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Fraternellement, vraiment ?

« Fraternellement » est devenue la salutation la plus courante à la fin d’un courriel entre chrétiens. Ce mot a l’avantage d’être court et pratique. Il rappelle au destinataire qu’on lui écrit en tant que frère en Christ ; c’est-à-dire comme un enfant d’un même père spirituel.

Alors que dans le temps, les formules de salutations en fin de courrier étaient bien plus longues et, osons-nous le dire, bien plus pompeuses, un simple « fraternellement » clôture aujourd’hui un courriel avec bienveillance.

En tant que frère

« Fraternellement » renvoie au mot « fraternel ». Frater, en latin, signifie « le frère ». Il est donc spécifique au masculin. Ce n’est que dans son pluriel, fratres qu’il peut faire référence de manière générique à un groupe mixte. Fraternellement signifie littéralement « en tant que frère ». D’ailleurs, il est intéressant de constater que « fraternel » est défini par le dictionnaire historique de la langue française[1] comme un qualificatif utilisé en premier lieu pour définir les relations qui unissent les chrétiens; les frères.

Si « fraternellement » renvoie au masculin spécifique, peut-il avoir un sens générique qui englobe le féminin ? C’est la beauté de la langue française me direz-vous, « le masculin l’emporte sur le féminin » ; c’est la règle ! Deux frères sont des frères, un frère et une sœur sont aussi des frères ! Pour les courriels, cela signifie qu’un échange entre deux hommes tout comme un échange entre un homme et une femme peuvent être « fraternels ».

En tant que sœur

Si fraternellement peut s’utiliser entre hommes et entre hommes et femmes, que se passe-t-il quand une femme écrit à une autre ? Peut-elle saluer par « fraternellement » elle aussi ? Deux femmes peuvent-elles être frères ? Non bien sûr, elles sont sœurs.

En toute logique, elles devraient donc signer « sororalement ». Ici encore le dictionnaire historique de la langue française est intéressant. « En latin, le nom soror est le nom donné à une chrétienne par les chrétiens »[2] Quant à « sororal », « l’adjectif est employé », à la fin du XVIIIe siècle, « en parlant de l’harmonie qui règne entre deux femmes. »[3] La sororité est clairement l’équivalent féminin de la fraternité. Vers 1970, avec l’élan féministe, ce terme a été utilisé pour marquer « la solidarité des femmes entre elles ». Non sans surprise, de nombreuses chrétiennes peinent à utiliser « sororalement » parce que cela sonne pour elle comme une revendication et un appel à la solidarité en vue de la guerre des sexes. « L’union fait la force », comme on dit.

En Christ

Pour ma part, j’ai choisi d’abandonner définitivement la formule « fraternellement » ainsi que la formule « sororalement ». A la place, je préfère la formule « en Christ ». Elle a le mérite de n’insister ni sur la masculinité, ni sur la féminité puisque là n’est pas l’essentiel. En tant que femme, je ne suis le frère de personne et je ne me définis pas d’abord en tant que femme dans mon contact avec d’autres femmes. Par contre, j’aime souligner aux destinataires masculins et féminins de mes courriels, l’appartenance à une même famille spirituelle et la dépendance à un même père. Plus encore, je souhaite marquer que cette appartenance à une même famille spirituelle ne peut se faire qu’en Christ qui donne son nom et son identité à chacun de ses enfants ; lui qui a su montrer une nouvelle voie dans le rapport entre les hommes et les femmes ; qui a su restaurer les femmes en tant que vis-à-vis des hommes dans le peuple de Dieu comme il l’avait prévu à la création; qui a proposé un nouveau paradigme où le genre n’est plus discriminatoire pour le salut et pour le service.

Salutations en Christ,

Marie-Noëlle Yoder


Références

[1] « Fraternel, elle », Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain Rey, Editions Le Robert, Mars 2006.

[2] Sous « Sœur »

[3] Idem


Ne manquez pas l’article de Marie-Noëlle Yoder sur l’écriture inclusive et la vidéo de Jean-Marc Bellefleur sur le même sujet !

Marie-Noëlle Yoder est directrice du département francophone du centre de formation du Bienenberg (BL, Suisse) où elle enseigne la théologie pratique et l'éthique. Elle est également pasteure dans une Église mennonite (BE, Suisse).

13 comments on “Fraternellement, vraiment ?

  1. Merci l’explication est intéressante et j’y adhère aussi, cependant, j’ai pris l’habitude d’utiliser un mot qui n’existe pas, je féminise le fraternel, j’écris soeurel(le) soeurellement, « bien soeurellement », dans ma pensée, cela signifie c’est en tant que soeur en Christ que je vous salue, que je m’adresse à une femme ou un homme dans le Seigneur. C’est peut-être un caprice, mais je vous rejoins dans le fait de ne pas disparaître dans la salutation « fraternellement ».
    Avec mon affection et mes salutations en Christ.

    Nathalie

    • Marie-Noëlle Yoder

      Soeurellement, c’est une option originale! 😉

  2. Girardin

    Je trouve cette suggestion apaisante et plutôt sage, surtout en cette période où toute tentative d’expliquer son point de vue, dans quelque domaine que ce soit, est reçue comme une agression… 🙂

  3. Une des mes amies essaye de réhabiliter « adelphie » au lieu de « fratrie », du grec adelphos (frères) ou adelphe (soeurs), qu’elle décline « adelphiquement » en signature de mail. J’aime bien aussi!

    • Marie-Noëlle Yoder

      Oui, j’ai déjà vu cette salutation là. J’ai déjà vu des femmes qui écrivaient « adelphement » (ça fait moins elfique qu’adelphiquement ;))… Tu vas l’utiliser?

  4. Pierre-Yves

    Merci pour cette perspective á laquelle je n’avais pas pensé.
    J’envoie des dizaines d’emails chaque jour, que je terminais généralement par «Faternellement». Désormais je mettrai «En Christ» qui seul reflète notre veritable statut et situation.

  5. heraud patricia

    Merci je note bien en Christ votre sœur bien aimes du seignzur

  6. Louna C

    Merci pour cet article !
    J’ai regardé « fraternel » sur larousse.fr et voici :

    du latin fraternus
    – Qui se rapporte à des frères et à des sœurs, au lien qui les unit : L’amour fraternel.
    – Qui a lieu entre personnes unies comme frères et sœurs : Un partage fraternel.
    – Qui a comme des sentiments de frère pour quelqu’un : Une aide fraternelle.

    J’ai le sentiment que, d’après Larousse, le mot « fraternel » est désexué. Et donc fraternellement aussi.

    • Marie-Noëlle Yoder

      Bonjour Louna,

      Merci pour cette vérification. Par curiosité, de quelle année est le dictionnaire? Je n’ai pas pu vérifier dans des dictionnaires récents mais cela ne m’étonne pas que le masculin soit noté comme incluant les frères et les sœurs. Les mots adoptent peu à peu une définition plus inclusive avec l’évolution de la société. Dans la Bible les traductions disent aussi souvent « frères et sœurs » alors qu’il n’y a que « frère » en grec… 😉 ! Comme je l’ai souligné dans l’article, l’origine de fraternellement est spécifiquement masculine, mais chacun.e est libre de continuer à l’utiliser ou non, bien sûr!

  7. Merci pour l’article, il tombe bien, parce que je me demandais ce que je pouvais écrire à la place de « fraternellement », et j’aime beaucoup votre proposition.

  8. Myriam

    Moi aussi jaime l’idée de regarder à Jésus jusque dans nos signatures.
    Donc pour moi ce sera:
    En Christ, votre soeur….

  9. Ping : « Histoire de la misogynie » de Lançon et Gargam #lupourvous – Servir Ensemble

  10. Beau message d’édification. M E R C I

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