Textes bibliques

« (Top-)modèle féminin dans un monde féministe » de Carolyn Mahaney #lupourvous

« 3 choses à éviter ab-so-lu-ment… si vous voulez vraiment devenir une femme selon le cœur de Dieu ! » Chouette, me suis-je exclamée en voyant le titre –un peu racoleur, certes – du nouveau livre de Carolyn Mahaney, auteure bien connue dans les milieux évangéliques : ‘(Top-) modèle féminin dans un monde féministe’ et paru aux éditions BLF en 2012. Mais à la fin de la lecture j’avais changé d’avis et me demandai d’où venait l’irritation qui tenaillait mon coeur?  La réponse tient dans ces 3 choses à éviter si vous voulez véritablement devenir une femme selon le cœur de Dieu. Et qui donc ne le voudrait pas ?

Les jeux de mots, nombreux dans le titre lui-même, démontrent un esprit joyeux et subtil, qui ouvre sur  plusieurs univers:

  • la référence au top-modèle renvoie à l’univers réputé machiste du mannequinat
  • le monde ‘féministe’ est épinglé d’entrée de jeu
  • le jeu calligraphique mettant entre parenthèse le top pour ne garder que le mot modèle pointe subtilement vers le texte de 1Tim.4 :12 « Sois un modèle pour les fidèles »

Les avis rapportés sur la quatrième de couverture,  pointent également vers des valeurs positives : Un dithyrambique « une vision biblique de la féminité »  côtoie là son inévitable frère jumeau, le péremptoire « un livre incontournable ».  Autant dire que je ne me suis pas méfiée et que j’ai acheté… pour me retrouver engluée dans une énième version du sempiternel « femmes, soyez soumises » agrémenté comme d’habitude, d’innombrables expériences, toutes plus glorieuses les unes que les autres !

  1. Ce livre commet une erreur assez courante dans les milieux évangéliques : Il prend la partie pour le tout et commet même l’erreur contraire dans la foulée, il prend le tout pour la partie !

Je m’explique.  Plus personne aujourd’hui n’ose affirmer qu’être une femme selon le cœur de Dieu, c’est… (Remplissez ici les pointillés selon vos convictions et vos lectures du moment !) Alors pourquoi choisir  Tite 2 :3 à 5 comme définition de la « perspective biblique de la féminité » ? Ces 3 versets à eux seuls contiendraient-ils l’ensemble de ce que Dieu veut dire à toutes les femmes de toutes les générations passées et à venir ? Impossible pour moi ! Bien d’autres textes nous montrent en effet des femmes agissant de la part de Dieu, parlant et  prophétisant, dirigeant des troupes au combat dans l’Ancien testament ou des groupes de maison dans le Nouveau Testament. Quid également du chapitre 31 des proverbes dans la perspective décrite dans ce livre, où les femmes se doivent d’être tranquillement occupées aux soins domestiques ? Elle n’y a tout simplement pas sa place ! Elle qui, véritable chef d’entreprise, confectionne des biens et les vend au marché, achète des champs etc… « Non, non, non, ma belle, devrions-nous dire à cette femme aujourd’hui, tu dois rentrer dans les rangs ! Couds si tu veux, mais laisse ton homme vendre sur le marché et acheter des champs, tu n’es pas équipée pour cela. Ce n’est tout simplement pas le plan de Dieu pour toi ! »

Prendre un texte particulier et en faire le centre d’une doctrine revient parait-il à en faire une hérésie (de son sens premier : haeresis, choisir)

Tout n’est donc pas dit des femmes, et encore moins du féminin, de son rôle dans ce texte.

D’un autre côté, le livre commet l’erreur inverse, prendre le tout pour la partie. En effet, il affirme d’entrée de jeu mettre l’accent sur des qualités féminines  et curieusement développe… des qualités humaines attendues aussi bien des hommes que des femmes chrétiennes. Pour le vérifier, il suffit de reprendre les têtes de chapitre du livre :

(Les chapitres 1 et 9 sont des chapitres d’introduction et de conclusion)

  • Aimer (son conjoint, chap. 2 et ses enfants, chap.3)
  • Être maître de soi (chap.4)
  • Rechercher la pureté (chap.5)
  • Travailler à la maison (chap.5, sic ! ça évidemment, c’est pour les femmes !)
  • Être remplie de bonté (chap.6)
  • Être soumise (chap.7, re-sic !)

Deux chapitres seulement, celui sur la soumission et le travail  à la maison, développent des notions qui ne sont pas attendues des hommes. Et pour cause !

Pour les autres qualités, ils concernent tous les croyants : hommes et femmes se doivent d’être aimants, maîtres d’eux-mêmes, à la recherche de la pureté, remplis de bonté. Ils doivent ou devraient même être bien plus que cela, d’après moi, puisque la transformation opérée par l’Esprit saint en eux les conduit à la ressemblance du Christ (Romains 8 : 28-29) et à être tous et toutes, porteurs de toutes les qualités attendues d’un disciple rempli de l’Esprit. Voilà ce que c’est que de s’enfermer dans un texte et de lui faire dire plus que ce qu’il dit.

Prendre la partie pour le tout, ou le tout pour la partie, apporte une confusion incroyable dans les mentalités. Qu’est-ce qui est de l’ordre du féminin ? Qu’est-ce qui est de l’ordre du masculin ? Du disciple ? Impossible de répondre à cette question après avoir lu ce livre !

  1. Ce livre commet une autre erreur préjudiciable à la compréhension de la volonté de Dieu : Il fait fi de toute contextualisation, aussi bien interne (aux écritures, appelée aussi l’analogie de la foi), qu’externe.

Je m’explique. L’angle de vue de l’auteure se restreignant à ce seul texte et à son interprétation, dans la ligne des théologies de John Piper et Wayne Grudem, abondamment cités dans le chapitre sur la soumission, elle ne réalise même pas qu’elle adopte la lecture que ces personnes font du texte sans y réfléchir par elle-même. Ainsi, elle n’étudie pas le magnifique texte d’Ephésiens 5 : 18 à 33 qui récapitule ce que  l’Esprit demande aux membres d’un couple. Le tandem de valeur  mis en avant par Piper et Grudem  est celui de « direction et soumission » (L’habileté ici consiste à ne pas utiliser le mot autorité traditionnellement utilisé et rejeté par un nombre toujours plus grand de femmes). Le rôle des femmes est donc de se soumettre aux hommes et le rôle des hommes est de diriger les femmes. Mais ce n’est pas ce que les Écritures disent : Les Écritures nous parlent de l’exemple du Christ qui a sacrifié sa vie pour son Église ! Le tandem  de valeur  gouvernant la vie des couples mariés n’est donc pas direction et soumission, mais amour sacrificiel et soumission. (Eh oui, on peut être taxée de féministe ET malgré tout prêcher la soumission aux femmes !) L’amour sacrificiel, quant à lui,  me semble avoir bien peu de choses à faire avec l’autorité et la direction… « A vos ordres, mon colonel ! »… Euh, non bien sûr, « Mon seigneur » pour suivre l’exemple donné par mon aïeule Sarah.

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Deuxièmement, à aucun moment, l’auteure ne tente de vérifier quelle était la condition des femmes à l’époque de la rédaction des épîtres. De vérifier si peut-être ces conditions-là expliquent quelque chose (ou pas) du discours des apôtres. L’appel de l’apôtre Paul aux femmes de Crète a pour but de ne pas mettre de freins à la propagation de l’Évangile et l’auteure le relève avec justesse. Mais à aucun moment, elle ne se pose la question de savoir pourquoi le comportement des femmes posait question. Pour elle, ‘les commandements de Tite 2 nous ont été donnés pour une raison de la plus haute importance qui transcende le temps et la culture. Cette raison, c’est l’Evangile de Jésus-Christ. » (p. 28) et c’est vrai ! Sauf qu’il faut avant tout s’interroger  sur ce qui choque une société et l’empêche de comprendre l’Evangile. Les missionnaires d’aujourd’hui l’ont bien compris. Ils sont devenus les champions de la contextualisation lorsqu’ils ont compris que les formes culturelles qu’une société rajoute involontairement à l’Evangile provoquent bien plus souvent le rejet que l’Evangile en lui-même. Du coup, il conviendrait de se demander si une femme « occupée aux soins domestiques » appartient, au moment de la rédaction de l’épitre,  à l’ordre culturel de la société de l’époque ou à l’ordre de l’Évangile… Certains historiens -et non des moindres- affirment que cette forme de structuration du couple date de l’ère post-industrielle occidental et révèle un niveau social assez aisé. A réfléchir si l’on veut prendre les Écritures au sérieux.

  1. La troisième chose à éviter – toujours si vous souhaitez devenir une femme ‘selon le cœur de Dieu’- serait de ne lire que ce genre de livre!

(Cela dit, je reconnais néanmoins que les guides de discussion pour groupe de femmes fournis après chaque chapitre, sont bien faits. Et c’est un vrai point positif. Ouf, il y en a au moins un. Ah, j’oubliais. La notion de mentorat entre femme âgée et jeune femme me parait assez pertinente également à l’heure où les jeunes couples s’établissent le plus souvent loin du domicile de leurs parents… mais c’est une notion que l’ensemble du christianisme redécouvre en ce moment.)

Je m’explique. Être femme ne se résume pas à être épouse, je le dit clairement et pourtant je suis mariée depuis 32 ans. Être femme ne se résume pas non plus à être mère, j’ai pourtant 3 enfants et une petite-fille depuis peu. Et je rends gloire à Dieu pour ces relations magnifiques qui m’ont fait grandir dans la connaissance de Dieu, dans ma connaissance de moi-même. Grandir dans la foi aussi. Mais ultimement, voire peut-être même premièrement, j’existe pour Dieu et pour moi ! Ensuite seulement pour mon mari, mes enfants, mes petits-enfants et tous les autres. Notre existence de femme ne tourne pas autour de nos maris malgré leur importance dans nos vies de femmes. Malheureusement, ce genre de livre nous ramène 50 ans en arrière. Oui, le féminisme a dévié. Oui, il est allé trop loin. Mais il y a un monde entre affirmer cela et suggérer qu’il a tout raté et qu’il n’a pas tenu ses promesses (page 18). Sinon, mesdames, il va falloir renvoyer vos cartes d’électrices à l’état avec une mention spéciale « femme soumise » et peut-être même fermer vos comptes en banque.

Au contraire, lisez, lisez, toutes sortes de livres, écrits par toutes sortes de personnes. Lisez des livres qualifiés de féministes (Oh seigneur !), des livres écrits par des femmes dans le ministère, tout comme vous lisez ce livre-ci. Creusez le sujet en compagnie de personnes qui ne pensent pas comme vous… Peut-être que l’Esprit soufflera quelque chose de nouveau en vous. Quelque chose d’inédit.

Proverbes 18.15  : « Un cœur intelligent acquiert la science, et l’oreille des sages cherche la science. »

Proverbes 18.17  : « Le premier qui parle dans sa cause paraît juste ; vient sa partie adverse, et on l’examine. »

Et si non, au moins, vous connaitrez toutes les positions sur ce sujet et serez capables d’argumenter avec vérité et justesse sur l’ensemble des textes bibliques. Ce sera toujours ça d’acquis !

Joëlle Razanajohary

Joëlle Sutter-Razanajohary est pasteure de la Fédération des Églises Évangéliques Baptistes de France dont elle a été Secrétaire Général de 2020 à 2023. Elle est la fondatrice du blog 'Servir Ensemble'. Elle est également autrice de livres ("Qui nous roulera la pierre?", Empreinte, 2018; "Une invitation à la danse. La métaphore conjugale dans la Bible" Olivetan, Mai 2021) et de nombreux articles.

12 comments on “« (Top-)modèle féminin dans un monde féministe » de Carolyn Mahaney #lupourvous

  1. Waou ! Purée ! Tu ne mâches pas tes mots et tu as raison.
    Pour ma part, je ne choisis jamais un livre sur la base de l’appartenance de l’auteur à la gente féminine mais sur le besoin que je pressens dans mon coeur. Ce livre va-t-il me faire grandir, me remettre en question ? Va-t-il m’aider à mieux connaitre Jésus ?
    De toute façon, la Bible reste ma lecture quotidienne, nourrit ma méditation, ma réflexion et Grâce à Dieu, elle est tellement variée et belle, forte et puissante qu’elle nourrit mon coeur de femme et mon être entier en tant que personne. Je fuis les bons petits livres de recettes sur la femme chrétienne idéale – encore plus, sur l’épouse idéale !!! – comme la peste. Ils m’irritent ou me font rigoler. Tellement éloignés de la réalité quotidienne, tellement prompts à vous mettre dans une « case ». Bref, le titre même de cet ouvrage est presque ridicule. Il n’y a pas de recette pour être « une femme selon le coeur de Dieu » puisque l’expression n’existe même pas dans la Bible. Jésus nous parle de disciples, d’obéissance, de confiance, de croissance : c’est tout un programme et bien suffisant puisque le but est de mettre en pratique non pas seulement en nous positionnant comme « femme » mais comme « disciple » et être humain.

    • Merci pour ton commentaire. C’est vrai que je ne mâche pas mes mots tellement je suis fatiguée de ces cases stériles dans lesquelles il faudrait se cacher pour convenir à tous! Alors que le souffle de Dieu pousse hommes et femmes vers des contrées nouvelles et des aventures sans fin. Que ces aventures soient vécues à la maison, à s’occuper de ses enfants (je l’ai fait pendant 15 ans!) ou ailleurs, la vérité de « la femme selon le coeur de Dieu » se rencontre dans son propre cœur lors d’un face à face avec Dieu. Nulle part ailleurs! Ceci dit, bientôt je sortirai mon propre livre et là je suppose que je recevrais aussi des critiques cinglantes… Oups!

  2. Si vous lisez l’Anglais, jesus feminist par Sarah bessey est tres bien, mais un ouvrage en français sera vraiment le bienvenu :))

  3. Matthias

    À quand des titres aussi porteurs comme
    L’ado selon le coeur de Dieu
    (Remplacez … par « selon le coeur de Dieu »)
    La célibataire …
    La fiancée …
    La jeune mariée…
    La femme des sept premières années de mariage…
    La femme divorcée…
    La femme remariée…
    La jeune veuve (moins de 40 ans)…
    La veuve …
    La veuve âgée (plus de 60 ans) selon le coeur de Dieu!

    Aurais-je oublié quelqu’un?

    La femme au foyer…
    La femme en politique…
    La femme chef d’entreprise…
    La femme au chômage…
    La femme sans enfants…
    La femme célibataire avec enfant…
    La femme mère d’une grande famille…
    Je m’arrête avec :
    Être grand-mère selon le cœur de Dieu.

    Le drame est, que ce soient les femmes ou les hommes, nous voulons tous vivre selon le coeur de Dieu; mais les discours qui se tiennent à ce sujet peuvent être très bizarres, comme vous le relevez avec justesse.

    • Merci pour le point final « la grand-mère selon le cœur de Dieu »… Je découvre cette part de vie depuis quelques mois à peine! Il va falloir que je me mette à réfléchir sérieusement là-dessus.

  4. Charlotte

    Ah super !! J’ai eu ce livre entre les mains il y a quelques mois, je suis d’accord avec tes remarques. Ce livre m’a fait doucement rire, je n’ai pu le prendre au premier degré haha
    Merci d’avoir fait ce travail de formuler une à une les choses qui clochent !

  5. Bonjour l’équipe !
    pour un éclairage différent sur ce livre, voici un lien qui peut vous intéresser :
    https://toutpoursagloire.com/livre-top-modele-feminin-dans-un-monde-feministe/

    des bises à tou.te.s !

  6. Merci pour ce comm, je me suis personnellement arrêtée à la couv, qui m’a refroidie (et la maison qui l’édite est plutôt conservatrice…). Je découvre ce site, et vais jeter un oeil aux références mentionnées

  7. Je ne suis pas d’avis que toute femme devrait rester à la maison et cantonner ses activités au foyer et aux enfants.
    Pour autant, j’ai le sentiment qu’autour de moi beaucoup de jeunes mamans (chrétiennes ou non) sont tiraillées entre leur travail et leur famille, parce qu’elles suivent le modèle prôné par notre société, sans réaliser qu’il y a des alternatives.
    Alors moi je dis : il est possible de choisir (quand on le désire et qu’on le vit avec joie) volontairement de rester à la maison pour prendre soin de son mari et de ses enfants, que ce soit pour 1 an, 3 ans ou pour plus longtemps. Cela n’empêche pas de servir dans l’Eglise selon les dons et la vision que Dieu accorde selon son bon vouloir.

  8. Bonsoir,
    En France, la loi permet de prendre des congés parentaux, mais ils sont peu utilisés :
    1) la perte de salaire est grande (il faut vivre aussi !)
    2) cela est mal vu par la majorité des entreprises (pressions diverses) et les femmes ont peur de ne pas retrouver du travail ….

    JE RÊVE et JE PRIE pour que la révolution que Jésus a apporté ds les rapports HF se répercute dans l’organisation de la société, à savoir qu’on reconnaisse enfin :

    – 1) qu’avant d’être une mère ou une épouse, une femme est un être social qui a besoin de participer à la vie du monde
    – 2) que c’est un devoir pour le père de consacrer autant de temps que la mère à l’éducation de ses enfants
    – 3) que la société accepte d’aider les familles à concilier travail et enfants, en réduisant
    le temps de travail des deux avec compensation de perte de salaire pendant au
    moins 15 ans . (modalités à réfléchir)

  9. Evan Duthiers

    Pour commencer, nous pouvons constater que l’auteur de ce livre ne fait pas la distinction entre les différentes traductions possibles de Tite 2:5 alors même qu’un complémentarien assumé comme Guillaume Bourin la fait.
    De plus, l’auteur fait totalement fît du contexte biblique et extra-biblique…
    Pour finir, nous pouvons remarquer que dans Proverbes 31 la femme vertueuse est décrite comme une femme libre et active qui ne se réduit en aucun cas qu’aux travaux ménagers (Pr 31:16).
    Soyez tous abondamment bénis !
    Bonne journée !!!

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