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Qui doit pratiquer la soumission dans le cadre du mariage ?

 « Femmes, soyez soumises à vos maris comme au Seigneur. » (Éphésiens 5:22)

Ces questions n’ont jamais été aussi pressantes.

La crise sanitaire du Covid-19 n’a rien fait pour diminuer la réalité des violences conjugales dont la France annonce une augmentation d’environ 30 % depuis le confinement. À la lumière de la théologie révolutionnaire que Paul exprime au long de son épitre, Mary Cotes aborde ce passage riche et plein de surprises.

Souvent citée dans les débats sur le mariage, cette phrase de Paul fait partie d’un enseignement plus long sur le sujet. On ne saisit pas le véritable sens de la phrase sans la lire dans le contexte entier de ce passage (Ep 5:21-33), qui, à son tour, doit être lu à la lumière des chapitres précédents. Alors, avant de nous plonger dans cet extrait, jetons d’abord un coup d’œil sur le sens général de l’épitre.

Personne ne domine

Un des thèmes principaux de la lettre est celui de l’unité de l’Église en Christ. Paul s’adresse à une communauté mixte de chrétiens juifs et grecs et leur rappelle qu’en Christ, ils sont un. Appelés à vivre dans la paix, les juifs ne doivent pas se croire supérieurs aux « païens », comme les Grecs ne doivent pas mépriser les « barbares ». Grâce au sacrifice de Christ (Ep 2:14), il y a un seul corps, dit Paul, et un seul Esprit… un seul Dieu et Père de tous, qui règne sur tous, agit par tous, et demeure en tous (Ep 4:4-6). En répétant le mot « tous », Paul prend soin d’indiquer que tout le monde est concerné de la même façon. Aucun des groupes n’exerce l’autorité sur l’autre.

Pas d’unité sans sacrifice

Paul est clair : sans le sacrifice, l’unité de l’Église n’existe pas. Cette unité, accomplie d’abord par la mort du Christ à la croix, est ensuite exprimée par l’attitude sacrificielle de tous les membres, et elle se construit par cette mort. Il ne s’agit pas d’une attitude sacrificielle pratiquée par un seul petit groupe : tout le monde est appelé à refléter l’amour de Christ et son sacrifice en pratiquant la soumission mutuelle. Imitez Dieu, écrit Paul, puisque vous êtes des enfants qu’il aime ; vivez dans l’amour, comme le Christ nous a aimés et s’est livré lui-même à Dieu pour nous, en offrande et victime, comme un parfum d’agréable odeur (Ep 5:1-2). Les paroles de Paul font écho à son enseignement aux Philippiens (Ph 2:1-11) et aux Romains (Rm 12 : 10). Elles rappellent également les paroles de Jésus adressées à ses apôtres : « si quelqu’un veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur. » (Mc 10 : 43)

En lisant Éphésiens 5:21, on retrouve ce même enseignement : « soumettez-vous les uns aux autres dans la crainte du Christ. » Rien de neuf ! Pourtant, à première vue, il parait bizarre de lire au verset suivant : femmes, soyez soumises à vos maris (Ep 5:22). Paul se contredit-il en passant d’une phrase à une autre ? Propose-t-il que la soumission mutuelle ne soit pratiquée dans le mariage que par les femmes ?

Qui pratique la soumission mutuelle dans le mariage ? La femme uniquement ?

En parlant du mariage, certains biblistes ont voulu situer la soumission uniquement du côté de la femme, et ils ont lu cette exhortation aux femmes en dehors du contexte général de l’épitre. Ils ont également éloigné le verset 22 du verset 21 pour voir au verset 22 un décalage avec ce qui précède. Ils ont soutenu la soumission mutuelle dans l’Église, tout en préservant la hiérarchie au sein du mariage. Pour ces biblistes, Paul s’adresse toujours à l’Église au verset 21, pour se tourner vers le couple au verset 22.

Il est pourtant très difficile de séparer l’enseignement sur la soumission mutuelle (au verset 21) du verset 22 sur la soumission des femmes. Paul ne passe pas d’une phrase à une autre : dans le texte grec, les versets 21 et 22 font partie de la même phrase : étant soumis les uns aux autres dans la crainte du Seigneur, femmes : à vos maris comme au Seigneur. Dès le verset 21 alors, Paul s’adresse à la maison entière. Il parle des relations en général. Ensuite il s’adressera aux femmes et aux maris, aux enfants et aux parents et enfin aux esclaves et aux maitres.

La soumission de la femme (v.22) fait donc partie de la soumission mutuelle qui caractérise toutes les relations et dans l’Église et à la maison (v.21). Comme on le verra, cette soumission de la femme ne représente qu’un des deux aspects de la soumission mutuelle qui doit exister entre l’homme et la femme.

L’organisation de la famille à l’époque de Paul

Pour mieux saisir le sens des versets 22 à 24 il faut comprendre la façon dont la maison patriarcale était organisée. Du temps de Paul (et depuis des siècles), celle-ci était la structure principale sur laquelle la société était fondée. Le rôle du père de la famille était de protéger, ou de sauver tous les membres de sa maison en pourvoyant à leurs besoins physiques. Il s’agissait du système patron-client sur lequel toutes les relations de la société étaient construites.

Selon ce patronage, l’homme à la tête de la maison offrait à son épouse – ainsi qu’à ses enfants et ses esclaves, ses ouvriers et ses serviteurs –  une identité et une protection. Une femme dépendait de son mari pour son alimentation, ses vêtements et son logement. L’autorité de ce mari ou de ce patron n’était pas remise en question, ni son pouvoir sur les membres de sa maison. En retour, en tant que clients, ils offraient au patron le respect et l’obéissance, la soumission et le service qui lui étaient dus. L’unité de la famille dépendait de ce père. Grâce à sa position, tous les membres de sa famille existaient en relation les uns avec les autres.

À l’époque de Paul, la famille était donc organisée différemment de celle de notre époque. De plus, les mariages étaient arrangés et une épouse était souvent beaucoup plus jeune que l’homme à qui elle était donnée. Confinée pour la plupart à la maison, elle appartenait à la sphère privée. Entretemps les enfants, même adultes, devaient continuer à être soumis à leur père tant qu’il était en vie. L’existence de l’esclavagisme n’était que très rarement remise en question.

Révolution à la maison

En écrivant aux Éphésiens, Paul accepte l’existence de ce système social et parle aussi bien de la relation homme femme que de celle des parents-enfants et celle des maitres-esclaves. Pourtant, il propose la réforme révolutionnaire de cette structure, à partir de l’intérieur, et il commence par exiger de la part de tous les chrétiens mariés un comportement conforme à la soumission mutuelle dont il parle plus haut.

Le premier aspect de la soumission mutuelle: une continuité avec la tradition

Se tournant d’abord vers les femmes, Paul les exhorte à être soumises à leurs maris. Pour que l’Église entière puisse vivre selon la soumission mutuelle dont Paul parle, les femmes, pour leur part, doivent continuer à faire ce qu’elles ont toujours fait dans les réalités sociales et politiques de l’époque. En se soumettant à leurs maris, elles vivent en continuité avec ce que la société leur demande depuis des millénaires.

Ici Paul introduit un terme grec, souvent rendu en français par le mot chef, qui veut dire simplement tête.

Car le mari est la tête de la femme tout comme le Christ est la tête de l’Église (Ep 5:23).

Paul avait employé ce même terme en Éphésiens 4:15-16 où il affirme : « nous grandirons à tous égards vers celui qui est la tête, Christ. Et c’est de lui que le corps tout entier, coordonné et bien uni… réalise sa propre croissance pour se construire lui-même dans l’amour. »

Au verset 5:23 il s’agit, tout comme au verset 4:15, d’une image fondée sur l’idée du maitre de maison. Le père qui permet aux membres de sa maison de vivre en relation les uns avec les autres ressemble, dans ce sens, au Christ qui unit en lui les membres de son corps. En se servant de cette image, Paul constate que le mari est la tête de la femme, comme le Christ est la tête de l’Église. C’est un fait sociologique.

Un élément révolutionnaire

Ce parallèle introduit pourtant un élément bien révolutionnaire. Les femmes doivent être soumises à leurs maris comme… au Seigneur ! Selon le plan de Dieu, une femme ne doit plus s’attendre à obéir à un homme qui la tient en son pouvoir et qui la domine (voir Mc 10:42-43). Au contraire, elle doit s’attendre à se soumettre à celui dont le comportement ressemblera au parfait serviteur de Dieu.

Le deuxième aspect de la soumission mutuelle: une discontinuité avec la tradition

La plupart des philosophes et moralistes de l’époque exigent la soumission des femmes, ainsi que celle des enfants et des esclaves, sans beaucoup parler du comportement du patron. L’enseignement de Paul est pourtant bien différent. Après s’être adressé aux femmes, il se tourne vers les maris pour parler de leur comportement de manière bien plus détaillée. En s’adressant à eux aux versets 25-32, il parle du deuxième aspect de la soumission mutuelle qui concerne le comportement de l’homme. Il emploie deux types d’images :

Les tâches ménagères

Pour Paul, l’attitude du mari envers sa femme n’est pas autoritaire, mais se laisse inspirer par le sacrifice de Christ. Selon la structure de la maison patriarcale, l’homme était impliqué dans la sphère publique, tandis que la femme, comme certain(e)s des esclaves, s’occupait des tâches ménagères de la maison. Il est donc très surprenant qu’en décrivant le comportement du mari envers sa femme, Paul parle du sacrifice de Christ en termes pris à la vie des femmes :

Grâce à cette analogie, Paul laisse entendre que dans le mariage, le mari lui aussi, prend la condition de serviteur (Ph 2:7). Il se met au même niveau que la femme ou l’esclave. Tandis que l’épouse chrétienne vit en continuité avec les traditions de la société, le mari chrétien vit en discontinuité avec elles. La femme garde l’habitude de la soumission. Le mari l’apprend. L’enseignement de Paul ici est donc tout à fait conforme à ce que nous trouvons en Philippiens 2:3 : « Avec humilité, considérez les autres comme supérieurs à vous. »  

L’image du corps masculin

Ensuite, Paul affirme que le mari doit aimer sa femme comme son propre corps (v.28). Dans cette phrase nous entendons l’écho de la loi qui exige qu’on aime son prochain comme soi-même. Pourtant Paul parle ici, d’une façon précise, du corps du mari. Dans la société de l’époque, la hiérarchie qui existait entre l’homme et la femme était exprimée aussi dans la manière de voir leurs corps.

Le corps masculin exprimait l’honneur, tandis que le corps féminin associé à l’impureté et au péché exprimait la honte.

Lorsque Paul affirme qu’un homme doit aimer sa femme comme son propre corps, il élève la condition de la femme au même niveau que celle de l’homme. L’homme doit aimer sa femme comme il s’aime lui-même. C’est une pensée révolutionnaire qui détruit les hiérarchies de l’époque. Paul peut affirmer ensuite l’égalité homme femme selon le plan de Dieu, telle qu’elle est annoncée en Genèse 2:24.

Une double révolution

Les versets où Paul s’adresse aux maris nous présentent deux mouvements :

Il fait l’écho du chant de Marie la mère de Jésus lorsqu’elle affirme : Il a jeté les puissants à bas de leurs trônes et il a élevé les humbles (Luc 2 : 52).

Et redoublée…

Mais ce n’est pas fini ! L’enseignement de Paul voit finalement hommes et femmes, les deux ensemble, situés des deux côtés de la relation Christ-Église.

Vie d’Église et vie de famille

Certains biblistes proposent que Paul défende une égalité homme femme à l’égard des ministères de l’Église, tout en gardant une relation autorité-soumission dans le mariage. Ils voient donc une division catégorique entre la vie d’Église et la vie de la maison. Nous avons déjà montré pourquoi il est difficile de soutenir ce point de vue. Les versets 21 et 22 font partie de la même phrase.

Il est prudent aussi de se rappeler qu’à l’époque de Paul, il n’y avait pas de grande séparation entre la vie d’Église et celle de la famille. De nos jours, la vie d’Église, pour un grand nombre d’entre nous, a lieu dans un local à part. (Le confinement va peut-être nous changer !)  Pourtant, pour les chrétiens du premier siècle, la vie d’Église et la vie de la famille constituaient beaucoup plus souvent un ensemble : la maison étant le lieu de culte, la communion fraternelle était exprimée par les membres de la grande famille. Les mêmes comportements devaient alors caractériser la vie dans les deux contextes.

Une exégèse pour aujourd’hui

Rappelons-nous que l’enseignement de Paul au sujet du mariage est suivi d’un deuxième enseignement sur la relation parents-enfants et d’un troisième sur la relation maitre-esclave. Les biblistes qui soutiennent la valeur éternelle d’une relation d’autorité-soumission dans le mariage parlent rarement de ces autres enseignements. Ils ne se pressent pas d’affirmer que les chrétiens majeurs de nos jours doivent en toute circonstance continuer à obéir à leurs parents. On ne les entend pas non plus affirmer la valeur divine de l’esclavagisme.

Ces trois enseignements en parallèle nous rappellent que la situation de Paul ne ressemblait pas tout à fait à la nôtre. Lorsque nous interprétons les enseignements de la Bible, il ne s’agit pas d’imposer sans question sur l’Église d’aujourd’hui le même système sociologique que celui où se trouvaient les auteurs de la Bible. Au contraire, il s’agit de discerner les fondements théologiques par lesquels les auteurs de la Bible cherchaient à transformer leurs propres sociétés. Ensuite nous sommes appelés à nous mettre à l’œuvre pour transformer la nôtre à partir de ces mêmes fondements.

Dans l’épitre aux Éphésiens nous voyons comment Paul introduit dans la maison patriarcale de son époque les principes révolutionnaires de la soumission mutuelle et du service, fondés tous deux sur le sacrifice du Christ. À nous maintenant de redécouvrir cette soumission mutuelle et d’en témoigner. Menacée par la violence conjugale, notre société a besoin d’entendre ce message.

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