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« Sister Soul – Aretha Franklin – sa voix, sa foi, ses combats » par Jean-Luc Gadreau.

« Sister Soul – Aretha Franklin – sa voix, sa foi, ses combats », la biographie inédite et intimiste d’Aretha Franklin, par le pasteur Jean-Luc Gadreau est disponible dès le 7 mai prochain, aux éditions Ampelos : belle lecture de printemps !

« Amazing Grace », le film de Sydney Pollack sur l’enregistrement mythique Gospel d’Aretha vendu à 2 millions d’exemplaires, un concert mémorable au sein de la New Temple Missionary Baptist Church de Los Angeles, sera présenté en salle du 06 au 10 juin sous forme événementielle avec CGR.

Tout cela tend à démontrer que « l’Église n’a jamais quitté la Reine de la Soul » comme l’affirme Jean-Luc Gadreau. Mais Sister Soul, le livre, explore aussi moult engagements de cette femme résiliente et volontaire, devenue une icône des combats en faveur de la justice, tant en faveur des droits des femmes que des noirs (et au-delà même encore) au son de son tube « Respect ». Il développe enfin le sens de la grâce qui ne l’a jamais quitté, cette certitude du soutien divin, stable comme le souffle et aussi profond qu’un gémissement.

« Une vraie vie, peut-on dire sans que cela soit une paresse d’expression. Le parcours d’Aretha manifeste toute l’humanité de l’humanité. La confiance, la chute, la persévérance, l’épuisement, l’élan, la fatigue, et aussi le talent, et aussi le génie. Son plus grand génie est peut-être d’avoir témoigné avec autant de limpide candeur, sans cacher les cahots du chemin… » écrit le journaliste Bertrand Dicale dans la préface du livre.

Nous vous proposons ici un extrait exclusif du livre « Sister Soul », la partie qui raconte précisément l’enregistrement de « Respect » :

couv Sister Soul

« Dans les studios d’enregistrement d’Atlantic à New York, Aretha et les musiciens de Muscle Shoals poursuivent ardemment leur travail. Aretha a une nouvelle chanson qu’elle avait interprétée plusieurs fois en concert. Il s’agit d’un titre écrit à l’origine par Otis Redding, « Respect ».

Cette chanson colle comme nulle autre à la voix et au charisme d’Aretha. Elle l’interprète avec tant de force… elle crie, hurle pratiquement, mais avec grâce et harmonie.

Elle chante « Respect » avec une puissance incomparable et une forme d’autorité qui transforme radicalement le sens même des paroles. Ce n’est clairement plus une demande de respect qu’un homme réclame à sa femme, mais bien plus que cela …

Plus qu’une simple reprise ou adaptation, la version sortie par la chanteuse américaine, âgée de 25 ans à l’époque, transforme ce titre en hymne féministe et politique.

Dans le morceau original en 1965, publié sur l’album Otis Blue, Redding donne sa voix à un homme clamant son besoin de respect de la part de sa femme. Sujet inspiré directement par son sentiment de perte d’autorité dans son foyer conjugal, lorsqu’il rentrait à la maison après ses nombreuses tournées. Un respect qui lui serait dû, puisqu’il apporte l’argent au foyer… C’est en tout cas ce que son batteur, Al Jackson, lui aurait dit pour motiver l’écriture de cette chanson. Mais Aretha Franklin, dans sa version enregistrée le jour de la Saint-Valentin 1967 à New York, bouscule ce schéma traditionnel en mettant ces mots dans la bouche d’une femme.

Quand Jerry Wexler, a fait écouter la version d’Aretha à Otis Redding, raconte-t-il « Otis a eu un large sourire et il a dit : « Cette fille m’a pris cette chanson. Ce n’est plus la mienne. À partir de maintenant, elle lui appartient. » Et puis il m’a demandé de la jouer à nouveau, puis, une troisième fois. Le sourire n’a jamais quitté son visage. »

Dans la version d’Aretha, la première chose que vous remarquez, c’est ce groove tellement spectaculaire, plein de syncopes, avec la section rythmique qui l’accompagne. Ce titre, Aretha l’avait testé plusieurs fois sur scène. Et c’est ainsi que cette figure rythmique s’est mise en place. Mais, la création des chœurs et surtout, la mutation du texte, s’est faite sur place en studio. Les chœurs étaient bien plus que de jolies fioritures. Ils ont donné à la chanson une saveur particulière, particulièrement sensuelle.

Si « Respect » sort comme un simple single, il devient vite une sorte d’hymne national qui définit un profond changement de mentalité dans la culture américaine à cet instant précis de son histoire. Les incantations d’Aretha rencontrent logiquement bien plus d’échos que les soucis domestiques d’Otis. Car, finalement, c’est le peuple qui s’approprie cette version qui arrivait comme il le fallait, au moment où il le fallait.

Jerry Wesler explique : « De toute évidence, Otis a écrit la chanson du point de vue d’un homme, mais quand Erma, Aretha et moi avons réfléchi, nous avons dû réorganiser la perspective. Nous y avons vu quelque chose de plus terrestre, une femme n’ayant aucun souci à dire ses besoins, et les exprimant avec conviction et pugnacité. Or, il s’est avéré que cela a été interprété de différentes façons, de l’aspect sexuel à la politique raciale. En ce qui me concerne, toutes ces interprétations sont correctes, car tout le monde a besoin de respect… à tous les niveaux ».

Pour Aretha, il en va de même dans les interviews qu’elle donne :

« Je pense que les femmes, les enfants et les personnes âgées sont les trois groupes les moins respectés de notre société. Mais de toute façon, nous avons tous besoin et voulons du respect, homme ou femme, noir ou blanc. C’est notre droit humain fondamental ».

On peut aussi naturellement suspecter Aretha de s’être approprié ce texte étant donné son contexte marital. La lutte permanente avec Ted était au cœur de sa reprise. S’il respectait sans doute son talent, il ne la respectait clairement pas en tant que femme, n’hésitant pas à user de violence de tous ordres avec elle, sans même se soucier de l’entourage.

« Respect » fait son entrée dans les charts pop le 29 avril 67, le lendemain de la perte du titre de champion du monde des poids lourds de Mohamed Ali. Empêtré dans une guerre longue et sanglante au Vietnam, avec une jeunesse qui ne lui fait plus confiance, l’Amérique a le blues… La révolution est dans l’air. Le blues d’Aretha reflète à la fois cela tout en étant d’un genre différent. Un blues pétri d’une attitude…

Dans la première partie des années soixante, Motown, qui faisait figure de représentation de la culture Afro-Américaine, reflétait des désirs assez peu militants. Le label, du moins dans ses premières configurations, portait un message tout en douceur. Mais Aretha était tout, sauf douce ! Sa voix portait la double affirmation d’une nouvelle classe de Noirs ne se contentant plus de laisser aller les choses telles qu’elles sont, mais aussi de jeunes Blancs dont le mécontentement vis-à-vis du statu quo était aussi extrêmement profond. Les graines de la révolution de la musique Soul avaient été plantées par des artistes tels que Ray Charles, Solomon Burke ou Sam & Dave. Mais cela ne s’est pleinement concrétisé qu’avec Aretha. « Respect » devient l’hymne de cette génération. En moins de deux mois, il atteint la première place des classements R&B et Pop, et traverse l’Atlantique en entrant, notamment, dans le top 10 en Angleterre. Cette chanson définira et changera à jamais la carrière d’Aretha. »

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Pour Jean-Luc Gadreau, si Aretha Franklin a marqué autant de générations, ce n’est pas uniquement grâce à ses octaves mais c’est aussi pour son témoignage de vie, de résistance, de résilience, d’ouverture au monde… et son combat en faveur, notamment, des femmes, des droits civiques et de la communauté afro-américaine. Mais sa version de « R.E.S.P.E.C.T. » va même au-delà. C’est un hymne émancipateur pour toutes les minorités, qu’elles soient noires, latinos ou homosexuelles.

Le parcours de foi de la chanteuse nous rappelle le sens biblique de la grâce. La grâce de Dieu ne nous est pas octroyée parce que nous sommes méritants, ce ne serait plus une grâce, ce serait un mérite. Elle ne nous est pas offerte parce que nous en sommes dignes, elle ne serait plus la grâce, elle serait la chose que Dieu nous doit. Elle s’étend à tous les hommes et les femmes, sans distinction. Elle est offerte à tous, malgré ou à cause de nos failles, de nos faiblesses, de nos imperfections. Elle est l’expression la plus forte de l’Amour divin et Aretha nous le rappelle constamment, tant pas son expérience personnelle que par son rapport aux personnes, quel qu’ils soient.

Mais, derrière cette notion de grâce, s’ajoute aussi celle d’un accueil. Car, si accueillir la grâce est offert à tous, la saisir, s’en emparer et la laisser produire le fruit en soi est un défi que tout le monde ne relève pas. Le parcours d’Aretha Franklin, si exceptionnel soit-il, peut faire penser à celui d’autres stars, notamment issues du Gospel, qui souvent ne surent se raccrocher à la foi et y puiser la force de traverser l’épreuve et continuer la route.

Aretha l’a fait… Malgré les moments difficiles par lesquels elle a pu passer, les décisions personnelles parfois même opposées à ses propres convictions chrétiennes, malgré des relations abusives, elle a su se raccrocher à Dieu et à l’Église, attraper à chaque fois la main tendue et maintenir le cap et devenir ainsi une forme de parabole contemporaine pour aujourd’hui !

Sister Soul – Aretha Franklin – Sa voix, sa foi, ses combats
Jean-Luc Gadreau / Préface de Bertrand Dicale
Éditions Ampelos – collection « Résister » – 168 pages – 12 €

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1 comments on “« Sister Soul – Aretha Franklin – sa voix, sa foi, ses combats » par Jean-Luc Gadreau.

  1. l’ artiste comme le prophète est inspiré, il voit les cieux ouverts.
    C’est une grâce de Dieu que de pouvoir transformer la souffrance en œuvre de beauté
    qui donne à l’artiste et à son public joie et consolation.
    Aretha F., femme de foi, avec son art, a combattu le bon combat.

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