Progresser en Église

Quand les hommes prennent soin des tout petits…

Oh ! C’est rare de voir un homme en crèche ! Ça doit faire du bien…

C’est la phrase que j’ai peut-être la plus entendue en tant qu’Éducateur de Jeunes Enfants, lorsque je rencontre quelqu’un sur mon lieu de travail: qu’il soit collège ou parent d’un enfant accueilli.

Bien qu’elle soit pleine de bonnes intentions, je n’en doute pas, cette phrase commence à m’user à force. Mais à qui cela est-il sensé faire du bien ? Ce n’est jamais très clair pour moi…

  • Aux parents qui ont un vis-à-vis différent ?
  • Aux enfants qui font face à un autre visage, plus inhabituel ?
  • Ou aux collègues, au prétexte qu’une présence masculine est un atout indispensable pour désamorcer toute sorte de conflit ?

À l’inverse j’ai pu entendre l’argument porté dans l’autre sens. Mais qu’est-ce qu’un homme va faire en crèche ?

Parcours personnel

Enfin, pour être honnête j’ai été plutôt préservé. Ma famille m’a toujours encouragé ; mes amis n’ont pas été trop surpris ; ce n’était pas un sujet contentieux. Mais plus largement autour de moi ou de la part de certains parents, je peux entendre des réserves, des doutes sur ma capacité à prendre soin, à m’occuper de petits êtres. On va se demander si je peux être tendre, rassurant, « maternant »…

Materner, c’est le terme utilisé couramment dans le milieu de la petite enfance pour décrire la prise en charge de plus petits : changer les couches, donner du lait, jouer. Le terme est défini ainsi : « prendre soin comme une mère ». C’est ce qu’on attend de moi, et non pas que je « paterne ». Drôle de choix de carrière…

D’ailleurs, même si on ne m’a pas découragé à poursuivre cette voie, c’était souvent suivi d’une attente d’évolution professionnelle. Je peux faire le diplôme d’Éducateur Jeunes Enfants en vue de devenir cadre du social ou devenir responsable d’une structure. Dès les premiers jours de ma formation, je me souviens d’un intervenant qui a dit à l’ensemble de la promotion:

« Les hommes dans ce métier finissent tous dans un bureau. »

Évoluer entre toutes ces injonctions, celle d’être « l’homme de la crèche », celle d’être « maternant », celle de « faire preuve d’autorité » est un challenge de tous les jours. Mes collègues ont dû apprendre que le fait d’avoir un chromosome Y n’empêche pas de faire apparaître les tensions ou ne m’handicape pas pour le change des couches

Un rêve

Finalement, cette question m’agace, car j’aimerais ne plus avoir à entendre « c’est rare de voir un homme en crèche ». Je rêve d’un monde où les hommes se sentiraient plus concernés par les plus petits, mais aussi les plus âgés, les plus faibles, les plus démunis. Si on en trouve souvent dans des postes de direction, ils sont beaucoup plus rares dans les professions qui appellent au soin, à la tendresse. Et même au-delà du cercle du travail salarié, les hommes sont souvent absents de la prise en charge du quotidien. Combien d’hommes à la garderie le dimanche à l’église ? Combien de pères aux rendez-vous chez le pédiatre pour le nouveau bébé ?

S’occuper des enfants, un « truc de fille »?

En même temps, je ne suis pas trop surpris. Un coup d’œil dans les catalogues de Noël qui traînent encore dans la maison fait ressurgir les « jouets garçons » (comprenez tracteurs et pistolets) et les « jouets filles » (poupées et dînettes).

Je me souviens encore vivement d’une fête de Noël de l’église dans laquelle j’ai grandi. Je devais avoir entre 8 ou 9 ans, on m’avait assigné le rôle de Joseph. Un petit poupon faisait office de Jésus. Il était impossible de me le faire lâcher. J’étais tellement heureux d’avoir cette poupée, de la cajoler dans mes bras comme un vrai petit… En tant que bon dernier de fratrie, je n’avais pas encore été confronté à beaucoup de bébés, et c’était une vraie joie d’avoir ce jouet que ni l’école, ni la famille ne m’avaient vraiment proposé un jour.

Je me souviens d’une maman qui m’a demandé un jour si le fait que son garçon aime tellement jouer aux poupées ne le rendrait pas homosexuel plus tard. C’est ce genre de réflexion qui me fait dire que nous avons encore beaucoup de chemin à faire dans notre société.

Je pense que de la même manière que les femmes sont empêchées de prendre des places à responsabilités et/ou d’autorité, les hommes sont évacués de la sphère du care, ce mot qu’on pourrait définir comme le soin « tendre ». Et je ne veux pas dire cela comme un acte conscient, violent, orchestré contre les hommes ; mais simplement comme une tendance à ne même pas le suggérer, comme une évidence. Et nous retrouvons la même dynamique dans l’Église, où on a plus vite tendance à proposer à un homme de faire une présidence que de s’occuper de la garderie.

Parallèlement, les hommes doivent se sentir concernés par ces sujets. S’occuper d’enfants ne remet pas en cause sa masculinité quoi que ce mot veuille dire. C’est laisser une place à la tendresse, à l’écoute, au jeu, à la patience.

Chacun et chacune a sa place dans les métiers du soin ; il nous faut plus de diversité. Pas pour des raisons abstraites, mais pour s’assurer que tout le monde trouve sa place et sa vocation. Il ne faudrait pas qu’un adolescent ne considère même pas travailler dans la petite enfance car « c’est un truc de fille ».

Quelques pistes d’actions

Pour conclure, je vous propose quelques pistes d’actions pour encourager petit garçon et petite fille à ne pas se sentir enfermés dans leurs modes de fonctionnement.

  • Lorsque vous offrez ou que vous achetez pour vous des albums jeunesse, intéressez-vous à ceux qui présentent des hommes ou des femmes dans des positions moins courantes. C’est ce genre d’image qui aide déjà à former l’esprit dès le plus jeune âge. Évitez les séries genre « petit garçon », « petite fille » qui sont rarement les meilleurs exemples de diversité. (cf. sous l’article).
  • Mettez à disposition de vos enfants des jouets de toutes sortes, qu’ils puissent vous imiter et « faire semblant ».  Des poupées, des outils, de la dînette, tous les petits garçons et les petites filles apprécieront !
  • Dans les Églises, encouragez les hommes à s’occuper de la garderie ou de l’école du dimanche. Proposez aux jeunes de donner un coup de main, c’est l’occasion pour eux de voir un aspect du service trop souvent négligé !
  • À l’inverse, conviez les dames et les adolescentes aux temps de bricolage, réparations en tout genre. Ne créons pas de barrières là où elles ne sont pas nécessaires !

On apprend de ce qu’on observe autour de nous, et c’est tellement vrai pour les plus petits. Montrons-leur un exemple où homme et femme peuvent faire preuve d’amour et de tendresse pour tous.

Corentin Haldemann


Nous vous recommandons cette vidéo (3’18) en anglais où une mère et sa fille éliminent d’une bibliothèque tous les livres dans lesquels:

  • Il n’y a pas de personnage masculin (3)
  • ceux où il n’y a pas de personnages féminins (76),
  • ceux où les personnages féminins ne parlent pas (141),
  • Enfin, tous les livres où les personnages féminins qui parlent n’ont aucune aspiration, aucun rêves et attendent simplement leur prince. Quand tous les livres de princesses ont été enlevés… il ne reste presque plus rien!

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3 comments on “Quand les hommes prennent soin des tout petits…

  1. Un inconnu connu

    Merci pour ce texte qui donne une belle perspective et une approche du Care masculin/féminin. I’m proud of you!!!

  2. Bonjour Corentin et MERCI pour votre choix de vie qui fait tomber un préjugé tenace.
    Moi-même j’ai été surprise de constater que mon mari comprenait mieux les enfants que moi !
    Il faudrait faire évoluer le vocabulaire, remplacer  » école maternelle  » par école des tout petits,
    des bambins ou des moutards………….

  3. Raymonde Blondeau

    Oui, merci Corentin d’avoir OSE suivre votre « penchant » pour les tout petits…
    En hébreu OSE est une façon de nommer la FORCE…
    Raymonde Blondeau

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