Avez vous déjà écrit ou vu l’invitation suivante pour un culte ou une célébration ?
Cordiale invitation à tou-te-s !
Bien sûr, on aurait tout aussi bien pu écrire: « cordiale invitation à toutes et à tous »… mais soyons honnêtes la formule habituelle est plutôt: « cordiale invitation à tous ».
Grammaticalement, ce n’est pas faux alors pourquoi le questionner? Le sujet de l’écriture inclusive initié par la société vient soulever des questions linguistiques, théologiques et sociologiques passionnantes.
Le journal hebdomadaire Réforme qui propose une réflexion soucieuse des questions de société et des questions spirituelles s’est saisi du sujet et trois articles ont attiré notre attention. Mais d’abord, de quoi s’agit-il?
L’écriture inclusive en quelques mots
L’écriture inclusive – ou le langage épicène, son synonyme – est une manière d’écrire de façon « non sexiste » ou pourrait-on dire « dé-genrée ». Comme le précise le site officiel du canton de Vaud, en Suisse, elle a pour but de:
- Permettre aux femmes comme aux hommes de se sentir également concerné-e-s par les informations;
- Tenir compte de la totalité des destinataires sans privilégier une catégorie ou l’autre;
- Harmoniser les solutions très variables employées par les différents services;
- Contribuer à la construction de l’égalité.
Mais rien de tel qu’un exemple:
- Au lieu d’écrire, en parlant d’un groupe composé d’hommes et de femmes: « vous êtes déterminés à augmenter la collaboration des hommes et des femmes dans l’Église.« ,
- L’écriture inclusive suggère d’écrire « vous êtes déterminé-e-s à augmenter la collaboration des hommes et des femmes dans l’Église. » Tout se joue dans les tirets (ou parfois les points) qui intègrent le féminin à l’écrit pour ne pas noyer les femmes dans la masse du masculin.
L’écriture inclusive est-elle réellement utilisée ?
La question se pose avec une intensité variable dans différents pays de francophonie. Prenons quelques exemples:
- En France, pays latin oblige, le débat reste peu présent. Il est rare de voir apparaître l’écriture inclusive sur des prospectus ou des documents officiels. Le mouvement reste bien souvent circonscrit aux zones de militance. Pourtant certaines lignes bougent peu à peu. L’académie française, qui a affirmé que « devant cette aberration inclusive la langue française se trouve désormais en péril mortel » a très récemment décidé de féminiser les intitulés officiels de l’administration française : quand le chef de cabinet de la ministre est une femme, elle est officiellement une « cheffe ». Dans le même mouvement, le mot autrice, a été réhabilité dans la société civile.
- Au Québec: l’état avait déjà recommandé l’utilisation de l’écriture inclusive en 1979.
- En Suisse romande, l’écriture inclusive est bien plus courante et certains cantons, comme le canton de Vaud n’hésitent pas à insister fortement depuis plus de 16 ans sur son utilisation avec un code bien précis. Dans les autres cantons aussi, le langage inclusif est communément utilisé.
L’option prise est la suivante :
Le langage n’est pas neutre, il reflète les structures et les rapports de force d’une société. De Gabrielle Chanel, on dit qu’elle était un grand couturier, alors qu’une couturière est une petite main du métier…. Mais la langue évolue.
Le Monde, 29 septembre 2005
Qu’en penser ?
L’égalité ne passe pas par une action sur la langue
Pour certain-e-s, comme le linguiste Christian Bassac (voir son article), l’écriture inclusive est une mauvaise réponse grammaticale à un vrai problème de société. Comme il l’affirme: « aucune langue n’est sexiste. Certains hommes le sont. » Pour lui, « la légitime et nécessaire lutte des femmes pour l’égalité avec les hommes ne passe pas par une action sur la langue. Cela est un combat perdu d’avance. » Il croit qu’il est nécessaire de mener des actions de rééquilibrage afin que cela s’inscrive ensuite dans la langue.
Quand on commence à transformer notre usage des mots, on commence aussi à changer notre perception de la réalité, et donc la réalité elle-même
Pour d’autres, il est essentiel de faire évoluer le langage afin de pointer le déséquilibre et de rendre les femmes davantage visibles. Valérie Nicolet prend le contre-pied de Christian Bassac dans son article, « la laideur de l’écriture inclusive doit nous pousser à la créativité ». A cause de la lourdeur de l’écriture inclusive, elle ne milite pas pour son utilisation dans la vie de tous les jours, mais pour les publications officielles.
Elle rappelle que :
- le principe français du « masculin qui l’emporte sur le féminin » n’est pas innocent.
- L’écriture inclusive redonne de la visibilité aux femmes à l’écrit.
- L’écriture inclusive, dans sa laideur même, dans sa lourdeur, dans sa maladresse, a au moins le pouvoir de nous faire hésiter sur un mot, sur une expression : c’est quoi ce truc ils.elles ? C’est quoi ce métier de « factrice » ou de « pasteure » ?
Nos mots façonnent la réalité et ne font pas que la refléter. Comme Valérie Nicolet le dit si bien :
Quand on commence à transformer notre usage des mots, on commence aussi à changer notre perception de la réalité, et donc la réalité elle-même.
Pointer « ce qui n’est pas encore » et qui devrait être
Comme le suggère Pierre Encrevé dans son article « L’écriture inclusive pour interpeller le pouvoir sur l’inégalité salariale« , utiliser l’écriture inclusive est une bonne manière de pointer ce qui n’est pas encore et qui devrait être en matière d’égalité.
Le « pas encore » rejoint les chrétiens dans ce royaume auxquels ils aspirent et qu’ils sont appelés à annoncer de façon prophétique. Pourquoi ne pas tenter l’aventure d’inclure explicitement le féminin dans une publication officielle?
Alors, partant-e-s?