Spiritualité Textes bibliques

Un cantique féministe ? (Luc 1)

Dix versets révolutionnaires. 
Le premier grand cantique du Nouveau Testament sort de la bouche d’une femme. 
L’Évangile de Luc. Chapitre premier. Versets 46 à 55. 
Un chant de Noël par excellence. 

Luc et les femmes

L’évangéliste Luc a cette préoccupation de montrer qu’en Christ, l’homme et la femme partagent le même destin : celui d’être disciple. A plusieurs reprises, il place un homme et une femme dans une situation similaire. 

Il ouvre son Évangile avec le cantique d’une femme, celui de Marie, et le cantique d’un homme, celui de Zacharie. 
Il y a l’ange Gabriel qui apparaît à Zacharie (Lc 1 : 11-20) et à Marie (Lc 1 : 28-38). 
Il y a Siméon et Anne (Lc 2 : 33-38). 
Il y a un repas chez Lévi, fraîchement appelé par Jésus à le suivre, où la présence des « pécheurs » dérangent les propres-justes (Lc 5 : 27-32). Il y a un repas chez un pharisien nommé Simon qui est dérangé par la présence d’une « femme qui avait péché » qui exprime publiquement son amour pour Jésus (Lc 7 : 36-50).

L’article de la semaine passée a examiné le silence de Zacharie. Aujourd’hui, nous allons nous pencher sur les paroles de Marie

Une ère nouvelle : partager le privilège

Avec la naissance du Sauveur (v. 47), quelque chose de complètement nouveau commence. Quelque chose qui était déjà en germe, mais dont le fondement n’avait pas encore été pleinement révélé. Quelque chose qui n’avait encore jamais été présent avec une telle ampleur et qui va toujours plus se développer jusqu’à ce que cette création soit entièrement renouvelée. 

« Il a montré son pouvoir en déployant sa force :
il a mis en déroute ceux qui ont le cœur orgueilleux,
il a renversé les puissants de leurs trônes
et il a élevé les humiliés / les humbles au premier rang. » (Lc 1 : 51-52)

Les puissants se retrouvent sans force, sans leur pouvoir habituel et les humiliés reçoivent les moyens d’exercer une autorité, d’être au premier rang. Le monde à l’envers. Mais dans le nouveau monde, celui que Dieu est en train de construire en nous associant à son œuvre, cela devient la « norme ». Le privilège des « grands » partagé avec ceux et celles que l’on néglige habituellement. L’exclamation « il a élevé les humiliés / les humbles au premier rang » (v. 52) est donc un message d’espoir, de libération, de vie pour tous ceux et toutes celles qui étaient en marge, oppressés ou oubliés

A l’époque, les femmes faisaient souvent partie des « humiliés » (v. 52 NFC) même si ce groupe était bien plus large. Aujourd’hui encore dans de nombreuses situations et des contextes très variés, elles en font partie. Le cantique de Marie est ce message d’espoir, de libération, de vie pour elles toutes.

C’est un cantique féministe, mais bien plus que cela encore : c’est un cantique qui chante la force de la douceur, un cantique à la grandeur et la fidélité de Dieu, un cantique qui chante la venue d’un nouveau commencement qui bouleversera pour toujours l’ordre établi.

Prêt.e à accueillir des changements radicaux

Souvent les choses changent lentement et au cours d’une longue période de temps. Mais vient un moment où il faut être prêt.e à accueillir des changements plus radicaux qui ne se manifestent pas avec fracas ou violence, mais avec une étonnante douceur.  

Dans le cantique de Marie sont cités des bribes de psaumes (103 : 17 ; 98 : 3) et un verset d’Esaïe (41 : 8) ; l’écho du cantique d’Anne (1 S 2 : 1-10) est aussi très audible.
Les thèmes de cet hymne étaient bien connus des contemporains des temps bibliques, mais ce n’est pas pour autant que les faibles, les humiliés / les humbles n’étaient plus opprimés, que les riches étaient toujours renvoyés les mains vides et les puissants renversés de leurs trônes partout dans le monde. Ces phénomènes pouvaient être observées ici et là, mais pas en tant que changement de paradigme irréversible. Pas en tant que changement qui commence avec une des plus grandes vulnérabilités qui soit : faire accueil à une nouvelle vie en soi

La naissance du Messie était un événement inouï, radicalement nouveau, qui va accélérer les changements et leur apporter un fondement nouveau
Dieu qui choisit de s’humilier comme personne avant lui et personne après lui ? Une jeune femme modeste, inconnue aux grands de ce monde, qui accepte de porter le Sauveur du monde ? 

Tout est désormais possible ! « Un Dieu qui a pu faire ce qu’il a fait en mon sein – que doit-il être capable de faire au sein de l’univers ? »[1]

Ce qui s’est passé dans le ventre d’une femme est une image de ce qui est censé se passer à l’échelle de l’univers : la force trouve sa source dans l’humilité. La force trouve sa source dans un « oui » à ce qui paraît impossible aux yeux des êtres humains. 

Humilité et estime de soi

Dieu a montré sa force, non pas en venant s’imposer, mais en venant s’incarner dans un bébé. Dieu a montré sa force en manifestant une humilité extrême, en se dépouillant. Oui, l’humilité de Dieu était une manifestation de sa force, il est réellement capable de renverser des trônes, même si cela commence dans une fragilité réelle. Dieu a ainsi montré l’exemple de ce qu’il attend de chaque disciple qu’il soit homme ou femme.  

Le cantique de Marie oppose « un cœur orgueilleux » et des « humiliés / humbles ». Quels que soit notre origine et notre sexe, nous ne sommes pas à l’abri d’un cœur orgueilleux. Et qui que nous soyons, nous pouvons nous laisser transformer par l’humilité étonnante de Dieu. A travers notre humilité, il renverse encore des trônes aujourd’hui. A travers notre humilité, nos privilèges peuvent être partagés avec tous et toutes au sein de l’Église et dans la société. N’est-ce pas cela le sens profond de Noël ? Un Noël qui ne finit pas avant que les paroles de ce cantique ne soient pleinement devenues réalité. 

L’humilité, une valeur couramment associée au féminin, est parfois comprise comme un effacement, une négation de soi. Mais quand nous considérons l’humilité de Dieu, nous constatons qu’elle est plutôt étroitement liée à une estime de soi bonne et saine[2]. Jésus s’est dépouillé, il a bel et bien renoncé à ses privilèges, mais cela n’a pas affecté un enracinement sain de son identité. Il savait qui il était en relation avec son Père. Jésus, le plus humble de tous, n’a jamais fait preuve de mépris à son propre égard. Plus notre identité sera ancrée en Christ, plus nous serons capables d’humilité.

A sa suite, nous pouvons renoncer à nos privilèges en toute liberté, sans peur de nous perdre, car en Lui nous avons déjà tout trouvé. 

Que l’humble soit relevé, le cœur orgueilleux abaissé. En nous, et autour de nous. Que ce soit notre prière en ce temps de l’Avent, pour nos Églises, en vue d’un partage équitable des privilèges.

« De tout mon être je dirai la grandeur du Seigneur, mon cœur déborde de joie à cause de Dieu, mon Sauveur ! » (v. 46b-47)


Références

[1] R. Kent Hughes, Luke, That You May Know the Truth, vol. 1, Preaching the Word, Crossway, Wheaton, 1998, p. 48.

[2] Cf. Christophe André, Imparfaits, libres et heureux. Pratique de l’estime de soi, Odile Jacob, Paris, 2009. 

À propos Lydia Lehmann

Lydia Lehmann, titulaire d'un master en théologie de la FLTE, est actuellement co-pasteure dans une Eglise de l’AEEBLF au sud de Bruxelles. Elle est l'autrice de "Côte à côte. Quand femmes et hommes avancent ensemble", responsable de ce blog et amoureuse de poésie qu'elle pratique quotidiennement. Vous pouvez également retrouver sa plume sur quelques épisodes du podcast "Au commencement" de l'Alliance biblique française.

11 comments on “Un cantique féministe ? (Luc 1)

  1. Caroline

    Bonjour Lydia (j’adore ce prénom !!), merci pour votre article.
    Vous parlez d’une « ère nouvelle : partager le privilège ». Puis de « renoncer à nos privilèges » mais finalement d’un « partage équitable des privilèges ». J’avoue que je suis un peu perdue.
    Qu’est-ce qu’un privilège pour vous ?
    Et en l’occurrence, de quel(s) privilège(s) parlez-vous ?

    • Lydia Lehmann

      Merci pour votre commentaire, Caroline.
      Partager les privilèges et y renoncer sont pour moi deux manières différentes d’exprimer une même réalité.
      Que les « grands » renoncent à leur privilège (leur position, leur avoir, …), partagent ce qu’il représente avec les « humbles /humiliés ».
      Pour davantage de développement sur le thème du privilège, je vous renvoie volontiers vers la vidéo de Marie-Noëlle 🙂 Yoder https://servirensemble.com/2020/11/18/surmonter-le-privilege-masculin/

  2. Louna C.

    merci !
    moi j’ai été boostee par ça : « 2 femmes deshonorees qui ont changé le monde ». Bon Noel tous ensemble !!
    https://evangile21.thegospelcoalition.org/article/deux-femmes-deshonorees-qui-ont-change-le-monde/

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