Progresser en Église

« Femmes et hommes en post-chrétienté » de Fran Porter #lupourvous

Genre et Église ? Le sujet est on ne peut plus actuel. Les chrétiens peinent à trouver un discours construit face aux grands changements de société sur le plan des rapports entre femmes et hommes. La parole de l’Église semble parfois dater d’un « autre temps » et devient inaudible dans une société égalitaire. Comme le constate Fran Porter, théologienne engagée sur les questions liées au genre, toute notre vie est impactée par les structures et la pensée liée au genre.

Degré de difficulté du livre : novices – initiés – connaisseurs– experts

Langue : anglais (résumé en français ici pour vous)

Fran Porter examine la question du rapport femmes-hommes sous un angle encore peu exploité en lien avec l’histoire de l’Église.

Comment les rapports de genre de type subordination-autorité ont-ils été construits dans l’histoire ? En était-il ainsi dès les débuts de l’Église ?

Une période charnière: la chrétienté

Fran Porter, dans la lignée de Stuart Murray, identifie une période charnière dans l’histoire : la chrétienté. De quoi s’agit-il?

  • La chrétienté est une région géographique dans laquelle chacun était (au moins considéré comme) chrétien.
  • La chrétienté est une période de l’histoire instaurée au 4e siècle par la conversion de l’empereur Constantin et qui a duré jusqu’au 20e siècle.
  • La chrétienté est une civilisation formée de manière décisive par l’histoire, la langue, les symboles et le rythme du christianisme.
  • La chrétienté est un arrangement politique dans lequel l’Église et l’État se fournissaient un soutien et une légitimation réciproque.
  • La chrétienté est une idéologie, un état d’esprit, une manière de penser l’activité de Dieu dans ce monde. (p.4)

Comme le rappelle Hauerwas[1], « le constantinisme est une habitude difficile à briser ».

Les temps changent et la chrétienté fait maintenant partie du passé. Hors de ce système, de nombreux chrétiens sont désorientés.

L’état et l’Église ne sont plus unis sur le rapport entre les sexes ; ils ne forment plus une unité religieuse, sociale et politique.

Dans ces temps chaotiques, une nouvelle opportunité émerge pour les chrétiens. Celle de penser le rapport entre les sexes hors des structures et des rapports de pouvoir, comme ils l’étaient avant Constantin.

De nouvelles opportunités

Les changements sociétaux sur les rapports de genre ouvrent de nouvelles opportunités pour la foi chrétienne. En acceptant de reconsidérer les relations femmes-hommes en dehors des structures de pouvoir, la foi peut à nouveau devenir un témoignage incarné, loin de la puissance imposée.

Alors qu’avant les relations étaient pensées en termes de subordination et de domination, elles peuvent aujourd’hui être réimaginées. L’Église est placée devant ce défi : saura-t-elle prendre en compte la diversité des sexes sans retomber dans la vision réduite développée sous la chrétienté ?

Chapitre 1 : Penser au-delà du genre dans un contexte de chrétienté

La question de l’ordre est inhérente à la chrétienté. Elle se construit sur une hiérarchie des mâles sur les femelles. Toute la manière de vivre de l’empire est soutenue par la subordination des femmes. On peut relever l’insistance positive sur l’incarnation de la sexualité, mais celle-ci structure fortement les inégalités en termes de croyances, de valeurs et de comportements. La femme vaut moins que l’homme.

Quel est le cadre utilisé pour interpréter le monde ? En chrétienté, l’ordre s’appuie sur une hiérarchie exigée par Dieu. Il ne s’agit là ni d’amitié ni d’égalité. Les textes bibliques sont interprétés à la lumière de cette structure. Les temps actuels nous interrogent sur la manière d’interpréter la Bible : selon quels principes doit-elle être interprétée ? Nos réponses influeront sur notre capacité à envisager les relations entre hommes et femmes. Nous sommes si imprégnés des normes de la chrétienté maintenues en place pendant des siècles, que nous peinons à voir que les récits bibliques eux-mêmes contiennent d’importants défis à ces normes.

Chapitre 2 : Femmes et hommes avant la chrétienté

Cette partie explore le Nouveau Testament, les évangiles et les épitres, pour saisir davantage la nature de ce groupe en prise avec sa foi dans un contexte politique et social qui dicte les rapports de genre. En effet, le patriarcat romain était lié avec l’Empire romain. Les premiers chrétiens font face à un défi de taille : appartenir à la communauté en Christ plutôt qu’aux autres groupes d’appartenance de la société. Être dans le monde, mais pas du monde, les mettait en tension avec l’ordre sacré établi : le mariage et les rapports familiaux qui structuraient habituellement la vie des hommes et des femmes.

Avant que l’Église ne se structure au 2e et 3e siècle selon un schéma patriarcal, la collaboration entre hommes et femmes était bien plus ouverte et flexible. L’histoire en a gardé d’importantes traces. Cette collaboration a continué en filigrane tout au long de la période de chrétienté, même si l’on trouve de nombreuses tentatives pour l’anéantir.

Chapitre 3 : L’ordre des genres sous la chrétienté

Sous Constantin, au début du 4e siècle, l’Église passe des marges au centre. La fusion de l’Église avec le pouvoir politique lui permet de renforcer l’orthodoxie religieuse. La fusion de l’Église avec l’empire a eu trois conséquences majeures :

  1. Elle a consolidé la division entre le clergé et les laïcs. Cet accent mis sur une masculinité, plus pure, plus forte, plus intelligente et plus solide moralement a renforcé une vision négative des femmes, considérées comme impures pour servir à l’autel.
  2. Les réformateurs ont envisagé le rapport entre famille, Église et État en liant sexualité et sainteté. Le mariage, et particulièrement celui des prêtres, est devenu la vitrine de la vie chrétienne. Il avait pour fondement le rôle autoritaire du père de famille, vu comme une analogie de l’État. Toute personne, homme ou femme, qui vivait en dehors de ces structures était vue comme une menace pour le bien-être de la société.
  3. Enfin, la compréhension chrétienne du sexe et de la sexualité. On considérait les femmes comme marquées par la différenciation et plus faibles sexuellement. Il est possible que les difficultés actuelles liées au sujet du rapport femmes-hommes touchent précisément ce point-là : la volonté de garder une identité chrétienne distincte dans un contexte de perte de pouvoir et d’influence (post-chrétienté). L’éthique sexuelle demeure centrale à la compréhension du christianisme, même si cela s’est manifesté différemment tout au long de l’histoire.

Chapitre 4 : L’égalité, une herméneutique plus juste

Le discours sur l’égalité est une réponse plus récente ; elle n’avait pas encore abouti dans le patriarcat et dans la chrétienté.

  • Dans ce discours, la relation entre hommes et femmes peut être envisagée sans la mettre d’emblée en position de subordination et de domination.
  • Elle met au défi les valeurs et la pratique qui perpétuent ces arrangements, dans les institutions publiques ou dans la sphère domestique. Les causes profondes de cette hiérarchie n’ont pas encore été traitées et le résultat n’est pas satisfaisant.
    • Les mouvements de femmes ont pu mettre la lumière sur les comportements et les privilèges des hommes. La réponse : des mouvements d’hommes.
  • Discours sur la féminisation de l’Église. Pourtant dès le 18e siècle, le patriarcat s’est adapté à différents changements sociétaux en se réinventant, mais sans toucher aux structures de pouvoir dans la hiérarchie des genres et malgré leur rhétorique du contraire.
  • L’égalité demande une éthique individuelle et sociale qui trouve une caisse de résonnance dans la vie de Jésus et la pratique des premières Églises.

Chapitre 5 : Femmes, hommes et imagination théologique

Dieu façonne les communautés humaines par sa présence transcendante. Il façonne aussi les relations femmes-hommes. Ce chapitre traite de la masculinité de Dieu et de celle de Jésus.

Tous sont d’accord pour affirmer que Dieu n’est pas masculin au sens humain du terme. Pourtant, toutes les images de Dieu sont exclusivement masculines et cela influe sur la manière dont nous envisageons les relations entre hommes et femmes. En ce qui concerne la relation au divin, la féminité est considérée comme moins représentative de l’image de Dieu. L’imagination théologique que nous pouvons avoir détermine les relations sociales de genre.

Quelles conséquences pouvons-nous tirer d’un Jésus mâle ? La question clé n’est pas de savoir si Jésus aurait pu s’incarner en femme, mais plutôt de définir si quelque chose dans la féminité la rend inadaptée à représenter le divin. De plus, la soumission de Jésus face à la souffrance et l’injustice a été utilisée pour encourager les femmes à accepter la souffrance et les injustices subies. Celles-ci ont souvent été causées par la violence des hommes et des systèmes patriarcaux.

Chapitre 6 : Les relations de genre et le Nouveau Testament

Très souvent l’Église ne pense les genres que sur la base de quelques versets choisis dans le Nouveau Testament. Ces versets sont parfois appelés « passages difficiles ». Pour élargir le spectre de l’analyse, l’auteure propose de focaliser son attention sur trois points :

  1. Laisser l’ensemble du texte interpeler notre compréhension au sujet des questions de genre. Cela signifie qu’il est nécessaire de rendre le genre visible là où il a été rendu invisible dans les lectures et de se laisser surprendre.
  2. Garder à l’esprit la largeur de la vie d’Église, ainsi que l’expérience et le dialogue que l’on trouve dans le Nouveau Testament. Nous sommes alors invités à rejoindre nous-mêmes cette réflexion.
  3. Dans ce contexte, il faut alors examiner les passages difficiles de l’apôtre Paul à la loupe. Par exemple 1 Timothée 2.8-15. Comme Porter le démontre, il est non seulement possible, mais bien plus plausible de les lire autrement qu’un verdict qui confirme la subordination de la femme à l’homme.

Chapitre 7 : Des hommes et des femmes dans un contexte de post-chrétienté

Ce dernier chapitre est un véritable plaidoyer. Fran Porter propose de lire les textes bibliques avec la grille de « l’amitié » en tête. Elle invite à repenser les rapports individuels entre femmes et hommes sous cette lumière, mais aussi de l’utiliser comme un paradigme pour penser l’humanité comme mâle et femelle.

Les relations d’amitié décrites dans le Nouveau Testament sont subverties en vue d’un nouveau but. Au lieu de lire le pouvoir et le contrôle, l’auteure invite à retrouver une approche qualitativement différente et à lire les textes sous le prisme de l’amitié.

La grande image, celle des relations de pouvoir construites dans un contexte de chrétienté, impacte lourdement notre vie.

 « J’espère que les communautés chrétiennes, en saisissant l’importance à accorder aux questions de genre, s’engageront de façon créative dans leur propre dés-organisation des relations de genre. » (Fran Porter)


[1] Hauerwas utilise indifféremment chrétienté et constantinisme, cf. After Christendom, p.18


PORTER, Fran, Women and Men after Christendom : the Dis-ordering of Gender Relationships, Milton Keynes, Paternoster, 2015, 168 pages.

7 comments on “« Femmes et hommes en post-chrétienté » de Fran Porter #lupourvous

  1. Marc Burnod

    Cet ouvrage semble effectivement très intéressant ! J’espère qu’il sera traduit en français sans trop tarder, pour que nous puissions, nous qui ne lisons pas l’anglais couramment, découvrir à notre tour les propos de Fran Porter de manière plus approfondie ! Cette brève présentation nous a donné en tout cas envie d’aller plus loin. Merci Marie-Noëlle !

    En lisant ce résumé, je « vibrais » intérieurement à chaque mention des « rapports entre les hommes et les femmes », des « rapports de pouvoir entre les sexes », des « relations de domination-subordination », ainsi que de la « collaboration entre hommes et femmes », expressions qui reviennent à plusieurs reprises dans ce texte. En fait, à chacune de ces mentions, je complétais en moi-même « ET AUSSI les RELATIONS SOCIALES entre aisés et démunis, anciens et jeunes, convertis de longue date et nouveaux-nés en Christ »,.. finalement, TOUTES les relations, complètement transformées par la venue et l’enseignement de Jésus, et qui ont été expérimentées dans les « églises de proximité » des premiers temps !

    Car il me semble qu’à la suite du rétablissement de relations relations hommes-femmes permettant enfin l’expression équilibrée de la diversité-égalité-complémentarité souhaitée à l’origine par notre Créateur dans sa sagesse et sa bienveillance, la suite, à venir, est également très prometteuse ! Comme je le partageais le 31 janvier de cette année en commentaire de l’article « Ordre créationnel et autorité », la prochaine étape de cette restauration de saines et justes relations dans l’Eglise sera très certainement le rétablissement complet du Sacerdoce Universel de tous les croyants, comme l’évoque l’apôtre Pierre dans sa première lettre, aux versets 4 à 10 du deuxième chapitre – ainsi que de nombreux textes de Paul au sujet de la diversité des dons et services appelés à s’exprimer dans le Corps . Cette toute nouvelle réalité, parfaitement révolutionnaire à l’époque, et qui a globalement été perdue depuis, est appelée à se manifester à nouveau dans des relations marquées par la bienveillance et l’esprit de service, dans l’humilité et la soumission réciproque. A vivre ensemble à la place de ces relations hiérarchisées qui induisent si facilement la domination et l’excès d’activité des uns, et la passivité consumériste des autres… au détriment de tous !.

    D’ailleurs, cet ouvrage de Fran Porter semble évoquer assez clairement certains éléments de cette réalité à retrouver, qui remet en question « la division entre clergé et laïcs » comme elle le dit elle-même. Quand elle évoque « la collaboration entre hommes et femmes » qui  » était bien plus ouverte et flexible » , « avant que l’Eglise ne se structure aux 2ème et 3ème siècles selon un schéma patriarcal », elle précise que « l’histoire en a gardé d’importantes traces ». Ces traces marquent toujours l’ensemble des relations dans l’Eglise, et sont appelées à être effacées par le retour au type de relations qui prévalait dans l’Eglise des premiers siècles, sous la conduite de l’Esprit ! « Ni hommes ni femmes, ni Juifs ni Grecs, ni esclaves ni libres »: TOUS étaient acteurs et co-responsables les uns des autres, selon les talents et dons de chacune et chacun, dans les communautés vivantes et rayonnantes de ce temps-là. Mais Dieu soit loué, la « phase terminale » de la Réforme est en train d’apparaître, partout où est accueillie humblement l’oeuvre dérangeante (pour nos habitudes et nos traditions) mais salutaire (pour la Nouveauté de Vie en Christ) que le Saint Esprit suscite en notre temps !

    • Lebouc Philippe

      Tout à fait d’accord

    • Je partage pour une large part votre commentaire et votre souhait. Je pense que le mystère de l’Eglise Epouse du Christ, réside dans son caractère familial où chacun est au SERVICE de tous et tous de chacun. Cela n’empêche par la diversité et la complémentarité des divers ministères tels que Paul les énumère, mais cela permet d’unir au don suprême du sacerdoce universel: l’AMOUR ou le don de soi pour ceux qu’on aime. Cela n’exclut pas des ministères différents, mais les ramène à cette fin unique et forcément corrige les excès d’une hiérachie pyramidale et jugeante ou d’une confusion applatissante et individualiste. L’Eglise est un arbre de vie !

  2. Marc Burnod

    Information complémentaire: voir aussi mon récent commentaire à la rubrique « une nouvelle équipe pour de plus amples horizons », dans la même veine…

  3. Ping : Pourquoi l’apôtre Paul ne permet-il pas à la femme d’enseigner (1 Tim 2.12)? – Servir Ensemble – un blog pour stimuler la réflexion sur la collaboration des hommes et des femmes dans l'Eglise

  4. Ping : Ordre créationnel et autorité – Servir Ensemble – un blog pour stimuler la réflexion sur la collaboration des hommes et des femmes dans l'Eglise

  5. Ping : Passion servir ensemble – 15 livres à découvrir! – Servir Ensemble

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