Actualités

Féminisme – biblique ?

J’ai été invitée pour animer un cours biblique sur le «féminisme biblique». J’entends déjà certains d’entre vous pousser des hauts cris et d’autres s’indigner de ces mêmes cris. «Féminisme» et «biblique», quel curieux et dérangeant attelage!

Féminisme

« Féminisme » est un mot si chargé qu’il a même son abécédaire des gros mots. L’utiliser ou s’en revendiquer c’est bien souvent risquer le malentendu.

Dans les représentations populaires, le féminisme est vu comme l’idéologie revendicative de femmes assoiffées de pouvoir et prêtes à tout, quitte à user de violence, pour renverser le patriarcat en faveur d’une société où les hommes seraient à leur botte. Les féministes ont parfois été appelées féminazies par leurs détracteurs. Peu engageant n’est-ce pas ?

Face à cette déformation, revenons aux essentiels avec la définition donnée par Wikipédia: « Le féminisme est un ensemble de mouvements et d’idées politiques, philosophiques et sociales, qui partagent un but commun : définir, établir et atteindre l’égalité politique, économique, culturelle, personnelle, sociale et juridique entre les femmes et les hommes. Le féminisme a donc pour objectif d’abolir, dans ces différents domaines, les inégalités homme-femme dont les femmes sont les principales victimes, et ainsi de promouvoir les droits des femmes dans la société civile et dans la vie privée. »

Ce mouvement issu de la société civile, dont se revendiquent aujourd’hui des hommes et des femmes, a profondément marqué les esprits occidentaux. Les changements sociétaux (droit de vote, lutte contre les discriminations, etc.) ont conduit à questionner les anciennes façons de faire pour laisser la place à de nouvelles. Le travail féministe des dernières décennies se traduit aujourd’hui de façon toute concrète dans des lois et des droits.

Il y a aussi eu des changements dans l’Église. Pendant des siècles, la culture patriarcale (supériorité de l’homme sur la femme) ambiante a influencé la manière de lire les textes bibliques. Ces dernières décennies la culture a changé et a rendu l’Église progressivement capable de porter un nouveau regard sur les textes, de découvrir autrement le message dont ils sont porteurs.

Biblique

La question du « féminisme biblique » peut donc être posée ainsi : «Y a-t-il dans le texte biblique, et tout particulièrement dans les évangiles qui en sont le centre, un mouvement politique et social qui favorise et souligne l’égalité religieuse, économique, culturelle, personnelle, sociale et juridique entre les femmes et les hommes ?» Cette question n’est pas lancée à la légère. La réponse a des répercussions toutes pratiques.

Pour le dire autrement et avec une pointe d’humour, « la femme est-elle, dans la Bible, un homme comme un autre?« 

Le questionnement du féminisme biblique amène à poser un nouveau regard sur les textes et à découvrir ce que l’on n’était peut-être pas capable de voir jusqu’alors.

Un exemple de changement de regard

Prenons simplement la question – récente ! – de l’égalité en valeur et en dignité des hommes et des femmes créés ensemble à l’image de Dieu (Gn 1.27). Cette égalité de valeur est aujourd’hui majoritairement acceptée et les voix de ceux qui défendent une infériorité de valeur de la femme se sont heureusement faites rares. Pourtant cette voix a été massivement portée tout au long de l’histoire de l’Église :

  • Pour Aristote la femme n’est qu’un réceptacle de la vie, une « marmite » pour reprendre l’expression (anachronique) de Françoise l’Héritier.
  • Pour Saint-Augustin, « La femme elle-même n’est pas l’image de Dieu alors que l’homme l’est aussi pleinement et aussi complètement que lorsque la femme lui est adjointe.»
  • Pour Thomas d’Aquin : « La femme est un mâle manqué ; elle est par nature soumise à l’homme parce qu’en l’homme la raison prédomine. »

Ces propos nous semblent choquants aujourd’hui. Pourtant, l’égalité en valeur et en dignité aujourd’hui reconnue comme évidente dans les textes bibliques n’a longtemps pas été admise par l’Église. En 1957, il y a à peine 60 ans, le Pape Pie XII est le premier pape à affirmer l’égalité en valeur et en dignité :

L’homme et la femme sont les images de Dieu et, selon leur mode propre, des personnes égales en dignité et possédant les mêmes droits sans qu’on puisse soutenir en aucune manière que la femme soit inférieure. [1]

Le mouvement égalitaire présent dans le texte biblique n’a pas toujours été accueilli à travers l’histoire. Aujourd’hui, pour la première fois dans l’histoire du christianisme, les hommes et les femmes peuvent étudier les textes ensemble et cela change bien des choses.

Une image

Prenons l’image de deux trains. L’un, l’idéologie des féminismes séculiers et l’autre, celui de la pensée biblique. Chacun d’eux a une destination différente : pour les féministes la destination sera atteinte lorsque l’égalité humaine sera achevée sur les plans économiques, sociaux, juridiques etc. Cependant, cette destination à elle seule ne saurait satisfaire ceux qui se placent dans une perspective biblique. Le train de la pensée biblique arrivera à destination lorsque « la volonté de Dieu sera faite sur terre comme au ciel » – lors du retour du Christ en gloire – Quand Dieu sera en tout et en tous. En d’autres terme, elle se focalise d’abord sur Dieu et son plan de salut pour l’humanité.

Ces deux trains n’ont pas la même destination mais ils s’arrêtent à des stations communes : l’égalité en dignité et en valeur des créatures de Dieu comme nous l’avons vu, mais aussi la volonté que chacun et chacune trouve sa place dans un vivre ensemble harmonieux et respectueux de ceux et celles qui s’y trouvent – une Église unie, solidaire et aimante pour la gloire de Dieu!

L’attitude et les paroles de Jésus vis-à-vis des femmes continuent à interpeler les passagers des deux trains. Il n’a pas hésité à enfreindre les codes de son temps et n’a jamais enfermé ses auditrices dans un rôle prédéterminé. Il s’est adressé à elles directement, sans passer par leurs maris contrairement aux coutumes juives. Au contraire, il les a restaurés dans leur dignité en appelant une femme « fille d’Abraham » (Lc 13 .16), en laissant et encourageant Marie à étudier à ses pieds en tant que disciple (Lc 10), en recevant l’onction, un acte de prêtrise, de Marie de Béthanie (Jn 12), en mandatant Marie-Madeleine de proclamer, littéralement prêcher, la résurrection (Jn 20.19-23) et de multiples autres manières.

Bref, j’ai été invitée pour animer un cours biblique sur le « féminisme biblique ».


[1] Allocution de PIE XII à l’Union mondiale des organisations féminines catholiques, « La mission et l’apostolat de la femme catholique » (29 septembre 1957), la documentation catholique 1263, 1957, col. 1349-1362, ici : col. 1352.

Marie-Noëlle Yoder est directrice du département francophone du centre de formation du Bienenberg (BL, Suisse) où elle enseigne la théologie pratique et l'éthique. Elle est également pasteure dans une Église mennonite (BE, Suisse).

13 comments on “Féminisme – biblique ?

  1. très bon article

  2. Chanas-Gobert Colette

    Merci pour votre article. Je suis pasteure à la retraite de l’Eglise protestante unie de France et je travaille actuellement sur les femmes de la Bible (quelques unes) . J’ai lu le livre de votre collègue « Qui nous roulera la pierre ?  » Merci à elle aussi.
    Comment retrouver les noms des peintres et peintures que Splatt commente ? Merci.

    • Marie-Noëlle Yoder

      Merci pour votre message! Pour splatt je vais lui demander mais je ne sais pas si les sources sont traçables … Bon courage pour votre travail! Il y a eu de bonnes publications à ce sujet. Notamment récemment « Jésus l’homme qui préférait les femmes » dont nous aurons prochainement une recension sur le blog !

  3. J’ai justement entendu un sermon super ce matin sur la femme que Jesus appelle à venir devant à la synagogue et nomme « fille d’Abraham »! Belle corrélation de lire cet article en rentrant du culte.

  4. Je m’appelle Job Eli Arias Sanchez,
    J’ai etudié a l’université Biblique de Costa Rica ou le feminisme es tres forte, et d’apres dedans je peut dire d’au vienne cette ideologie, quelles sons les fondamentationes. Je susis evangelique et je pens que il faut preparer l’eglise pour se savoir defendre de n’importe quel ideologie, le feminisme n’est pas l’unique idelogie.
    Ce que je trouve ici en Suisse est-ce que les membres des eglises evangelique ne sont pas bien preparé pour se defendre. les etudes bibliques son tres superficials, il n’y a pas fondamentacion en la doctrine evangelique biblique. et Ca doit se travailler.
    je prie Dieu pour les eglises ici, je suis peruvien marie avec une suisse et d’apres mars j’habite en Suisse.

  5. MYRIAM LEBOUC

    Merci pour ce partage.
    Que Dieu vous conduise dans cette rencontre. Soyez bénissante 😊

  6. Merci pour cette présentation du féminisme, claire et synthétique !
    Bon vent (souffle) pour votre ministère !

    P.S. L’allocution de Pie XII a 60 ans.

    • Marie-Noëlle Yoder

      Merci Robin! Oui, que le vent souffle! Et merci pour le calcul, j’ai corrigé 😉

      • Je suis vraiment content que l’égalitarisme ait une voix en francophonie.
        Notre Union des Églises Évangéliques de Réveil de Suisse a (enfin !) reconnu en AG le ministère pastoral féminin, en février.
        Il y a encore quelques murailles à faire s’écrouler ; si je prends pour exemple la prise de Jéricho, il faut marcher encore et emcore, et savoir pousser de grands cris (oui, l’herméneutique est ici incertaine, mais ça m’a amusé d’évoquer cet épisode biblique). 🙂

  7. Bel article!
    C’est justement à cause des incompréhensions autour du mot ‘féminisme’ que celles et ceux qu’on appelait ‘biblical feminists’ aux Etats-Unis sont devenus des ‘egalitarians’ défendant l’égalité biblique. Dans les deux cas, l’essentiel pour les évangéliques est le mot ‘biblique’. Je considère que Dieu lui-même est le premier Féministe car c’est lui qui a crée la femme.

  8. Ping : Féminisme – biblique? – Marie-Noëlle Yoder

  9. Ping : “Pionnières : comment les femmes sont devenues pasteures” de Lauriane Savoy, #lupourvous – Servir Ensemble

Laisser un commentaire

En savoir plus sur Servir Ensemble

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading