Progresser en Église

Boîte à outils : Comment faire face aux conflits (de genre et autres) dans l’Église ?

La question de la violence exercée face à celui ou celle qui n’est pas d’accord avec moi s’avère centrale aujourd’hui. La ‘guerre des sexes’ existe depuis que le monde est monde, et selon toutes probabilités ne cessera jamais, tant que le monde restera monde, dit la sagesse populaire. Qu’en sera-t-il dans l’Église ?

La crispation identitaire aujourd’hui bien installée dans les mœurs poussera-t-elle nos concitoyens à s’éloigner de tous ceux qui ne pensent pas, et ne vivent pas comme eux ? En tant que chrétiens, allons-nous, nous aussi tomber dans les travers du communautarisme, rejetant tous ceux qui à cause de leurs différences de convictions semblent mettre en danger nos propres convictions ? Nous avons vu poindre des Églises de jeunes pour les jeunes, à rebours de ce que préconise l’ensemble des Écritures, verrons-nous un jour des Églises de femmes pour les femmes, des Églises d’hommes pour les hommes, de « vieux » pour les « vieux » ?

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Le constat est sans appel : Il nous faut d’urgence apprendre à supporter et à régler nos conflits afin que même en cas de désaccord nous soyons capables de « marcher ensemble d’un même pas » (Philipiens 3 :15).

Mais dans ce cas, que faire de ses convictions ? Comment les vivre dans une communauté de foi fermée à une plus grande participation des femmes (ou des jeunes) sans en arriver à se battre, où à se faire battre ? Ou du moins, s’il le faut en se battant dans la justice du royaume ? Comment Jésus aurait-il réagi face à quelqu’un (une femme ?) qui lui aurait réclamé quelque chose qu’il ne voulait pas lui donner ?
L’évangile de Matthieu nous propose au chapitre 15, un de ces ‘jours de débats et de controverse’, riche d’enseignements pour notre sujet d‘aujourd’hui.
Des versets 1 à 20, Jésus débat avec les Pharisiens concernant la ligne de démarcation entre le pur et l’impur avec comme toile de fond le problème de la tradition, qui est préférée aux ordres de Dieu. Des versets 21 à 28, Jésus rencontre une femme avec laquelle il est également en désaccord, mais elle finit par l’emporter, alors que la situation était identique en apparence.

Pourquoi cette femme obtient-elle gain de cause et pas les pharisiens ? Comment les deux conflits sont-ils gérés ?

Jésus vs pharisiens

Les rencontres entre Jésus et les principaux groupes en activité sur la plate-forme religieuse de Jérusalem, ont toujours été houleuses et tout particulièrement lorsque Jésus abordait le cœur de la foi juive : Comment plaire à Dieu, comment vivre ma relation avec lui ! L’Ancien Testament avait résolu le problème : Il y avait la Loi ! Jésus annonçait une révolution : Pour le Nouveau Testament, être pur, c’est être en Christ, c’est placer sa confiance en lui.
La différence est radicale et ne pouvait que provoquer le conflit: Jésus le gère en refusant de se justifier ! Il n’explique rien, mais replace le sujet dans un cadre bien plus large en montrant combien l’accusation de transgression pourrait également être imputée aux pharisiens eux-mêmes. Difficile à reproduire pour nous, les femmes, qui sommes si souvent submergées émotionnellement lorsque nous faisons face à de l’opposition ! D’autant plus qu’il nous faut oublier la possibilité de traiter nos frères et sœurs d’hypocrites comme Jésus l’a fait : Si ce terme est une insulte aujourd’hui, il ne l’était pas à l’époque puisqu’il se rapportait simplement à un acteur porteur d’un masque lui permettant de jouer un personnage.
Jésus dira plus tard à ses disciples, mais en privé, que les pharisiens sont « des aveugles conducteurs d’aveugle » et qu’il faut ‘les laisser’. Qu’est-ce donc qu’un aveugle, pour le Christ ? C’est quelqu’un qui, mis en face de la vérité du Père, de la vérité de l’Évangile, reste sourd à ces appels et préfère sa propre façon de voir.

En résumé, quand Jésus présente sa position dans la nouvelle économie qu’il apporte, il soulève une opposition, face à laquelle il décale la discussion en refusant d’entrer à nouveau dans une énième explication (v.3 ), dévoile la duplicité de ses interlocuteurs (v.4 à 9), et il reprend ensuite son enseignement d’une manière générale (v.10-11). Aux disciples seuls, il donne une consigne claire : laissez tomber les aveugles ! (v.14) Autrement dit, ne cherchez pas à les convaincre !

Jésus vs Femme syro-phénicienne

Et voilà que Jésus quitte la région et s’arrête dans le territoire de Tyr et de Sidon. La rencontre avec la femme syro-phénicienne suit immédiatement celle de Jésus avec les pharisiens dans les deux Évangiles ou ces deux épisodes sont rapportés… Est-ce juste un hasard ? Je ne le pense pas. Tout simplement parce que Jésus va se confronter ici au même problème des séparations, classifications qu’il avait confrontées et rejetées à l’épisode précédent ! Si les prescriptions rituelles n’avaient plus d’effet séparateur à cause de la bonne nouvelle de l’irruption du royaume de Dieu, alors tous, absolument tous, pouvaient entrer dans le royaume de grâce et recevoir l’amour du Père. Ce texte nous montre Jésus confronté à quelqu’un qui lui tient tête, quelqu’un qui refuse la ligne de séparation qu’il place entre juifs et païens, respectivement nommés ‘enfants’ et ‘petits chiens’ dans ce court dialogue.

Reprenons : Jésus vient de traiter les pharisiens d’aveugles parce qu’ils ne voulaient pas entendre le message de grâce et le voilà en train de refuser la grâce sous prétexte d’une séparation légaliste. L’évangile de Matthieu place ce refus sous le signe de la justice, celui de Marc sous le signe d’une prééminence de temps : « laisse d’abord les enfants se rassasier… »

Jésus se retrouve ici dans la position fermée que les pharisiens occupaient il y a peu ! La femme crie, demande, supplie, mais il ne répond pas et se durcit comme jamais dans les Évangiles. Nous n’avons pas l’habitude de ce Jésus-là, même si nous savons bien par d’autres textes qu’il pouvait être intransigeant lorsqu’il pensait que les choses essentielles étaient touchées (le zèle de la maison de Dieu, par exemple !)
La plupart des commentateurs évangéliques affirment que Jésus cherchait à pousser cette femme de telle sorte que la foi propre à produire un miracle jaillisse d’elle ! Mais cette interprétation fait de la foi le moyen de produire le miracle, puisque la ‘bonne’ foi ou la ‘bonne prière’ produisent automatiquement le fruit de l’exaucement. Cela relève de la pensée magique et de la théologie de la prospérité !
Je préfère voir ici un homme qui, certainement pour la raison qu’il cite lui-même, refuse de donner la bénédiction attendue : il est convaincu que ce n’est pas juste ! Autrement dit, il sépare dans sa tête les choses en deux : maintenant le peuple d’Israël, après les autres !

Lorsque cette femme reprend la parole après le deuxième refus de Jésus, nous retrouvons dans ses mots tous les ingrédients de l’Évangile: la prééminence des Juifs sur les non-juifs, la reconnaissance de la grâce qui est faite à Israël, la nourriture spirituelle qui leur a été envoyée du ciel. Mais aussi la notion de la perte possible et acceptée (qui rappelle ici les graines jetées avec tellement de prodigalité sur tous les terrains par le Semeur), ou encore la reconnaissance de la puissance de la parole, cette miette venue du ciel !

Combien est grande la foi de cette femme qui ne s’arrête pas à la façon dont elle est traitée : elle l’accepte avec humilité parce que son objectif (recevoir sa part de grâce à travers la guérison) est plus important pour elle que la dureté que le Christ lui témoigne.
Et voici le plus beau de cette histoire : Contrairement aux pharisiens qui entendant la bonne nouvelle la refusaient, Jésus se laisse remuer par la force de la parole de grâce de cette femme.

Lorsque nous sommes critiqué(e)s, lorsque l’on nous contredit, lorsque la personne en face de nous ne veut pas se ranger à nos arguments, comment réagissons-nous? Notre première réaction n’est-elle pas trop souvent de nous raidir avant de contre-attaquer !

J’aime cette image du Christ qui se dégage de ce texte : un homme qui sait écouter ! Un homme qui reconnait les accents de la grâce chez les autres, un homme qui se laisse bouleverser, un homme qui se laisse mettre en mouvement. Jésus n’était pas enfermé dans ces certitudes. Toujours, il cherchait l’irruption du royaume (merci à Antoine Nouis pour cette lecture dans ‘L’Évangile pour aujourd’hui) et voici qu’il le trouve chez une femme païenne. Le cœur de ce que je souhaite souligner ici est dans l’humilité du Christ qui dépasse tout ce que l’on peut imaginer. On le voit changer d’attitude peut-être pour la seule fois des Évangiles, mis à part cana… Une autre femme, tiens ! Il avait dit « ce n’est pas juste de te donner cela maintenant» et il change d’avis.

Être disciple signifie littéralement « apprendre de lui » ! Combien nous avons besoin d’apprendre cette sorte d’écoute profonde qui nous permet un cœur à cœur véritable ; qui nous évite de devenir des aveugles, conducteurs d’aveugles, incapables de reconnaitre les accents de la grâce lorsque nous les entendons provenir d’un lieu jugé ‘suspect’.

Revenir en arrière, reconnaitre que l’on s’est trompé exige de nous l’humilité qui est celle de l’homme et de la femme qui n’a pas besoin de s’exhiber ou d’avoir raison pour exister. Refuser d‘avoir tort, croire que toute la vérité réside dans notre avis, croire que notre façon de faire (tradition), de penser est la seule bonne et juste n’est que l’expression d’une volonté de puissance et de domination. Au contraire, admettre ses propres lacunes et ses faiblesses permet de mieux soupeser ses propres arguments et de déterminer s’ils sont valables ou non face à ceux des autres. Il ne s’agit ni de taire sa position, ni de l’imposer aux autres, mais de vivre toujours et partout  nos  convictions en cohérence avec les valeurs issues du royaume de Dieu. Paul nous y aide dans les chapitres bien connus de Romains 14, 1 cor 8 (lire également actes 15) où il légifère sur des conflits communs à de nombreux chrétiens de l’époque. On retrouve dans ces textes deux  éléments majeurs qui nous permettent d’apprendre à mieux nous comporter dans un conflit:

La liberté nouvelle du chrétien se couple toujours avec l’amour et le respect fraternel.

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C’est ainsi seulement que notre ‘jugement’ retrouve son sens noble : il sera alors la preuve d’une maturité intellectuelle et l’allié de la connaissance et du discernement.
Pour en revenir à notre question du début : Comment vivre ses convictions sans en arriver à se battre, ou tout du moins s’il faut se battre, en se battant avec la justice du royaume ?
Tout d’abord en discernant -le sens étymologique du terme hébraïque est celui de séparer ce qui est emmêlé- ce qui est de l’ordre du salut, le conflit avec les pharisiens, de ce qui est d’un ordre secondaire, le conflit avec la syro-phénicienne ! Le premier exige de notre part une fermeté absolue, là où le second demande de la tempérance. Oui, je l’affirme avec force, le sujet de la place des femmes dans l’Église est un sujet secondaire et non central dans l’économie du salut ! Changer d’avis ne nous fait pas perdre notre salut !
Ensuite, en s’inspirant de ces deux histoires de conflit entre le Christ et les pharisiens puis entre le Christ et la femme syro-phénicienne qui sont de puissants modèles de vie pour nous :

Écoutons

Écoutons notre « adversaire » avec attention, respect, sans chercher immédiatement des arguments pour le convaincre lors même qu’il essaye de nous partager sa conviction, et ce même si notre position seule nous parait juste et véritable. Ecoutons premièrement le son de sa conviction, peut-être que nous y trouverons des accents de justice que nous n’aurions jamais pu imaginer nous-mêmes ! Soyons ouverts comme le Christ !

Soyons humbles

Soyons humbles, reconnaissons la valeur de la position de l’autre. Prenons conscience que ‘notre’ vérité  n’est que notre perception de la vérité, puisque La vérité est une personne et non un dogme ou une tradition! Parlons ensuite à partir de là sans chercher à avoir raison pour avoir raison, comme la femme syro-phénicienne qui poursuivait un but autre… Ne perdons jamais notre but de vue : la gloire de Son Nom.
Et si nous réalisons que notre adversaire (homme ou femme) est un « aveugle, conducteurs d’aveugles, mais qui s’ignore aveugle », soyons patients, patientes. Nos mots d’explication, nos tentatives de nous justifier ou de convaincre porteront moins de fruits que notre amour. Alors, si l’heure de quitter une communauté doit sonner, après avoir tout essayé, le respect dont nous aurons témoigné à l’égard de nos adversaires sera porté à notre crédit.

Joëlle Sutter-Razanajohary est pasteure de la Fédération des Églises Évangéliques Baptistes de France dont elle a été Secrétaire Général de 2020 à 2023. Elle est la fondatrice du blog 'Servir Ensemble'. Elle est également autrice de livres ("Qui nous roulera la pierre?", Empreinte, 2018; "Une invitation à la danse. La métaphore conjugale dans la Bible" Olivetan, Mai 2021) et de nombreux articles.

3 comments on “Boîte à outils : Comment faire face aux conflits (de genre et autres) dans l’Église ?

  1. Très intéressante analyse d’une situation qui semble bloquée et qui fini par trouver le sentier d’une résolution où la grâce de Dieu arrive enfin à se manifester.

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