« Jésus, l’homme qui préférait les femmes » est un livre à la fois audacieux et simple !
Audacieux par son titre qui résume la thèse centrale de l’auteure : Jésus, que l’histoire et la tradition dépeignent constamment entouré d’hommes et en interaction principale avec des hommes, ‘préférait’ être en relation avec des femmes ! La thèse est osée, puisque tout en s’opposant aux lectures habituelles (qui placent Jésus et les douze disciples au centre des évangiles) elle aborde avec humour les problématiques de genre sans même en avoir l’air. Rien de ‘sexuel’ cependant dans l’affirmation… Histoire de rassurer tout le monde !
Simple par le moyen choisi par l’auteure pour démontrer sa thèse : l’attention concentrée sur la qualité des relations que Jésus entretenait avec elle permet de dégager des points de vue largement passés sous silence lorsque les lectures sont effectuées par des hommes seulement.
Christine Pedotti fait ainsi le pari que malgré la masculinité de tous les auteurs des évangiles, les textes contiennent suffisamment d’indices clairs de ce que Jésus vivait avec les femmes pour démonter les compréhensions partielles et misogynes traditionnelles.
Elle montre que nos yeux n’ont pas su, ou pas pu voir parce qu’ils n’ont pas été formés à lire tout simplement ce qui est écrit.
Et ça marche ! Au fil des chapitres, l’auteure déroule son fil d’Ariane à travers les textes pour nous faire entrer dans un monde nouveau où :
- La maternité n’est plus le lieu unique de vie, d’accomplissement des femmes. La figure de Marie sa mère, le peu de places que les évangiles lui réservent, mais aussi les différentes paroles du Christ à son égard sont étudiées et servent à redéfinir la destinée des femmes.
- De même le mariage va être l’objet d’un repositionnement particulier grâce au focus positif placé sur le célibat. Mais c’est un célibat volontaire dont parle Jésus. Un célibat qui ne cherche pas à fuir le sexe opposé : Jésus lui-même célibataire, est proche des femmes et il démontre qu’il connait bien l’univers féminin, son quotidien, puisqu’il en fait même le lieu d’une partie de son enseignement !
Dans l’environnement immédiat du Christ apparaissent ainsi des femmes diverses dont les noms ont rarement été retenus, patriarcat oblige, mais qui toutes son l’objet d’interactions diverses et surtout d’enseignements. - Jésus les voit : Pour lui, les femmes ne sont pas invisibles. Bien plus il les regarde. L’auteure montre la qualité du regard et de l’attention que Jésus porte aux femmes : La petite veuve de Jérusalem, la veuve de Nain, la femme courbée défilent sous nos yeux et nous réalisons soudainement combien, oui, l’attitude de Jésus prouve son intérêt pour elles, l’estime qu’il leur porte.
- Jésus les admire : L’épisode de la femme syro-phénicienne qui arrache à Jésus la guérison de sa fille possédée est longuement commenté, de même que son comportement avec Marthe qu’il traite « d’homme à homme ». Expression légèrement choquante au point de départ, mais ô combien heureuse !
Oui, Jésus traite les femmes d’homme à homme !
- Jésus leur parle: Alors que les disciples ne parlent jamais directement avec elles, Lui, parle avec les femmes et bien plus encore, puisqu’il entame avec elles des conversations théologiques ! Ainsi, avec la samaritaine à qui il confie pleinement qui il est et le cœur de la volonté de Dieu : Une révélation aussi précieuse que « Dieu est esprit et il faut que ceux qui l’adorent, l’adorent en esprit et en vérité » est confiée à une femme dans une discussion théologique décisive. Improbable Jésus !
- Jésus libère les femmes de l’enfermement dans le service domestique et les accepte comme disciples. L’auteure affirme que dans l’épisode de Marthe et Marie, Jésus « libère les femmes de leur assignation à une identité de genre ». Jésus libère également les femmes de l’opprobre et du déshonneur lié aux ‘fautes sexuelles’ ; l’épisode de la femme adultère est lu et compris comme l’annulation d’une injustice envers les femmes trop souvent jugées seules coupables, comme la libération de l’emprise et de la domination des hommes sur elles.
- Jésus touche les femmes et se laissent toucher par elles, ce qui est proprement scandaleux pour un juif pieux, puisqu’on ne sait jamais à quel moment une femme est impure à cause de ses menstruations, il vaut donc mieux ne jamais les toucher ! De « femmes sujettes à des épisodes d’impureté », elles étaient devenues des « êtres potentiellement impurs risquant d’inoculer l’impureté à des êtres purs ». L’épisode de la femme aux douze années de perte de sang témoigne de la réhabilitation physique, mais aussi psychique et sociétale, tout autant que religieuse. De même l’épisode de l’onction de Béthanie prend ici un sens tout à fait nouveau puisqu’il est comparé à un geste prophétique et décrit par Jésus comme un geste mémoriel malheureusement ‘oublié’ par l’histoire chrétienne que les hommes ont écrite!
- Jésus confie la bonne nouvelles de la résurrection aux femmes. Femmes au pied de la croix alors que les hommes fuient. Femmes au tombeau alors que les hommes se cachent… L’auteure se pose la question du pourquoi. Pourquoi les femmes sont-elles encore là, assurant la continuité de l’histoire du Christ avec l’humanité alors que les hommes n’y sont plus ? C’est ici qu’elle lit la cause de cette préférence qui relie Jésus aux femmes. Jésus préfère les femmes non pas à cause de leur genre, mais peut-être à cause de la profondeur de leur amour…
- Le dernier chapitre va plus loin et met en lumière la cause de cet amour profond des femmes à l’égard de Jésus. Les femmes font partie de la catégorie des ‘petits’.
Les petits, ces personnes violentées, humiliées, rejetées, que Dieu voit et qu’il choisit toujours de relever, lui qui est venu pour ‘disperser les superbes’…
J’ai beaucoup apprécié le livre de Christine Pedotti. Sa lecture est aisée, son style souple et simple. Sans exégèse lourde, elle lit les textes en allant directement au cœur de ce qui fait sens et que trop souvent nous ne voyons plus. Elle met en évidence des liens passés inaperçus et montre les conséquences qui auraient dû être tirées de certains actes du Christ et qui ne l’ont pas été.
(Sa lecture de l’un des deux textes d’onction du Christ comme étant l’équivalent d’un geste de prêtrise est tout simplement saisissante !)
Je ne vous en dis pas plus…
Joëlle Sutter-Razanajohary
Découvrez aussi une courte vidéo avec Christine Pedotti sur la chaîne YouTube de Campus Protestant.