Progresser en Église

Qui gardera les enfants ?

Mon épouse Virginie et moi-même sommes un couple de pasteurs. Pas juste un pasteur et sa femme, mais deux pasteurs, tous les deux formés en théologie, tous les deux responsables de prêcher, d’accompagner, d’assister à des rencontres. Nous nous répartissons un plein temps, à raison de 60 et 40 % respectivement. Ce n’est pas encore évident pour tous, certains parlent encore du pasteur et de sa femme – j’aime du coup dire que je suis le mari de la pasteure et c’est moi qui l’accompagne à la rencontre pastorale -, mais le principe est bien accepté. 

Nous sommes maintenant parents d’une petite fille de 8 mois, Clara, en bonne santé, qui se développe bien, et par la grâce de Dieu dort en règle générale bien la nuit.

L’expérience de devenir parent tout en essayant de servir ensemble notre communauté me mène à prendre conscience du défi concret que cela représente de donner une place à toutes et tous, et de l’importance des aspects pratiques en particulier pour les parents.

J’en parle avec notre expérience de pasteurs, mais en considérant que des remarques semblables s’appliquent pour les personnes qui servent dans l’Église comme laïcs.

Concrètement, un arrêt de travail en fin de grossesse pour raison médicale et 4 mois de congé maternité font que mon épouse a été coupée de lieux de décision pendant 6 mois, tandis que j’ai en partie assumé la charge qu’elle ne pouvait plus porter. Mais surtout, après sa reprise, la garde de notre fille est un souci constant ; certaines rencontres ne peuvent voir que la présence d’un de nous, d’autres se sont faites chez nous une fois notre fille au lit. Lors de temps communautaires où nous sommes présents tous en famille, il y a toujours la question de qui la tient, qui s’en occupe – même si nous avons de l’aide amicale au sein de la communauté. Et du coup, il peut y avoir des moments où au moins un des deux à l’impression de passer à côté des relations, ou de ne pas pouvoir être présent pour ceux qui auraient besoin de contact.

La plupart du temps, travailler en veillant sur Clara est illusoire, vu son besoin d’attention, ce qui signifie aussi que l’on ne peut plus vraiment travailler davantage dans une période intense. Nous n’avons en effet pas la chance de pouvoir confier Clara régulièrement à ses grands-parents, et nous débrouillons essentiellement entre nous. 

Je perçois la différence entre ce que nous vivons et un vieux modèle pastoral, où le pasteur était dévoué entièrement à son ministère, et comptait sur son épouse pour prendre soin des enfants en toutes circonstances. Un ami fils de pasteur me partageait que sa mère disait avoir essentiellement élevé ses enfants toute seule. Je dis cela sans nostalgie pour ce modèle, plutôt respect pour l’engagement de ces épouses, et regret pour celles qui s’y sont senties coincées, ainsi que pour les enfants et les pères dont la relation a été amputée par le ministère. Et je suis très conscient que ce que je découvre dans cette période était connu et dit par les mères de famille depuis bien longtemps, et qu’avec un premier enfant jeune « on n’a encore rien vu ». 

Mais cela signifie que donner une place aux femmes ne demande pas seulement qu’on les autorise à remplir certaines fonctions, à s’exprimer et à mettre leurs dons au service de l’Église. Cela demande aussi qu’elles ne soient pas accaparées par le soin aux enfants.

Qu’au sein des couples, on vise une vraie répartition des tâches, y compris dans la garde et l’éducation des enfants, que les maris soient sensibles à donner à leur femme de l’espace pour servir l’Église ou le bien commun. Et encore, dit ainsi, cela présuppose que la femme s’occupe des enfants et que le mari lui donne de l’espace quand il consent à les prendre en charge,

mais il faut en fait vraiment penser que les enfants sont confiés au couple entier, qui doit se répartir les soins, sans qu’une répartition par défaut les assigne à l’épouse.

Et l’Église devrait aussi prendre garde à ne pas parler d’une manière qui assigne le soin des enfants aux mamans. Ne pas dire « les mamans peuvent aller avec leurs bébés dans l’espace garderie », mais parler des parents, et ainsi de suite. De plus, les Églises et leurs membres peuvent être attentifs à avoir les structures qui permettent aux parents de servir ou simplement assister dans la communauté en étant temporairement déchargé du soin des enfants. Il n’y a rien d’original à souligner cela, mais lorsque ceux qui n’ont pas ou plus charge d’enfants peuvent s’en occuper, pour une soirée, un culte, un peu de baby-sitting, ils peuvent donner du repos à des parents qui en ont besoin, et les aider à être vraiment partie prenante de la vie de la communauté.

Du reste, cela rejoint des observations que d’autres font concernant la société, selon laquelle l’arrivée des enfants pousse des parents qui ont un idéal égalitaire à revenir à une répartition des tâches inégales, contre leur gré[1].

Jean-René Moret, mari de pasteure et pasteur à Cologny, Suisse.


[1]    René Levy, « La parentalité provoque l’inégalité au sein du couple« , 2018.

Qui gardera les enfants ? est aussi le titre d’un livre de Yvonne Knibiehler (ndlr)

11 comments on “Qui gardera les enfants ?

  1. Merci pour votre sensibilité et votre intelligence à travailler concrètement à ce sujet tellement contemporain. Mon mari et moi même commençons tous les deux une formation diacre et avons 3 enfants! Donc cette question est au centre de notre agenda. Cela encourage de voir par écrit cette problématique et de pouvoir en parler, sans recevoir certains stéréotypes au moindre contour.

    • Lydia Lehmann

      Merci beaucoup pour votre commentaire ! Cela nous donne de l’élan pour poursuivre la réflexion 🙂

  2. Daniel

    Depuis que j’ai eu le privilège de devenir père (depuis un certain nombre d’années et un certain nombre d’enfants…), j’ai pu observer très souvent un problème qui transparaît, me semble-t-il, également dans l’article par ailleurs très intéressant de M. Moret. L’arrivée d’un enfant dans un couple, que ce soit le premier ou les suivants, est un événement majeur et il nécessite une réorganisation de toutes les activités ; il y a un avant et un après ! Or, je constate que beaucoup de couples veulent continuer leur train de vie comme si rien n’avait changé, que ce soit sur le plan professionnel, communautaire ou encore des loisirs ; l’enfant est alors trop souvent décrit en termes de charge et de contrainte. Il faut le « caser » quelque part, trouver quelqu’un qui s’en occupe, s’en libérer en quelque sorte… Avoir un enfant, c’est être disposé à revoir tout son programme et à libérer du temps pour lui donner sa place et le considérer dès le début comme un membre à part entière de la famille ! Et s’il faut se retirer de certaines activités pendant un temps, serait-ce à l’église, il ne s’agit pas là d’un manque de foi ou de consécration, mais d’un engagement tout aussi important à l’égard d’une nouvelle vie qui mérite toute notre attention. J’ai toujours été convaincu qu’être parent n’est pas une activité accessoire, mais un travail à plein temps !

    • Lydia Lehmann

      Merci pour votre réflexion qui mérite en effet de l’attention.
      Il me semble que l’article souligne justement que l’arrivée d’un enfant change beaucoup de choses dans la vie du couple… et du coup aussi dans la vie d’un couple où tous les deux sont pasteurs.
      Cela demande une adaptation et certainement aussi des renoncements.
      Le souci de l’auteur est aussi de montrer que cela concerne le couple (comme vous le dites aussi) et non pas seulement la mère ou le père.

  3. M.Rose

    Bonsoir,
    les femmes en général, ont beaucoup fait de sacrifices pour leurs enfants.
    Les hommes sont-ils prêts eux aussi à des sacrifices pour partager ?

    Je pense à mon voisin qui il y a 25 ans (un pionnier !) s’est battu pour obtenir
    de son employeur un jour de congé par semaine pour s’occuper de ses enfants,
    à égalité avec son épouse. Il a payé le prix car ses supérieurs ont bloqué tout
    avancement. Mais il a réussi sa vie de famille et a marqué ses 3 enfants.

    Je connais un couple de restaurateurs chrétiens qui ont fait le pari difficile
    de ne pas travailler le weekend et le soir pour s’occuper de leurs enfants.
    Ils vivent modestement mais heureux.

    Je fais appel ici aux chrétiens qui ont des responsabilités ou des entreprises.
    pour qu’ils montrent l’exemple. Il faut libérer du temps pour les couples qui ont
    à charge des enfants, être innovant, imaginatif dans l’organisation du travail,
    pour faire évoluer les mentalités et Dieu bénira.

    Pour les couples de pasteurs, c’est aussi une question d’organisation.
    Seul le conseil de l’église exige la présence des deux pasteurs, il me semble.
    Mais, il y a la possibilité de skype, d’enregistrer la séance, de faire le compte-
    rendu, réunion à la maison ou baby sitter d’un lycéen ou étudiant de l’église.
    Pour le reste, il faut séparer les activités, pour qu’un parent soit disponible
    pour les enfants. Je suis sûr qu’il y a des solutions !

    • Lydia Lehmann

      Merci pour votre commentaire ! Etant moi-même pasteure, femme de pasteur et jeune maman, je confirme, oui, il y a des solutions… dont aucune n’est parfaite. Chacun devra trouver son chemin unique, ses solutions uniques adaptées à chaque nouvelle situation de vie. Cela demande de l’organisation et de la souplesse de part et d’autre, comme l’article le souligne aussi, mais c’est un beau défi 🙂

  4. Sikè suzanne

    Merci pour ce témoignage si enrichissant. En effet je suis fiancée et mon fiancé et moi avons fait des études théologiques. Cependant mon objectif n’était pas de devenir pasteure juste un apprentissage. Sans oublié que nous sommes de deux églises soeurs. Alors je pose la question vais-je renoncer à mon mariage ? Vu que mes dirigeants m’exigent d’aller en communauté exercée.

    • Lydia Lehmann

      Merci pour votre commentaire courageux et touchant.
      C’est en effet une question à laquelle vous êtes la seule à pouvoir répondre.
      Je ne connais pas le contexte précis dans lequel vous vivez, mais simplement deux point de repères qui sont devenus importants pour moi :
      – Quel est l’appel de Dieu sur ma vie ?
      – Devant de choix difficiles, discerner avec quels compromis, quels sacrifices je peux vivre et lesquels ne sont pas envisageables pour moi.
      Je ne suis pas sûre de bien saisir le sens de votre dernière phrase, mais je connais un couple de pasteurs où chacun des conjoints exerce son ministère dans une Eglise différente (tout dépend bien sûr de la distance géographique).
      Je prie pour vous que Dieu vous donne une paix pleine et entière au fur et à mesure que vous avancez dans ces réflexions.

      • Sikè doualla

        Merci à vous!

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