et non une liste destinée à mettre la plupart des femmes en échec.

  • Vos enfants sont couchés alors que vous êtes seule avec eux à la maison ? Eshet Chayil !
  • Vous avez bouclé un gros projet pour votre travail ou vos études ? Eshet Chayil !
  • Vous avez enfin rangé les décorations de Noël ? Eshet Chayil !
  • Vous avez obtenu une augmentation dans votre travail et contribuez à faire bouillir la marmite familiale ? Eshet Chayil !

Que retenir ?

Pour les femmes, la femme des Proverbes est un encouragement à saisir pour affronter le quotidien d’une vie de femme avec vaillance !

Pour les hommes, elle marque la nécessité d’encourager et de reconnaître la valeur souvent négligée des actes du quotidien qui ont été accomplis avec vaillance.


Librement inspiré et repris du livre de Rachel Held Evans (anglais)

Marie-Noëlle Yoder est directrice du département francophone du centre de formation du Bienenberg (BL, Suisse) où elle enseigne la théologie pratique et l'éthique. Elle est également pasteure dans une Église mennonite (BE, Suisse).

10 comments on “La femme des Proverbes, puissante et sexy

  1. Lula Derœux

    Merci pour cette article Rafraichissant ! Eshet Chayil Marie Noëlle!

  2. Vuilleumier Laurence

    Si j’ose un brin d’humour…. J’aime beaucoup le dernier paragraphe « pour les hommes »
    Bravo Marie-Noëlle, merci pour ce clin d’œil qui ravive le quotidien !

  3. Rédiger

    J’ai un ami qui a dit un jour : « en fait tu es la femme de Proverbe 32 » 😃. Celle d’une femme qui reste elle-même et en accord avec ce qu’elle a compris de Dieu au quotidien. Merci de venir faire réfléchir à une approche de Proverbe 31 différente et plus élevée, riche de valorisation et d’encouragement à l’égard de la gente féminine .

  4. Marie-Rose

    Bonsoir,
    J’ose rire aussi ! Quand je pense que nos amis juifs une fois par semaine (Eshet Chayil)
    louent le travail et la valeur des femmes, alors que nous c’est UNE fois par an !

    Le mépris continue : quand un métier se féminise, il se paupérise, salaire inférieur pour
    le même travail, la femme au foyer qui ne fait rien…etc, etc, et pour finir nos pasteures
    qui doivent en faire le double pour prouver qu’elles sont aptes !
    Il vaut mieux être un disciple inutile qu’une femme parfaite,
    car avec Dieu on ne sera jamais déçue, mais reconnue !

  5. Lebouc Philippe

    Bravo pour cet article, je le partage.
    Pasteur Philippe

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