Témoignages

Lydia Lehmann, pasteure

Publié par Lydia Lehmann le 29/09/17

Lydia Lehmann

Je suis née dans une famille chrétienne en Allemagne. Une famille de pasteur et une famille nombreuse. Une famille où nous apprenions très tôt à connaître Dieu et à entrer en relation avec Lui à travers Jésus – et pour cela je suis particulièrement reconnaissante à mes parents et je le serai toujours : c’est ce qu’ils m’ont transmis de plus précieux. Une famille aussi où les rôles étaient bien définis, selon un schéma assez classique, à l’intérieur de la cellule familiale mais aussi à l’Église.

Dans les différentes assemblées que nous avons fréquentées au fil du temps aucune femme ne prêchait (à une exception près : lors d’un culte d’évangélisation une femme a prêché en binôme avec son mari). Aucune femme ne présidait le culte. Les femmes s’occupaient des enfants, des agapes, du ménage, des autres femmes, de la musique… Je me souviens même qu’une année, quand nous étions en vacances, nous cherchions une Église pour y célébrer le culte du dimanche. Alors que nous nous étions installés dans l’assemblée choisie, mes parents apprirent qu’une femme allait prêcher ce jour-là. Nous nous sommes levés et sommes sortis. Une expérience qui m’a marquée, et dont le souvenir m’est revenu à plusieurs reprises dans l’exercice de mon ministère actuel.

A l’âge d’environ six ans j’ai pris pour la première fois la décision de suivre Jésus. J’étais une enfant très introvertie, calme et sensible et j’avais soif de Dieu, soif de mieux Le connaître, soif de Le servir, dès les premières années de ma vie. Après un moment de doute dans ma foi, à l’âge de douze ans, j’ai confirmé très consciemment la décision de suivre Jésus. Petit à petit je me suis engagée comme monitrice à l’école du dimanche, dans l’évangélisation, la musique et l’animation d’études bibliques dans un groupe au collège et au lycée. C’était une période très fervente et engagée dans ma vie de foi dont je parlais ouvertement autour de moi. En tant qu’adolescente je rêvais de pouvoir servir Dieu comme médecin-missionnaire et ensuite comme traductrice de la Bible. Dieu avait déjà mis les graines d’un appel dans mon cœur, mais la plante qui allait se développer peu à peu prendrait une forme inattendue.

Après avoir passé mon bac, j’avais le désir de passer une année en France, de faire une année sabbatique pour servir Dieu dans un autre cadre et apprendre à connaître d’autres cultures. Je voulais faire une année de volontariat à l’Institut biblique de Nogent, mais toutes les places étaient déjà prises. Toutes les autres portes auxquelles j’avais frappé restaient également fermées. Le temps passait, on était déjà en septembre… et toujours rien. Une semaine avant la rentrée académique de l’Institut, la directrice m’a appelée pour demander si je ne voulais pas faire des études au lieu du volontariat !? – Merci d’avoir osé cette proposition inhabituelle ! La veille de cet appel, une dernière porte s’était fermée et j’avais, après un moment de grand découragement et une soirée passée dans les larmes et tout remis entre les mains de Dieu. Dans mon cœur, c’était sûr : cet appel venait de Lui. J’ai donc accepté cette proposition, pour un semestre ; c’était tout ce que mes moyens financiers me permettaient à ce moment-là. Pourtant je n’ai pas pu m’arrêter après un semestre.

J’ai fait le cursus complet de trois ans à Nogent, qui m’a ensuite servi de passerelle vers le Bachelor et le Master à la Faculté Libre de Théologie à Vaux-sur-Seine. J’avais trouvé ma voie, ce pourquoi j’avais été faite ! Ma soif d’apprendre était insatiable, j’étais à fond dans ces études, mais je ne savais toujours pas quelle forme Dieu donnerait à l’appel semé en moi.

Dans le cours de l’apprentissage à la prédication, j’avais de bons échos de la part des professeurs et des autres élèves. Mes amis m’encourageaient à persévérer, étant convaincus que j’avais un don pour l’enseignement – merci ! vous avez cru en moi, en ne voyant que les germes de ce que Dieu avait prévus ; merci pour votre foi, votre soutien. Sans vous je ne serais pas là où j’en suis aujourd’hui. Mais c’est seulement en quatrième année d’études que j’ai prêché pour la première fois dans une Église, un peu « forcée » par les exigences de validation du cours d’Homilétique cette année-là – merci à ce professeur pour cette exigence qui a été un premier tremplin vers le ministère pastoral et merci à cette Église qui a accompagné mes premiers essais de prédication avec encouragement et bienveillance ! Cela m’a pris quatre ans. Parce que j’avais grandi avec la conviction que les femmes ne pouvaient pas prêcher et que je ne pouvais par conséquent pas imaginer mon avenir dans un ministère pastoral. Parce que je ne voulais pas commencer à prêcher sans avoir la conviction que c’était ce que Dieu voulait. Parce qu’il m’a fallu du temps pour étudier les textes bibliques en question, comparer les interprétations, forger ma compréhension de ces textes à la lumière des connaissances acquises au cours des études de théologie.

Quatre ans aussi parce que j’hésitais à le dire à mes parents, appréhendant leur réaction … Oui, leur première réaction m’a blessée, mais j’ai survécu.

«Ce n’est pas la volonté de Dieu et cela va te rattraper.»

Recevoir ces paroles de la part de mon père a été très dur pour moi. D’autant plus douloureux que je savais combien cela l’aurait comblé qu’un de mes deux frères suive ses traces, enseignant la Parole de Dieu. J’aurais aimé recevoir une parole de bénédiction, de soutien et à la place c’était un bâton dans les roues, des paroles négatives qui ont contribué à ce qu’une peur s’installe en moi, peur que quelque chose de grave m’arrive, que je vive des malheurs en poursuivant l’appel que Dieu m’avait adressé d’apporter sa Parole. Mots qui me revenaient en préparant des prédications, en prêchant, mots que je devais apprendre à ne pas laisser avoir une emprise sur moi et mon ministère. Ne me laissant pas facilement arrêter une fois une décision prise, et, encouragée par celui qui allait devenir mon mari, j’ai persévéré.

Contre toute attente je me suis levée et Dieu m’a donné la force de vivre l’appel qu’Il m’avait adressé malgré l’opposition et la critique. Contre toute attente. Cela résume bien aussi mon vécu dans le ministère. Je suis à une place où on n’attend pas une femme, dans un métier encore très masculin (d’autant plus que je suis actuellement la seule femme pasteur dans notre union d’Églises). Après mes études à Vaux, j’ai fait un stage de neuf mois dans une Église en Suisse, Église qui n’avait jamais eu auparavant une femme stagiaire et qui n’avait pas l’habitude d’une prédication féminine. Église qui a malgré tout accepté de m’offrir ce stage où j’ai pu apprendre tant de choses et faire mes premiers pas dans le ministère à plein-temps – merci à tous ceux qui ont rendu ce stage possible ! A la fin de ce stage je me suis mariée avec un étudiant suisse de Vaux qui avait également un appel pour le ministère pastoral et nous sommes partis en Belgique. Il y avait là une des rares Églises de notre union d’Églises qui était ouverte au ministère féminin au point d’accepter une femme pasteur, et cette Église cherchait un pasteur – merci pour l’accueil chaleureux et le courage de tenter cette aventure avec nous ! Nous avons commencé notre ministère à deux en étant assistants à l’équipe pastorale – composée d’anciens – pendant deux ans, avec la particularité que j’étais salariée par l’Église, tandis que mon mari était encore en train de terminer ses études à Vaux. Au bout de deux ans, nous sommes devenus tous les deux pasteurs de cette Église, engagés aujourd’hui chacun à 75%.

Même dans une communauté habituée à la prédication féminine depuis ses débuts et comptant plusieurs femmes parmi les anciens, le titre de pasteur attribué à une femme n’a pas été simple pour tous.

« Tous les deux pasteurs », c’est ainsi que nous nous présentions après avoir constaté à plusieurs reprises que de le faire comme « couple pastoral » conduisait nos interlocuteurs à m’interroger ensuite sur mon métier…

Situation inhabituelle de pastorat en couple qui comporte des avantages, mais aussi plein de défis. Et c’est là que nous en sommes aujourd’hui. A l’intérieur de l’Église je peux prêcher, enseigner, mais à l’extérieur cela ne « présente » pas toujours bien, c’est du moins l’impression que j’ai parfois. Pour des mariages par exemple on a plusieurs fois préféré demander à mon mari : une femme, cela pourrait déranger les familles des mariés qui ne sont souvent pas habituées à une prédication féminine… C’est d’autant plus douloureux quand on demande à mon mari de prêcher et à moi de m’occuper d’un service facilement attribué à une femme. Mon mari a eu l’idée et l’audace de proposer que nous fassions l’inverse, je prêcherais et il s’occuperait de questions d’intendance. L’idée n’a pas pu aboutir, mais nous avons quand même collaboré. Nous avons cependant pu exprimer que nous étions mal à l’aise avec une telle répartition des tâches – petite victoire !

Il arrive aussi qu’à l’intérieur de l’Église il y ait des remarques, des attitudes qui blessent. Pour des questions théologiques on va plus facilement s’adresser à un homme, car on a toujours fait comme ça. Même pendant les trois ans où il était encore aux études et que j’avais déjà un diplôme en master de théologie, mon mari était la référence pour beaucoup de questionnements théologiques.

Après quatre ans de collaboration avec lui dans le ministère, j’ose dire que je peux aussi répondre à ces interrogations, que j’existe, que je suis pasteur et oui, douée par Dieu et compétente…

Je n’en veux à personne, mais parfois je suis si fatiguée de devoir davantage « faire mes preuves » qu’un homme, trouver l’énergie de refuser à nouveau de vivre certaines attitudes blessantes comme une offense. Voir que mon mari est vu par certains comme LE pasteur, « inventer » jour après jour comment vivre le ministère pastoral au féminin… Mais je crois au fond de moi que cela vaut la peine. De temps en temps il y a une prise de conscience, un pardon demandé et accordé, des attitudes et des regards qui commencent à changer, de l’espoir – des petites victoires à chérir ! Les avantages de cette expérience de pasteurs en couple c’est que nous pouvons travailler en profondeur à notre complémentarité, domaine où nous sommes en train de cheminer actuellement, pour nous appuyer sur les forces de l’un et de l’autre. Nous sommes « obligés » de dialoguer, dialoguer et dialoguer, ce qui crée une communion et une complicité plus forte. Merci à mon mari qui est prêt à beaucoup pour me soutenir !

Il y a encore une grande victoire que je voudrais partager. Très récemment, cinq ans après avoir appris LA nouvelle, mes parents sont venus m’écouter lors d’un culte où j’ai prêché, ce qui est vraiment un pas énorme dans la façon dont ils peuvent considérer mon ministère. Pour le moment, le dialogue n’a pas pu être engagé pour mettre des mots sur l’évolution de la manière dont nous gérons nos divergences théologiques dans ce domaine. Mais cet événement « contre toute attente » est une grande joie pour moi, un baume aussi sur le vécu difficile qu’a été leur première réaction face à mon ministère. Merci pour cette ouverture courageuse et aimante !

J’espère qu’il y aura encore beaucoup de femmes qui se lèveront contre toute attente et que dans la prochaine génération il deviendra normal que les femmes se lèvent pour être bergères, enseignantes, théologiennes…

Comment nos filles oseront se lever si nous ne leur montrons pas dès leur plus jeune âge que oui, une femme peut prêcher et avoir un rôle de responsabilité dans l’Église ? Qu’une femme ne le fait pas moins bien, pas mieux qu’un homme, mais simplement différemment, avec la féminité que Dieu lui a donnée, et que c’est une bonne chose !

À propos Lydia Lehmann

Lydia Lehmann, titulaire d'un master en théologie de la FLTE, est actuellement co-pasteure dans une Eglise de l’AEEBLF au sud de Bruxelles. Elle est l'autrice de "Côte à côte. Quand femmes et hommes avancent ensemble", responsable de ce blog et amoureuse de poésie qu'elle pratique quotidiennement. Vous pouvez également retrouver sa plume sur quelques épisodes du podcast "Au commencement" de l'Alliance biblique française.

14 comments on “Lydia Lehmann, pasteure

  1. Boujon

    Oui, émouvant et courageux témoignage, merci Lydia d’avoir osé, d’avoir entendu et écouté l’appel de Dieu, d’avoir surmonté les obstacles et les tristesses. Que le Seigneur vous bénisse et vous réjouisse encore et encore dans ce ministère qu’il vous a confié !

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  3. Merci beaucoup, Lydia, d’avoir partagé ton témoignage très encourageant. Je suis reconnaissante pour les dons que Dieu t’as donné, et je suis fier de toi! Bravo, pour ce parcours pas facile, et pour ta persévérance. Qu’il continue de te bénir! bises de ta « vieille » amie de l’IBN – Anne-Marie

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  5. Claire Poujol

    Merci Lydia pour ce témoignage vous avez vécu des choses très difficiles, surtout dans votre famille d’origine et j’espère que tout finira par bien s’arranger. Persévérez avec votre mari sans vous laisser décourager par le regard des autres, leurs paroles parfois blessantes. L’essentiel est d’obéir à Dieu qui nous a donné des talents et ce n’est pas pour que nous les enterrions. Soyez bénis tous les deux.

  6. Mireille Akouala

    Merci Lydia pour ce témoignage. Je suis pasteure et ai un parcours similaire au vôtre à bien des égards. Je me retrouve complètement dans vos propos :  » Contre toute attente je me suis levée et Dieu m’a donné la force de vivre l’appel qu’Il m’avait adressé malgré l’opposition et la critique. » Soyez bénie chère Lydia.

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  10. LEANDRI MR

    Bonjour Pasteure Lydia,

    « vous enfanterez dans la douleur » on peut aujourd’hui comprendre que cela a plusieurs sens !

    Vous enfantez dans la douleur LA NOUVELLE FEMME, une image de Dieu qui s’accomplit.
    Merci d’avoir persévéré, combattu pour votre appel.
    Merci à votre époux pour son discernement spirituel et pour LE NOUVEL HOMME qui se construit.
    Il en résultera un nouveau type de couple et sûrement des enfants étonnants !

    C’est glorieux et réjouissant. On continue de vous soutenir dans la prière.

  11. Lebouc Myriam

    Merci Lydia pour ce beau et touchant témoignage. Il fortifie et répond aux questionnements de femmes , comme moi, qui ont vu les choses évoluées dans leur cœur , avec la grâce et le temps de Dieu.. J’espère aussi qu’il répondra aux hommes qui acceptent de réfléchir
    Moi aussi je veux dire Merci à mon mari qui s’est laissé interpellé , qui m’a aidé dans ce cheminement et qui aujourd’hui m’encourage dans cette liberté de répondre à l’appel de Dieu..
    Soyez bénie et bénissante , ainsi qu’auprès et avec votre époux

    • Lydia Lehmann

      Merci beaucoup Myriam pour votre commentaire et votre encouragement !! C’est précieux d’avoir un retour.
      Bonne continuation sur le beau chemin 🙂

  12. Jean-Marc BELLEFLEUR

    Merci Lydia pour ton témoignage, toi, ma collègue pasteure !

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