Témoignages

Ecrire un livre à deux voix, femme et homme

Lucile Anger et Michel Sommer ont relevé un défi intéressant. Elle, professeure de lettres classiques à la retraite ainsi que diacre de l’Église mennonite de Colmar-Ingersheim. Lui, enseignant au Centre de Formation du Bienenberg, aumônier pour ACCES à Mulhouse et ancien de l’Église mennonite d’Altkirch. Ensemble, ils ont écrit un livre à deux voix. Ils vous en disent plus :

Lucile et Michel : Nous avons eu la joie d’écrire récemment un livre à deux voix : « Lettre à toi qui deviens membre d’une Église (et à ceux qui t’accueillent) ». Sa particularité est son mode d’écriture : nous nous exprimons à tour de rôle, au fil des pages et des chapitres, parfois l’un en premier, l’autre en second, et inversement. Nos prénoms ou leur initiale apparaissent à chaque changement de voix, pour que le lecteur ou la lectrice sache qui s’exprime. 

Michel : Quand j’ai soumis l’idée de ce livre à Lucile, j’avais bien réfléchi. J’imaginais que ce serait possible avec elle de réaliser un tel projet. En effet, nous avions collaboré plusieurs années au travail de relecture d’un magazine. J’avais remarqué sa rigueur et sa précision de pensée et d’écriture ; j’avais constaté que nous nous comprenions rapidement quand il fallait s’expliquer ; je savais qu’il y avait une proximité et une compatibilité théologiques entre nous. Une confiance, mutuelle je crois, était là. J’avais envie d’une telle collaboration avec une femme.

Pourquoi ? Il me semble que, souvent – même s’il ne faut pas « essentialiser » les différences entre hommes et femmes -, l’apport d’une femme et l’apport d’un homme, dans un groupe, dans un projet, est particulier, en termes de sensibilité, d’accents, d’approches. Par ailleurs, je trouve qu’un livre écrit par une femme et un homme, ensemble, n’est pas si fréquent. Enfin, on peut espérer que cela permette aux lectrices et aux lecteurs une identification plus marquée.

J’étais heureux que Lucile accepte rapidement de participer à ce projet. 

Lucile : Lorsque Michel m’a parlé du projet d’écrire un livre sur ce que signifie être membre d’une Église, sous forme de dialogue entre un homme et une femme, cela m’a paru pertinent à plus d’un titre.

L’Église étant composée de membres hommes et femmes, il est logique qu’une réflexion sur ce sujet ne soit pas menée uniquement par l’un ou l’autre, mais par les deux.

De plus, l’écriture en dialogue permet non seulement d’être plus riche (parce qu’on se complète et se stimule, la réflexion de l’autre permettant d’aller plus loin) mais est en phase avec le sujet traité : dans une communauté, les personnes — les membres — collaborent, dialoguent, pour parvenir à un objectif commun. C’est un travail d’équipe.

Les deux aspects du projet — homme et femme au même titre et complémentarité — se retrouvent dans la répartition du travail d’écriture. Chacun a eu la même part d’initiative et de complément.

Michel : La collaboration a été facile, tout au long du processus. Nous nous sommes rencontrés en présence pour mettre en commun nos idées de contenu et établir une première trame. Dans l’établissement d’une table des matières, j’ai l’impression que chacun a fait des concessions d’une part, a accepté des idées de l’autre d’autre part. 

Lucile : Je garde du temps de travail en commun, préalable à l’écriture, le souvenir d’un moment très stimulant où, rebondissant sur les idées de l’autre, nous avancions dans la même direction. Nous sommes parvenus assez rapidement et sans difficulté à établir les grandes lignes et l’organisation du livre. 

Michel : Puis nous avons travaillé séparément, chacun sur trois chapitres du livre. Ensuite, chacun devait réagir au fil du texte de l’autre, par des compléments, des nuances, des exemples, une mise en perspective… 

Nous avons pris alors connaissance de cette seconde voix, qui s’introduisait au fil des paragraphes, dans notre propre pensée. J’ai trouvé que la voix de Lucile venait compléter de manière heureuse. Ai-je eu l’impression que sa pensée venait perturber ma rédaction ? Peut-être à un endroit, où, du coup, les deux voix se répondent très brièvement et fréquemment. Mais rien de grave ! 

Lucile : C’était une forme de dialogue, d’interactivité à distance et différée, intéressante, avec quelque chose qui s’apparente au suspense : il y a une part de la construction qui vous échappe quand vous écrivez votre part et pourtant vous savez que vous pouvez lancer votre bouteille à la mer, que la construction sera parachevée, alors même que vous ignorez comment. C’était à chaque fois réjouissant de découvrir comme la voix de Michel apportait un autre regard ou une précision importante qui transformait le chapitre en un nouvel ensemble cohérent.

Michel : Mais le travail n’était pas terminé. Il fallait supprimer les redondances, et à nouveau chacun a lâché du lest à tour de rôle, me semble-t-il. Lisser le dialogue, retoucher des formulations et, puisque c’était un livre à deux voix, il fallait au moins informer l’autre, voire le consulter, y compris pour chaque retouche dans son propre texte. Les allers-retours par courriel se sont comptés par dizaines. Et les versions du texte se succédaient. Nos modes de fonctionnement rigoureux ont empêché que nous nous y perdions. Les relectures finales ont encore nécessité beaucoup d’échanges. 

Lucile : Les échanges multiples entre nous ne me sont pas apparus comme une contrainte fastidieuse mais comme un moyen plus sûr de parvenir au résultat recherché : d’une part, le regard de Michel était susceptible de mettre en évidence une ambiguïté ou une inexactitude qui m’aurait échappé. D’autre part, il pouvait combler un manque ou apporter une perception différente. Et de savoir cela donne de la légèreté au travail d’élaboration du contenu. 

Michel : Un lecteur a fait remarquer que ce dialogue à deux voix pouvait évoquer le dialogue intérieur d’une personne sur le sujet en question. Nous n’avions pas pensé à cela au départ. L’idée était d’avoir deux points de vue, ceux d’une femme et d’un homme, avec des sensibilités différentes et un parcours propre dans notre rapport à l’Eglise locale et au fait d’y devenir membre. 

Il y a eu des discussions sur le titre, des propositions de part et d’autre, des négociations argumentées, et une souplesse de la part de Lucile. Je ne sais si elle a ressenti cela de ma part… Puis encore des discussions précises sur l’image de couverture, chacun avançant ses arguments pour telle proposition du graphiste. 

Je crois qu’il n’y a eu aucune tension entre nous, à aucun moment – c’est mon point de vue. 

Lucile : Je confirme ! Chacun avait la liberté d’avancer et défendre son idée, en sachant qu’il ne serait pas jugé, tout en étant ouvert à l’approche de l’autre, en prenant réellement en compte son point de vue.

Il ne s’agissait pas d’avoir raison mais de trouver la meilleure solution, compte tenu des différents paramètres en jeu, et c’est cela qui donne la souplesse dans la collaboration.

Michel : Comment expliquer cette collaboration facile même si exigeante ? 

  • Un profond respect mutuel pour l’autre et son avis
  • Une liberté de dire son point de vue, basée sur la confiance que l’autre nous prend au sérieux 
  • Un recul dans les réactions, plutôt que de réagir du tac au tac
  • Une compatibilité intellectuelle et théologique
  • La capacité à accepter des modifications de son texte de la part de l’autre
  • Une égalité de principe et dans le travail, reconnue de part et d’autre. 

Lucile : Je rejoins tout à fait Michel dans cette analyse. La pertinence du projet d’écriture à deux voix, homme/femme, évoquée plus haut, n’explique pas à elle seule, loin s’en faut, le fait que j’aie accepté de me lancer dans cette aventure : je savais pouvoir trouver en Michel une personne avec laquelle la collaboration serait facile ET fructueuse pour les raisons énumérées ci-dessus.

Au cours des échanges et du travail d’élaboration, à aucun moment je n’ai vécu la collaboration en tant que femme coécrivant avec un homme. Pour moi, il s’est agi de creuser le sujet sur le plan théorique et pratique, et de confronter mes réflexions avec ce que Michel, de son côté, avait à dire. La richesse de cette coopération est venue de ce que nos vécus, histoires, sur le plan ecclésial, notre formation, notre personnalité, ne sont pas les mêmes.

On peut s’interroger sur le résultat : la complémentarité qui s’est exprimée tout au long de l’élaboration du livre, tient-elle aussi en partie à la différence entre les sexes ? Si oui, quelles différences ont été en jeu dans cette collaboration ? D’autre part, est-il possible d’identifier dans les interventions de l’un et de l’autre, une approche qui serait plus féminine ou plus masculine et qui expliquerait qu’outre la bonne relation entre Michel et moi, les points de vue se sont naturellement enrichis l’un l’autre ?

Quoi qu’il en soit, il me semble que ce qui permet une bonne collaboration, c’est l’écoute, le respect, l’humilité, le fait de considérer l’autre comme quelqu’un qui a des choses à vous apporter et aide à avancer. Ce qui signifie que ce n’est pas toujours le cas — peut-être davantage dans la collaboration homme/femme, mais pas seulement — mais c’est ce que j’ai trouvé dans ma collaboration avec Michel.

Michel : Ces aspects peuvent se vivre entre deux hommes ou deux femmes, bien sûr.

Mais les choses étant ce qu’elles sont souvent entre hommes et femmes, l’absence de rivalité, de domination, de condescendance, de revendication… est un cadeau inestimable, expression des valeurs du Royaume de Dieu.

Pour aller plus loin…

Lucile Anger et Michel Sommer, « Lettre à toi qui deviens membre d’une Église (et à ceux qui t’accueillent) », Montbéliard, Dossier de Christ Seul 2/2020, Éditions Mennonites, 80 p. 


Autre article sur le thème de l’écriture partagée : Ecrire une cérémonie de bénédiction de mariage à deux !

À propos Lula Derœux

Lula Derœux est pasteure dans une église de la FEEBF en région parisienne. Elle est également en train d'étudier pour son master de théologie pratique à la FLTE. Elle est mariée avec Benjamin, lui aussi pasteur.

3 comments on “Ecrire un livre à deux voix, femme et homme

  1. Olivia

    Bonjour, c’est très beau et bon de vous lire. Bravo et merci pour votre réveil et pour la belle égalité et complémentarité qu’il me semblent détecter dans vos commentaires. C’est a ce type de rapport que j’aspire quand je pense à la relation homme-femme, femme- homme, comme vous le dite il est un goût du Royaume de Dieu, et j’ajoute, sur terre. J’aime cette manière d’être en vis-à-vis avec respect, bienveillance, ouverture à l’autre avec une place pour chacun.
    Votre livre me fait envie.

  2. Claire Poujol

    Écrire en couple est un défi mais très faisable. Nous avons écrit à quatre mains avec Jacques tous nos livres depuis le premier en 1986. Nos discussions ne devenaient jamais des disputes, heureusement. Je trouve que c’est enrichissant à la fois pour les auteurs, et pour les lecteurs. Bravo aux auteurs de ce livre !

  3. Ping : Dans un monde imaginaire – Servir Ensemble

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